Saviez-vous que les enfants, dès tout petits, sont capables d’intégrer et de retenir une quantité colossale d’informations ? Les nourrissons, même s’ils ne parlent pas encore, apprennent énormément de choses à travers les conversations entre adultes qui se déroulent autour d’eux. Plus encore, la recherche scientifique révèle que, in utero déjà, les fœtus écoutent et mémorisent les sons perçus. Bien que leur cerveau ne soit pas encore complètement développé, les bébés se rappellent de ces sons une fois nés.
Ce que la science découvre à notre époque est déjà révélé dans notre Paracha de cette semaine, dans laquelle on nous parle d’une Mitsva très particulière : le “Hakèl”. Le Hakèl était un événement émouvant qui avait lieu tous les sept ans, au cours duquel la nation entière se rassemblait. Les prêtres annonçaient le rassemblement en se tenant debout ensemble et en soufflant dans des Chofar en or, et le roi d'Israël sortait le Séfer Torah et en lisait certains passages, devant tout le peuple réuni : hommes, femmes et enfants. “Convoque le peuple entier, hommes, femmes et enfants, ainsi que l'étranger qui est dans tes murs, afin qu'ils entendent et s'instruisent, et révèrent l'Éternel, votre D.ieu, et s'appliquent à pratiquer toutes les paroles de cette doctrine.” [1]
Tout le monde sans exception devait être présent pour cet événement historique. Même les enfants ? Oui, même les nourrissons, répond la Guémara ! [2] Pourquoi cela ? Le Kabbaliste Rabbi Yossef Gikatilia nous donne une émouvante explication : c’était une évidence pour nos Sages que lorsque le petit vient, blotti dans les bras chaleureux de sa maman, et qu’il écoute des paroles de Torah, il y a un intérêt constructif puissant. Avec les tribulations de la vie, lorsqu’il sera en face de certaines difficultés, la Torah se sera inscrite en lui et sera associée avec les bras chaleureux de sa mère. Donc, quoi qu’il en soit, il reviendra toujours à la Torah, car chaque être humain a un languissement pour sa mère. [3]
En fait, l’atmosphère émotionnelle qui entoure la transmission de valeurs est encore plus importante que la teneur des valeurs qu’on essaye de transmettre. C’est ce qu’on appelle la notion de conditionnement : le rôle d’un parent n’est pas tellement d’expliquer de façon abstraite et intellectuelle à ses enfants pourquoi il est bien de faire telle ou telle chose, mais c’est faire en sorte que les sensations de l’enfant soient agréables au moment où on essaye de lui transmettre une valeur. Il ne faut pas chercher à le convaincre, mais il faut que l’enfant vive de façon positive avec ses cinq sens les valeurs auxquelles on veut qu’il adhère : il faut qu’il vive cette chose-là de façon agréable !
Par exemple, si je veux que mon enfant aime et garde Chabbath lorsqu’il sera encore adulte, il faut que, dès l’enfance, il associe Chabbath à une bonne ambiance, une ambiance de rires, de chants, de jeux et de bons plats parfumés. Si le Chabbath est pour lui synonyme de reproches, de tension, d’angoisses et de critiques ou d’humiliation, l’enfant va inconsciemment enregistrer dans son inconscient que c’est la chose qu’il voudra arrêter dès qu’il ne sera plus sous le giron de ses parents.
Et là, pendant le Hakèl, imaginez l'excitation d'être dans une immense foule de Juifs, tous concentrés sur un objectif commun et écoutant le même message dit par le roi d'Israël. Même si l’enfant ne comprend pas encore ce qu’il entend, même s’il est trop jeune pour apprécier pleinement la scène, l’empreinte émotionnelle durera tous les jours de sa vie.
De plus, on apprend de là, de toute évidence, que les enfants ont leur place à la synagogue, car tout simplement les enfants sont l'avenir de notre Torah. Le Midrach [4] dit que D.ieu ne nous a donné la Torah qu’à condition que nos enfants en soient les garants, c’est-à-dire les futurs porteurs des valeurs et des messages de notre Torah, pour toute l’éternité.
