La démocratie est quelques fois aveugle, ou peut-être, ne veut-elle pas ou ne peut-elle pas refléter vraiment les intentions ou les souhaits des peuples. Selon la boutade d’un des plus grands Premiers Ministres anglais, Winston Churchill, la « démocratie est le plus mauvais système politique, à l’exception de tous les autres ». Après avoir été l’un des vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale, il fut écarté du pouvoir en 1945. Une Assemblée Nationale élue en 1936, sur le Front Populaire, avec une grande majorité de gauche, a voté en 1940 les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. En 1933, Hitler a été porté au pouvoir par une Chambre qui avait été élue démocratiquement. Et l’on pourrait multiplier les exemples.
L’époque moderne a vu, théoriquement, la disparition de nombreuses dictatures – en Espagne, en Grèce, en Russie, en Amérique du Sud, mais en Chine, à Cuba, ou en Corée du Nord, les dictatures, hélas ! se portent bien. Cette situation signifie-t-elle que les régimes démocratiques fleurissent et réussissent ? Cela n’apparaît guère dans la réalité, et invite à la réflexion. En France, par exemple, le Président de la République, Emmanuel Macron, a été élu à une forte majorité, et est apparu comme une nouvelle figure, jeune, qui réussirait à capter les Français. Un an après son élection, une affaire mettant en cause un officier proche de l’Elysée a affaibli cette assurance tranquille. Les « gilets jaunes » ont, ensuite, par leurs manifestations hebdomadaires, parfois violentes, ébranlé les bases du régime, qui apparaît aujourd’hui bien moins solide qu’auparavant. Les deux grands leaders qui dirigent actuellement les deux puissances mondiales n’ont pas l’air d’être des parangons de la démocratie. Poutine, essayerait d’éliminer ses opposants pour se maintenir au pouvoir. Quant à Trump, bien qu’élu démocratiquement – mais avec moins de voix que son adversaire – ses tweets traduisent clairement qu’il ne cherche pas toujours à plaire à son public.
La démocratie a-t-elle encore une place dans un monde vidé de toute idéologie ? L’opposition entre Nethanyahou et Liberman n’est qu’un exemple d’un affrontement nullement basé sur des principes, mais sur de difficiles relations personnelles. Où donc situer aujourd’hui l’influence des divergences d’opinions ? Concernant le problème particulier posé aujourd’hui en Israël par un retour aux urnes, six mois seulement après une consultation indécise, on désire se rappeler le verset de Michlé (Proverbes 16,33) : « On agite le sort dans l’urne, mais l’arrêt qu’il prononce vient de l’Eternel ». Plus que jamais dans le monde actuel, seuls les intérêts privés dictent leurs actes aux politiciens. Se souvient-on aujourd’hui du désir de construire un refuge pour le peuple juif en Terre Sainte ? Cette aspiration semble oubliée aujourd’hui dans les débats contemporains. Crise de la démocratie ou crise du sionisme face à la modernité ?
Un auteur récent, juif orthodoxe, ancien Professeur à l’Université, dans un livre consacré à la crise actuelle, tente de définir le sionisme comme une rupture avec la religion juive (David Banon – Judaïsme et modernité – Editions Hermann, 2019). Cette rupture devait ébranler les fondements de l’Histoire d’Israël, dépourvue de signification si elle ne se réfère pas au passé du peuple. Le lien avec la Terre Sainte ne saurait être laïque, car il est basé sur une promesse vieille de plus de trois millénaires. Introduire une telle promesse dans la modernité n’est certainement pas facile à accepter, pour qui se veut libéré de toute relation avec la Transcendance, avec le sacré. On doit aller voter – c’est notre effort, notre « Hichtadlout » (volonté d’action), mais sachons que c’est un message venu d’en haut qui sera le résultat, quel qu’il soit : agréable ou négatif, conforme à nos souhaits ou détestable. Poutine, Trump, comme Napoléon ou César, par exemple, sont des acteurs d’une Histoire, dont les méandres nous échappent, mais dont nous savons – assurément – qu’elle est orientée. L’Inquisition, les cosaques, la Choah, comme la Révolution Française, ou la naissance et disparition du communisme, autant d’étapes dont nous savons qu’au-delà des urnes, elles tracent une voie transcendant l’éphémère pour construire dans l’éternel.
Sans tomber dans le travers d’une analyse trop personnelle, il apparaît important de conclure sur le caractère symbolique du vote démocratique. Il s’agit, en réalité, d’un engagement individuel, d’une intégration dans l’espace historique. L’acte de l’homme engage, c’est la Mitsva qui a une portée cosmique, une influence spirituelle dans le devenir. Il n’est pas question de modifier l’intention du Créateur. « Nombreuses sont les pensées de l’individu, mais c’est le dessein de l’Eternel qui subsiste » (Michlé – Proverbes 19, 21). Mais le Créateur invite la créature à agir. Les résultats, c’est le Tout-Puissant qui les prépare, mais il ne s’agit pas, pour le croyant, de démissionner, de se maintenir dans sa tour d’ivoire. Il importe d’affronter les problèmes de la modernité, de s’inclure dans les débats contemporains – le vote en est un exemple – afin d’éprouver la nécessité, dans une époque assoiffée mais frustrée d’idéologie, de découvrir la dimension eschatologique de l’aventure humaine, le devenir messianique de l’Histoire, et de collaborer ainsi à la réalisation finale du projet divin.