Vendredi soir 27 janvier 2023, dans un quartier juif pratiquant du nord-est de Jérusalem où règne la sainteté du Chabbath, la terreur a de nouveau frappé : un terroriste palestinien a tué 7 passants au pistolet… juste en bas de mon ancien appartement, quitté il y a tout juste six mois ! Une prise de conscience s’impose : chaque instant est précieux. Vraiment.
Motsaé Chabbath, quelques minutes après la traditionnelle danse ponctuant la Birkat Halévana des communautés ashkénazes, un voisin vient à ma rencontre et me demande : « Tu m’avais dit que tu habitais Neve Ya'akov avant de venir ici ? » Lui indiquant que oui, il me répond « Hachem Yichmor », ce qui veut dire « que D.ieu protège » ou, dans une acception plus orale, aurait pour équivalent le fameux « Oh my G.od » anglais, « Oh, mon D.ieu ! »
Le choc de la nouvelle
Ne comprenant pas là où il veut en venir, je lui demande de préciser. « Je viens d’entendre qu’il y a eu un attentat là-bas. » Quoi ? Je n’en reviens pas, je ne le crois pas. Il y a sûrement erreur.
Neve Ya'akov est certes un quartier limitrophe du nord de Jérusalem, entouré de quartiers et de nombreux villages arabes, mais c’est un quartier juif historique datant d’avant la Seconde Guerre mondiale, familial, tellement paisible, très cosmopolite et très modeste aussi. Beaucoup d’Arabes y travaillent d’ailleurs pour leur plus grand bonheur, que ce soit dans le bâtiment, dans la petite et grande distribution ou dans le secteur médical, en très bonne entente avec la population juive. À la louche, je dirais que Neve Ya'akov est composé aujourd’hui à 90% d’Avrékhim, d’étudiants en Torah à temps plein ; les 10% restants se partagent entre foyers israéliens « natifs » de condition modeste, et immigrants d’Asie centrale (Boukharim), de Géorgie (Grouzinim) et d’Éthiopie. Un petit coin de paradis qui compte près de 30 synagogues (!), pleines à craquer d’étudiants en Torah, de jeunes couples à forte natalité Baroukh Hachem. Un endroit encore accessible à Jérusalem où il fait tellement bon vivre et éduquer ses enfants à l’abri des excès de notre société moderne. À tel point qu’inscrire ses enfants dans les Talmudé Torah de ce quartier relève du parcours du combattant, excessivement difficile pour de nouveaux arrivants tant ils sont prisés. On a l’impression que les places y sont plus chères qu’au concours de X-Mines. J’en sais quelque chose !
Photo prise depuis le salon de mon ancien appartement
Revenons à la terrible nouvelle de l’attentat. Je demande des précisions à mon interlocuteur. 7 morts sur Sdérot Neve Ya'akov, l’avenue principale qui ressemble à un circuit de grand prix de Formule 1, qui fait le tour en boucle de ce petit quartier densément peuplé. Je lui lance : « Attends, c’est là où j’habitais il y a 6 mois encore ! »
Incrédule et meurtri, je regagne mon appartement, attendant frénétiquement l’heure de Rabbénou Tam pour réciter la Havdala ; et nous voici avec mon épouse, appelant la famille et les anciens voisins que nous avons là-bas : ils vont bien, Baroukh Hachem, mais malheureusement, 7 innocents n’ont effectivement pas eu cette chance. Nous prenons les renseignements : le Gabbaï, le bedeau de la synagogue de l’oncle de mon épouse, qui vient de terminer le deuil Halakhique de sa femme, un monsieur avec le cœur sur la main, toujours disponible, affairé à la Torah et à la prière, a été tué. Baroukh Dayan Haémet, béni soit le Juge de vérité. Terrible ! Incroyable ! Impensable !
Un attentat sous nos fenêtres… à six mois près !
Le choc s’amplifie. Après avoir pris soin de coucher les enfants afin de les préserver de notre vive émotion difficilement dissimulable, nous apprenons, avec mon épouse, que l’attentat a eu lieu… sous les fenêtres, oui, littéralement sous les fenêtres de notre ancien appartement, où nous avons savouré quatre ans et demi de notre toute jeune Alyia ! Quand nous voyons les premières photographies des attentats, le choc est rude : policiers, militaires, secouristes en grand nombre juste sous l’ancienne fenêtre de notre salon, avec les médias du monde entier qui ne trouvent presque personne à interviewer le jour du Chabbath… Dans ce quartier si discret de Torah, si pudique, où l’écrasante majorité des familles n’ont pour média à la maison qu’un téléphone portable sans aucun accès internet ni SMS, étude de la Torah et préservation de la morale de la maison obligent !