Une synagogue doit pouvoir être capable d'accueillir des enfants, car ce sont eux les garants du judaïsme. Pas seulement les tolérer, mais faire en sorte que leur expérience imprègne en leur for intérieur des sensations qui soient plus que positives. Leurs grands yeux écarquillés lorsqu’ils courent embrasser la Torah, leur enthousiasme à chanter les prières, leur joyeuse attente au moment où ils se réfugient sous le Talith de leur père pendant la bénédiction des Cohanim, sans oublier ce moment phare où ils chantent Yimlokh à tue-tête et que leur joie est à son apogée : tout cela doit faire partie régulièrement de l’atmosphère de la synagogue.
De toute évidence, outre le fait d’attendre un certain stade de maturité [5], il incombe aux parents de s'asseoir avec leurs propres enfants et de leur apprendre à se comporter à la synagogue. C’est pourquoi il ne faut pas les emmener trop tôt non plus, car, outre le fait de perturber la concentration des fidèles, on risque alors de faire l’effet inverse : on peut se mettre en colère face à la vitalité naturelle des enfants, et ainsi, ‘Hass Véchalom, créer un conditionnement négatif. C’est-à-dire que ce lieu leur évoquera un lieu hostile où Papa et Maman ne faisaient que leur crier dessus parce qu’ils passaient leur temps à chahuter et à déranger les gens qui étaient venus prier. Et pour eux, la synagogue sera alors, en leur fort intérieur, synonyme d’amertume...
Mais avant tout, il appartient aux communautés d’être en mesure d’accueillir les enfants, à la synagogue. Dans les pays anglo-saxons, il existe le principe du candyman : l’homme qui distribue les bonbons à la fin de l’office de prière. Certains adultes adorent la synagogue, car, pour eux, elle évoque secrètement la douceur de ces sucreries qu’ils recevaient pendant leur enfance ! Il existe aussi l’office des enfants : une salle est aménagée pour que les enfants prient à tue-tête avec tout l’innocence et l'enthousiasme, qui font la joie de leurs parents.
Une fois, le Rav Mordékhaï Eliahou a été invité dans une synagogue à Londres et, à la fin de l’office du vendredi soir, il s’est écrié : “Il n’y a pas de lumière ! Il fait sombre ! Il fait noir ! Je ne vois rien !”. “Mais il y a de la lumière”, s'écrièrent les fidèles ! “Le Rav fait peut-être un malaise ?” Puis, le Rav a repris en disant : “Il fait sombre, car une synagogue sans enfants est une synagogue sans lumière…”
L’avenir du judaïsme est nos enfants, il est de notre rôle de leur faire aimer toutes ses composantes, ses messages et ses valeurs en créant une connexion positive profonde dès le plus jeune âge, afin qu’à l’âge adulte, la Torah leur soit aussi douce et sucrée pour eux que le sont les friandises pour les enfants !
Chana Tova Oumétouka !
[1] Dévarim (31,12)
[2] ‘Haguiga 3a
[3] On dit aussi sur la mère de Rabbi Yéhochou’a ben ‘Hanania : “Heureuse est celle qui l’a mis au monde !” Pourquoi nos Sages s'expriment-ils ainsi ? Car sa mère emmenait son petit nourrisson au Beth Hamidrach où elle s’asseyait dans un coin, loin de tous les regards, et elle allaitait discrètement. Par son intelligence intuitive, elle a créé une association entre l’atmosphère agréable (les bras de sa maman) et la valeur (l’étude de la Torah). C’est grâce à elle qu’il est devenu un “Tana” : un éminent maître de la Michna.
[4] Midrach Téhilim 8
[5] Comment déterminer le stade de maturité d’un enfant pour pouvoir l'emmener à la synagogue ? Je partage avec vous le conseil de la Rabbanite Jeannine Lemmel : donner une friandise aux enfants qui restent à la maison, mais pas à ceux qui vont à la synagogue. Lorsque l’enfant se met à préférer aller à “la choule” plutôt que de recevoir la friandise, alors on peut estimer qu’il est assez mûr pour pouvoir y aller !