Cela fait plusieurs années que je cherche mon Mazal. Au début, pour tout vous dire, tout ça me paraissait être une vaste comédie. Après chaque Chiddoukh, je courais raconter à mes copines comment s’était passée la soirée – nous rigolions à chaque fois à gorge déployée. C’était drôle. Mais ça, c’était à l’époque où j’étais encore dans les temps et où mes parents ne me mettaient pas de pression. « Quand elle grandira un peu, elle comprendra… », devaient-ils se dire.
Petit à petit, mes copines ont commencé à se fiancer les unes à la suite des autres. Aller aux mariages, c’était devenu un rituel. On s’habille bien, on se fait belle, on danse comme des folles, on s’embrasse en se souhaitant Mazal Tov et « bientôt chez toi ! », puis on rentre chez soi aux petites heures de la nuit. Et voilà, une autre copine qui ne fait plus partie de la bande. Une autre, puis encore une autre… À chaque mariage, je jetais un coup d’œil du côté des hommes et me demandais ce qu’elle avait bien pu lui trouver. De mon côté, la vie suivait son cours : je rencontrais un garçon, rompais, en rencontrais encore un autre, refusais à nouveau, jusqu’à ce que je me retrouve finalement la dernière de la bande à ne pas être encore mariée.
Le jour où j’ai commencé à « comprendre », c’est lorsque mes parents ont évoqué le mariage de mon petit frère.
C’était un soir où je revenais du mariage d’une de mes bonnes copines. Ravie – j’avais dûment accompli la Mitsva de réjouir les mariés – mais épuisée, j’étais rentrée dans ma chambre pour dormir. Mais bizarrement, un bruit m’empêchait de trouver le sommeil. C’était celui de mes parents, qui discutaient à voix basse dans le salon. Quelque chose dans l’intonation inhabituelle de leur voix a éveillé mon attention. Je me suis levée précipitamment et suis entrée dans le salon. À ma vue, mes parents se sont subitement arrêtés de parler. Puis, sur un ton inconnu jusque-là, ma mère m’a dit : « Sors s’il te plaît et va dormir. Cette conversation ne te concerne pas. » Sans comprendre, j’ai demandé : « Pourquoi, que s’est-il passé ? », ce à quoi ma mère a simplement répondu : « On ne peut pas continuer tant que tu es là. Va dormir s’il-te-plaît et ferme la porte. »
Comprenez : je ne suis plus une petite fille à laquelle on adresse des ordres sur ce ton depuis plusieurs années. Ça m’a blessée. Je n’ai rien dit. Je suis sortie et ai fermé la porte.
Quelques jours plus tard, j’ai cru déceler une certaine agitation à la maison. À moi, on ne m’a rien dit, contrairement à ma grande sœur qui, elle, est mariée. Quand je lui ai demandé : « Dis-moi, c’est quoi cette excitation à la maison ? », elle m’a répondu, tout de go : « Quoi, tu habites dans cette maison et tu n’es pas au courant ? Micka se fiance ! » Mickaël, mon petit frère, se fiance ? Donc ça veut dire qu’il avait commencé les Chiddoukhim ? Et il ne m’a rien dit ? Peut-être même que c’était le sujet de la conversation de mes parents l’autre soir ? Bon, disons que c’est parce qu’ils ne voulaient pas me vexer (c’est raté), mais dans ce cas, pourquoi même aujourd’hui Maman ne m’a-t-elle rien dit ? Donc, si je comprends bien, toute l’organisation gravite autour DU point le plus important : me cacher la chose ? Tout ça parce que je ne suis pas encore mariée ? Que pensaient-ils au juste, que Mickaël allait se marier sans que je ne m’en aperçoive ?
C’était vraiment trop drôle, je serais, moi, un obstacle sur le chemin de Mickaël ?!
Tiens d’ailleurs, parlons-en de Mickaël ! Où se cache-t-il celui-là ? À chaque fois qu’il a besoin de moi, je suis pourtant là pour lui ! Pour me taxer de l’argent, il sait où me trouver, par contre, pour m’annoncer ses fiançailles, soudain il a oublié mon numéro de téléphone ?
Mais pourquoi sont-ils si certains que je vais être jalouse ? Comprenez, au contraire, j’étais heureuse pour Micka. C’est mon frère ! Mais à cet instant, j’ai ressenti une terrible angoisse. J’ai voulu fuir, mais je ne savais pas où.
Je me suis enfermée dans ma chambre, pour pleurer. Quelques instants après, ma mère est entrée pour prendre quelque chose. Elle m’a vue. Au lieu de me consoler, elle m’a lancé : « Tu nous gâches toute la joie ». À ce moment, j’ai ressenti une colère indicible et me suis jurée de ne jamais faire subir cela à mes enfants. Mais comme je respecte mes parents, je n’ai rien répondu.
La soirée a commencé. J’ai rassemblé les quelques forces qu’il me restait, me suis rincée le visage et suis venue au salon avec tout le monde. Ils espéraient que j’offre mon aide pour le service (si je ne suis pas mariée, au moins que je serve à quelque chose, non ?), mais je n’en avais pas la force. J’ai collé un sourire sur mon visage et ai répondu poliment « Merci » aux dizaines de Mazal Tov qui fusaient de part et d’autre.
Au cours des jours qui ont suivi, j’ai senti quelque chose se briser en moi. Mickaël n’était pas venu me parler, ni ma mère. Petit à petit, la décision de ne pas assister au mariage s’est fait une place dans mon esprit. J’ai commencé à chercher un billet d’avion pour partir avec des copines ou tout autre plan qui me permettrait d’être autre part à la date prévue. J’avais juste envie d’être loin. De m’enfuir. De disparaître du paysage. J’avais si mal.