Photo prise de mon ancien appartement peu avant le lever du soleil, alors que le soleil, comme une boule de feu, tente de brûler les derniers voiles de l’obscurité de la nuit.
Mon épouse ne se sent pas bien. Elle pleure. Elle réalise concrètement, et moi après elle, que j’aurais pu y être avec mon fils de 7 ans, à 20h15, en bas de chez nous, Hachem Yichmor. À quelques mois près, que se serait-il passé ? Nous évitons de nous faire trop de nœuds au cerveau, mais nous sommes obligés d’y penser, quand le sang macule ce sol béni de la Torah authentique de Jérusalem. Alors voilà, nous aurions prié avec mon fils aîné dans une petite synagogue « caravane » juste derrière Atéret Avraham, la grande synagogue prise pour cible, jouxtée par un petit parc pour enfants. Nous serions remontés chez nous sur les coups de 18h15, deux heures avant la tragédie. Nous aurions fait le Kiddouch, mangé, chanté, récité des paroles de Torah et… il aurait été 20h15, l’heure fatidique. Nous aurions été soit chez nous en train de raconter des histoires et de passer du bon temps, soit dans la rue pour faire une petite promenade de Chabbath - le temps étant exceptionnellement doux - ou peut-être serions-nous allés étudier au Beth Hamidrach, pourquoi pas de la synagogue Atéret Avraham où nous allions aussi prier et étudier ponctuellement.
Changer d’état d’esprit, pendant qu’il est temps
Imaginer que le pire nous a frôlé, voir le passage piéton de ce qui restera notre premier quartier d’Alyia sous les yeux du monde entier suite à un bain de sang… Tout cela oblige à une introspection profonde, encore difficile à mener, mais différente surtout. Nos pensées et nos prières vont bien sûr aux victimes, à leurs familles et aux blessés. Mais nous prenons intimement conscience que oui, la vie est fugace. Que tout peut s’arrêter brusquement, dans le silence ou dans le sang, à n’importe quel instant, et que nous pouvons laisser derrière nous ce que nous avons de plus cher. Il faut l’accepter.
Et nous sommes ainsi faits : c’est quand nous apprenons et que nous voyons que ça s’est passé « chez nous » que cela nous rentre dans la peau. Nous ressentons à différentes échelles tous les drames du monde. Mais quand ça se passe chez nous, l’intensité ressentie nous bouleverse à une toute autre échelle. Et c’est cette intensité que j’espère partager avec des mots simples.
Oui, nous devons être reconnaissants envers D.ieu, envers la vie qu’Il nous prodigue à chaque instant, et nous devons savoir tirer profit de tous les moments, des bons comme des moins bons. Oui, je vais désormais essayer de diminuer cette fâcheuse tendance à repousser à plus tard les Mitsvot qui se présentent, ces diamants d’une valeur inestimable qui accompagnent aujourd’hui nos regrettés disparus de Neve Ya'akov (Hachem Yikom Damam, que D.ieu venge leur sang) vers les plus belles allées, fleuries et verdoyantes, du Gan ‘Eden. Je vais essayer d’arrêter d’être négligent. Profitons de tout et sachons, ensemble, distinguer les supposées « urgences » du quotidien (vaisselle, ménage, rangement, factures, tâches professionnelles accessoires…) du « vraiment important », ce qui compte, le durable et le significatif : conjoint, famille, Torah et connexion avec le divin. Le matériel s’arrête toujours brusquement, tôt ou tard. Le spirituel, lui, demeure, il est éternel.
Léïlouy Nichmat, pour l’élévation de l’âme des victimes de l’attentat de Neve Ya'akov et pour tous nos disparus.
Réfoua Chéléma, bonne guérison, à toutes et tous.
Hachem, merci pour tout. S’il Te plaît, que cette épreuve soit la dernière des dernières avant l’arrivée du Machia’h.