On connait bien Ra’hel Iménou, mais sa soeur Léa, qui est également l’une de nos matriarches, est moins connue. Pire encore, elle est souvent présentée sous des traits peu valorisants : des yeux tristes, elle semble mal-aimée, et parfois même usurpatrice. Nous allons découvrir que Léa incarne, au contraire, des valeurs diamétralement opposées à ce qui vient d’être décrit.
Commençons par voir comment on nous présente généralement les choses…
Jacob se prépare à épouser Rachel qu’il avait rencontré 7 ans auparavant près du puits. C’est d’elle dont il était éperdument tombé amoureux, et c’est pour elle qu’il avait accepté de travailler pendant de si longues années. Le jour du mariage tant attendu arrive et le lendemain. Or, le matin, il s’avéra que c'était Léa (Béréchit 29,25) ! De façon surprenante, Lavan a interchangé ses filles, juste avant de rentrer sous la ’Houppa. Pour Jacob, ce fut une escroquerie tragique, et pour Rachel également, mais c’est elle qui a renoncé à l’épouser afin d’épargner la honte publique à sa soeur.
On peut se demander aussi comment Léa est parvenue à donner son accord à une telle escroquerie… elle a accepté de se substituer à sa soeur dont il est était amoureux. Comment pouvait-elle le regarder en face le matin ? Et le restant de ses jours ? Et comment a-t-elle pu se lancer dans un mariage sachant qu’elle n’était pas aimée dès le départ ?
Nous allons révéler le secret qui se cache derrière cela, et découvrir une personnalité hors du commun, qui lui a permis - alors qu’elle n’y était pas destinée - à se faire une place jusqu’à se hisser au rang de matriarche du peuple juif.
Complice de cette “escroquerie” par conviction et par inspiration Divine
C’est justement le fait qu’elle a agit avec audace, brisant le coeur de deux personnes, qui nous permet de comprendre qu’elle n’a pas agit sans raison. Cette décision d’y aller coûte-que-coûte a dû être prise en vertu d’un idéal supérieur, qui s’élevait bien au-dessus des sentiments de nos deux amoureux. C’est Léa qui a décidé qu’elle devait épouser Jacob : elle a pris cette décision de façon radicale et irrévocable, et c’est grâce à cette force qu’elle a agi. Elle a agit par inspiration Divine, et même Jacob, dès le lendemain, va approuver la chose.
En effet, lorsque Jacob découvrit au petit matin que c’était Léa, il se rebiffe contre la ruse de Lavan, mais il ne dit rien à Léa. A aucun moment il n’a cherché à divorcer d’elle, car notre patriarche a su par prophétie qu’elle a eu raison d’agir ainsi. De son côté, Léa se garde de toute explication. Elle a compris qu’elle n’a pas besoin de donner d’éclaircissement supplémentaire à Jacob pour qu’il accepte la situation. Tous deux savaient par inspiration Divine que D.ieu désirait et approuvait cette union.
Une femme pieuse
Nos maîtres affirment que, depuis que le monde a été créé, il n’y eut personne pour remercier Hachem jusqu’à Léa, qui Le remercia lors de la naissance de son fils Yéhouda, en disant : “Cette fois-ci, je remercie D.ieu” (Béréchit 29,35).
Le Midrach nous rapporte également qu’elle pleurait jusqu’à ce que ses yeux soient flétris (Béréchit 29,17), car elle craignait que son père la force à épouser Essav, le frère de Jacob. Pourtant, Essav était devenu un roi très important, sa descendance s’est répandue dans le monde entier, et plusieurs rois sont ses descendants. De l’autre côté, Jacob, affaibli, était devenu un berger qui fuyait son frère… et pourtant c’était avec lui qu’elle voulait se marier, car elle connaissait ses vertus et sa piété. C’est pour cette raison qu’elle pleurait : elle ne pouvait pas accepter un autre destin que celui de la spiritualité.
Elle est donc celle qui avait un destin tout tracé : elle devait épouser Essav qui, pourtant, était un homme riche, mais dénué de toute valeur spirituelle. Elle ne pu se résigner à vivre une vie de princesse, si elle n’était pas porteuse de sens. Elle désirait de tout son coeur vivre une vie spirituelle, même si c’était au prix du dénuement le plus total. Ainsi, elle est admirable pour ses convictions qui sont pures et totalement dénuées de recherche de confort matérielle.
Mais cela ne suffit pas d’avoir des convictions, elle s’est armée de la plus grande arme pour renverser son destin : la prière. Elle priait jour et nuit jusqu’à ce que les larmes versées en quantité infinies eurent un impact sur la beauté de ses yeux.