Finalement, j’ai renoncé à tout ça et suis venue au mariage, davantage comme une invitée que comme la sœur du marié. Pour tous, ce fut un mariage joyeux, sauf que pour moi, ça ressemblait plutôt à une descente aux enfers (le premier, parce qu’il y en a eu deux).
Quelque chose s’était brisé en moi. J’ai toujours su que ma mère n’était pas du genre à exprimer ses sentiments. C’est une femme d’actions, pas de paroles. Mais moi, je suis différente. C’est peut-être la raison pour laquelle mes élèves disent toujours que j’explique bien les concepts et que lorsque j’enseigne quelque chose de nouveau, elles sont certaines de comprendre. Je ne sais pas si j’ai raison, mais au fond de moi, je suis heureuse de disposer de cette capacité à mettre des mots sur mes sentiments, contrairement à Maman. Quoi qu’il en soit, depuis le fameux soir, nos relations sont au plus bas. Nous ne nous adressons quasiment plus la parole, sauf pour dire des banalités ou traiter de détails techniques.
La seconde fois que c’est arrivé, je n’ai pas mis autant de temps à comprendre que la première. Dès que j’ai entendu les conversations à voix basse en direction du salon, décelé de l’agitation à la maison et surpris des chuchotements derrière mon dos, j’ai tout de suite compris. C’est pourquoi, cette fois, je me suis bien gardée de poser des questions. Je n’attendais de toute façon aucune réponse. J’ai décidé que je ne laisserai personne me gâcher l’ambiance.
Cette fois-ci, c’est au tour de Ruben, mon « bébé », comme je l’appelle. Contrairement à Micka, Ruben a fait l’effort de venir me voir, pour me parler un peu de sa fiancée et de sa famille. Je l’adore, Ruben. À son mariage, j’étais vraiment contente, je n’ai pas arrêté de danser. En prime, j’ai gagné que les autres membres de la famille ont cessé de s’éloigner de moi, comme si j’étais atteinte d’une bactérie contagieuse. J’étais à la fois heureuse pour lui, et aussi un peu triste pour moi.
Décidément, je ne comprendrai jamais leur manière de s’y prendre. Ils auraient pu tout simplement me faire participer aux préparatifs, j’aurais offert mon aide avec joie ! Mais ils ont choisi a priori de décider que j’étais étroite d’esprit, jalouse, acariâtre. Dommage.
Quelque temps après, je suis rentrée un jour à la maison après une rude journée de travail. J’attendais impatiemment de retrouver mon lit pour pouvoir me reposer un peu. La maison était calme, seul Papa était là. D’un coup, alors que je passais dans la cuisine, il m’a lancé : « Que fais-tu ici ?
- Comment cela, qu’est-ce que je fais ici ? Je reviens du travail !, ai-je répondu, sans comprendre.
- Non, tu n’as pas compris. Je te demande ce que tu fais ici, dans cette maison. Pourquoi tu n’es toujours pas mariée ?
- Ça te dérange, Papa, que je sois ici ?
- Oui, énormément.
- Pas de problème. Dans ce cas, je m’en vais. »
Je suis rentrée dans ma chambre et ai commencé à préparer ma valise. Quand mon père est allé dormir, je suis sortie discrètement. Rien de très sérieux, je vous rassure, je suis juste partie m’installer quelques jours chez une copine. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un appel de ma sœur Liora : « Anaëlle, on peut savoir où tu es ? Allez reviens ! Papa veut te voir… » Pas facile certainement de faire face aux regards des gens du quartier qui semblent vous dire : « Ce n’est pas correct pour une jeune fille de partir de chez elle ! » Dans mon cœur, j’espérais quand même que ce ne soit pas la seule raison de leur désir de me voir revenir auprès d’eux.
Depuis, j’ai retrouvé ma place dans la famille. Ils ont compris que j’étais un être humain avec des sentiments, des joies, des difficultés aussi parfois. Ils prennent garde de ne pas me blesser.
Quant à moi, j’ai compris que je devais urgemment procéder à quelques changements dans ma tête. Tout d’abord, comprendre que ce n’est pas parce que ma mère a du mal avec l’expression de ses sentiments que je devais me laisser abattre. Chacun est différent et a défauts comme des qualités. Et des qualités, elle en a. J’ai aussi compris qu’elle, tout comme mon père, ne veulent que mon bien. Qu’ils ont de la peine de me voir encore célibataire à 28 ans. Je les comprends, ce n’est pas facile pour des parents.
Et enfin, j’ai réalisé la chose la plus importante, celle que j’ai mis tant d’années à intégrer et contre laquelle nous mettent en garde nos Sages dans la Michna : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et si ce n’est pas maintenant, alors quand ? » C’est vrai, il y a 8 ans, j’étais encore une enfant immature, imperméable à toutes ces choses si évidentes pour moi aujourd’hui.
C’est plus forte, mais aussi plus sensible, que je cherche aujourd’hui mon Mazal. Et surtout, l’idée que je ne suis pas seule dans ce cas me procure les forces de faire face. Je prie du fond du cœur pour que tous les célibataires, où qu’ils soient, trouvent rapidement leur Zivoug afin de fonder un foyer heureux dans le chemin de la Torah !
Affectueusement,
Anaëlle pour Torah-Box