Ce vendredi, comme tous les vendredis depuis près de 35 ans, je terminais mes préparatifs en cuisine par le pétrissage de mon pain de Chabbath. J’étais seule et plongée dans mes pensées. Alors que mes mains sentaient doucement la pâte se former, je me mis à sourire et à me remémorer la fois où ma mère était venue chez moi me faire le pain.
C’était un vendredi matin d’été, très semblable à celui-ci, j’avais eu quelques soucis de santé après la naissance de mon troisième enfant, et ma mère, qui n’avait pas besoin que je formule la demande concrètement, avait deviné mon appel au secours. Elle avait donc tapé à ma porte avec les bras chargés de sa grande bassine magique, de farine, d’œufs et surtout d’une grosse dose d’amour et de soutien. Je me rappelle l’avoir faite entrer avec un regard ni étonné ni interrogateur, j’étais heureuse qu’elle soit là, elle qui avait toujours été mon roc et mon pilier.
Puis, avec l’élégance qui la caractérisait, elle se mit au travail de la façon la plus naturelle qui soit. Elle enfila son tablier et se mit à pétrir le pain sous mes yeux admiratifs et reconnaissants. Et pendant qu’elle mit la pâte à lever, elle prit une feuille, un stylo et un compas. Je la revois encore comme si c’était hier. Avec simplicité, elle forma un petit cercle au milieu de la feuille, à côté duquel elle écrivit mon nom, elle élargit un peu le diamètre et forma un deuxième cercle un peu plus grand qui entourait le premier, à côté duquel elle écrivit « mari et enfants », puis un troisième qui portait la mention « reste de la famille », et enfin un quatrième « reste du monde ». Son croquis n’avait pas besoin de légende, mais avec sa voix douce, elle m’invita à s’assoir à côté d’elle, et comme si cette scène avait eu lieu la veille, je me souvenais mot pour mot de ce qu’elle m’a dit :
« Ma fille chérie, la vie d’une femme est d’être sollicitée en permanence. Si tu veux garder l’équilibre et ta santé, tu ne dois jamais perdre ce croquis de vue, ton tableau de priorités. Tu ne dois pas te disperser, ce n’est pas ce que l’on attend de toi. Tout d’abord, tu dois savoir prendre soin de toi, ma fille, tu ne dois pas hésiter, il ne s’agit pas d’égoïsme, mais c’est en prenant le temps qu’il faut pour t’enrichir et t’épanouir que tu pourras mener ta mission à bien. Ensuite, garde en tête que ta priorité, c’est ton mari et tes enfants. Le reste va et vient dans la vie, mais eux seront toujours là, du début à la fin de ta vie. Ils méritent ton entier investissement. Et c’est uniquement lorsque ton noyau sera solide que tu pourras te permettre d’étendre ton aura à des cercles plus extérieurs.
Je sais que je t’ai communiqué ma passion pour le pétrissage des ‘Halot de Chabbath. Et c’est pour cela que je suis venue aujourd’hui le faire chez toi, car je savais que tu t’efforcerais à réunir tes maigres forces pour pétrir pour Chabbath. J’aimerais, alors que la pâte monte, te dévoiler aujourd’hui ce qui se cache derrière cette Mitsva que nous chérissons tant toutes les deux.
Ce commandement nous est ordonné dans ces quelques lignes : "Et ce sera quand vous mangerez du pain du pays, vous devriez apporter une offrande à D.ieu. Le premier de votre bol pétrisseur, vous ferez un don à D.ieu en offrande... "(Nombres 15: 19,20). A priori, il y a un problème chronologique dans la phrase, d’abord on pétrit, ensuite on mange. Pourquoi ces actions sont-elles inversées dans le verset ? C’est pour nous enseigner, ma princesse, qu’il ne faut jamais perdre de vue le but de chacune de tes actions. C’est vrai que l’on commence par pétrir la pâte, mais c’est dans le but unique d’avoir du pain à manger. Donc, on mentionne le but avant le moyen. Mais effectivement, une fois qu’on a notre but en tête, il faut que l’on sache comment le mener à bien, et surtout comment lui donner sa dimension spirituelle. Car, ma fille, je pense te l’avoir suffisamment dit durant ta jeunesse, chaque action, aussi banale et minime soit-elle, doit avoir une dimension spirituelle. Je nettoie ma maison pour créer un environnement propre et apte à servir le Créateur, je mange et dors pour avoir des forces pour m’améliorer et rendre fier le Maître du monde…
Pour en revenir au verset du pétrissage du pain, on nous dit, oui tu peux manger, mais dans le but de donner ton premier bol de pétrissage en offrande à D.ieu. Il ne s’agit pas d’une nourriture égoïste, purement physique pour satisfaire une pulsion animale. Et tout, dans la vie, vraiment tout, doit être ainsi. Donne une connotation spirituelle à chaque détail de ton quotidien, ma fille.
Une autre chose élémentaire que ce verset nous enseigne. Le bol de pétrissage est appelé « ’Arissa », le même terme qui désigne le berceau d’un bébé. Maintenant que tu es maman, je veux que tu saches que tout se passe autour du berceau. Il ne faut surtout pas se dire : “Il est encore trop petit pour ci ou ça” et banaliser certains actes sous prétexte qu’il ne comprend pas encore ou qu’on fera tout cela lorsqu’il sera plus grand. C’est faux ! Le berceau d’un bébé est là où tout commence, c’est l’endroit où ce petit être se façonne et prend son chemin. Il faut donc lui donner les bons outils pour devenir la meilleure personne qui soit, une personne qui rendra ses parents et Son Créateur extrêmement fiers.
Ma fille chérie, je suis extrêmement fière de la magnifique jeune femme et maman que tu es devenue, je ne veux pas que tu doutes de toi ou que tu perdes confiance en tes magnifiques capacités. Hachem a placé en toi des forces dont tu ignores l’existence, mais crois-moi, un jour où tu ne t’y attendras pas, elles feront surface et tu penseras à moi, à ce que je t’ai dit aujourd’hui et aux délicieuses ‘Halot qui nous apportent bien plus qu’une saveur inimitable. »
Ce vendredi-là, j’ai pensé à ma maman et à tout ce qu’elle m’avait transmis avec tellement d’amour et de confiance. Elle croyait en moi et je ne lui en serai jamais suffisamment reconnaissante. Je ne doutais plus de moi, de ce que je faisais et même de ce que je décidais de ne pas faire. J’avais tout simplement confiance en moi et en mon rôle. Ce Chabbath, je dégustai mon pain d’une façon très particulière, il avait un goût apaisant, rassurant et plein d’espoir.