Enfin, elle ne s’est pas simplement contentée de la prière, elle a su passer à l’acte et même être audacieuse lorsque l’occasion immanquable s’est présentée le fameux jour tant attendu du mariage entre Jacob et sa soeur Ra’hel. Lorsque son père lui a dit de remplacer sa soeur, elle a saisi son destin et a osé y aller malgré tous les risques encourus.
Elle incarne donc l’abnégation de soi côtée d’une grande force de caractère, le tout accompagné d’une force de prière sans limite.
Les mandragores, une nouvelle preuve de la force de Léa
Dans l’épisode des mandragores avec son fils Réouven, nous sommes de nouveau en présence de la force de Léa. Lorsque Rachel lui demande de lui donner un peu de ses mandragores, qui sont des plantes ayant des vertus fertilisantes, Léa lui répond : “N’est-ce pas assez que tu te sois emparée de mon époux, tu voudrais aussi prendre les mandragores de mon fils ?”
Pourtant, c’est elle qui a pris Jacob à Rachel, et non le contraire ! C’est Rachel qui s’est comportée avec bonté et renonciation avec sa soeur en lui cédant son mari avec un dévouement incomparable, et maintenant voilà qu’elle l’accuse de lui prendre Jacob ?!
Mais Rachel ne répond pas… c’est une chose très claire pour elle que Jacob est le mari de Léa, tout autant que le sien. C’est pour cela que Léa marchande avec sa soeur et qu’elle lui donnera les mandragores seulement en échange de la nuit avec Jacob.
Ainsi, Rachel se soumet et accepte… et lorsque Jacob rentre à la maison, c’est Léa qui vient à sa rencontre et lui dit : “C’est chez moi que tu viendras.” C’est cette nuit-là qu’Issakhar sera conçu, et nos Maîtres la louent pour son acte. Cet épisode accentue encore le degré de détermination relatif à la décision de Léa, qui décide cela avec autoritarisme, sans crainte, et sans limite.
De l’indifférence à un amour profond et éternel : comment elle a su gagner l’amour de son mari
Selon les maîtres de la Kabale, Rachel représente le monde du dévoilement, et Léa est le monde du mystère, de ce qui est caché et secret. L’histoire avec Rachel est claire dès le début : il la rencontre près du puits et tombe amoureux dès ce moment-là. Par contre, pour Léa, même si le lendemain du mariage il accepte la situation, il est clair qu’il ne ressent rien pour elle.
Mais, petit à petit, Léa saura se faire sa place, et son mari l’aimera plus de jour en jour, jusqu’au jour de sa mort. C’est, en effet, Léa qui est enterrée auprès de Jacob, et non pas Rachel. Elle a su pertinemment faire preuve de patience et de persévérance pour gagner le coeur de son mari.
D’ailleurs, tous les noms de ses fils représentent l’amour graduel que Jacob va lui porter. Pour Réouven, Léa dit : “Car l’Eternel a vu ma douleur, maintenant mon mari m’aimera”. A propos de Chimon, elle dit : “C’est parce D.ieu a entendu que je suis haïe qu’Il m’a aussi envoyé cet enfant”. Ce fils viendra lui aussi renforcer le lien conjugal. Pour Lévi, elle dit : “Cette fois-ci, mon mari sera à mes côtés, car je lui ai donné trois fils”. Pour Yéhouda, elle dit : “Cette fois-ci, je remercie D.ieu (pour l’amour de mon mari qui grandit au jour le jour)”. Au sujet d’Issakhar, elle dit : “C’est le salaire que j’ai mérité de recevoir, grâce aux mandragores de mon fils”. Et, enfin, au sujet de Zévouloun : “Cette fois-ci, mon mari s’attachera à moi, car je lui ai engendré six fils”. La majorité du peuple juif descend de Léa. D’ailleurs, les juifs s’appellent ainsi Yéhoudim, car ils sont, pour la plupart, descendants de Yéhouda, le fils de Léa.
Cela représente deux types d’amour. Celui de Jacob pour Rachel, qui est romantique et visible. Mais il existe aussi une sorte d’amour plus graduel, plus profond et plus discret, mais aussi plus éternel, qui est représenté par celui de Jacob pour Léa.
L’édification du peuple juif
Comme on peut le voir, la vie de Léa n’a pas été des plus faciles. Elle a dû s’imposer en douceur à son mari et se faire sa place toute seule, armée de ses convictions et de l’aide Divine. Elle est délicate, mais elle a su s’armer d’une fermeté absolue lorsque des situations déterminantes pour son avenir et celui du peuple Juif se sont présentées à elle.
Léa représente, parmi nos quatre matriarches, l’aspect caché, mystérieux, de la dimension féminine. Elle incarne également l’amour graduel du mariage, gagné au prix de douceur et de persévérance au jour le jour. Elle est enfin la partenaire cachée mais éternelle de l’édification du peuple juif.
Inspiré par le Rav Chlomo A. (Les grandes figures féminines de la Bible)