Il y a de longues années, mon grand-père maternel, le Rav Gaon et Tsadik Tsvi Hirsch Hakohn, un éminent Roch Yéchiva en Hongrie et grand-rabbin de Budapest, avait pointé une difficulté dans un passage de la Torah (Genèse 25) indiquant qu’Its’hak aimait Essav en raison du gibier qu’il lui apportait.
Peut-on s’imaginer qu’Its’hak, un Tsadik, un modèle de sainteté et de spiritualité, prêt à être sacrifié, qui avait offert sa vie à D.ieu, ligoté sur l’autel, et vu des anges planer au-dessus de lui, dont l’âme atteignait les Cieux - aimerait Essav parce qu’il lui avait apporté du gibier ? Its’hak aspirait-il à obtenir du gibier ? Un tel scénario est-il concevable ?
« Alors comment comprendre ce passage ? », interrogea mon grand-père.
Il se mit alors à expliquer que le terme employé dans la Torah pour « gibier » était « Tsayid », qui signifie également « arme. » Le fait même que le saint patriarche pouvait aimer son fils pervers et égaré est l’arme par laquelle il a pu défendre tous les Juifs qui s’étaient écartés du droit chemin.
« Si moi, un homme de chair et de sang, suis capable d’aimer mon fils de manière inconditionnelle, certainement Toi, D.ieu Tout-puissant, dont la compassion et l’amour sont infinis, doit nous aimer, Tes enfants, de manière inconditionnelle » ; c’était la défense la plus puissante que le peuple juif possédait.
Pour illustrer ce passage, mon grand-père relata l’histoire du Rebbe de Tzernovitz. Il avait également un fils rebelle. Les membres de sa communauté étaient si outragés par la conduite du garçon, et craignaient tant qu’il ait une influence terrible sur d’autres jeunes gens de la communauté, qu’ils nommèrent un comité pour porter l’affaire devant le Rebbe lui-même. Ils étaient persuadés qu’une fois tenu au courant du problème, il bannirait son fils.
Quelques jours avant Yom Kippour, ils se présentèrent dans la maison du Rebbe. Ils le trouvèrent plongés dans les prières de pénitence.
« D.ieu Tout-puissant, perça la voix du Rebbe par la porte. Je sais très bien que nous, Ton peuple, ne méritons pas Tes faveurs. J’avoue que nous avons transgressé Tes commandements, mais, néanmoins, je T’implore de nous pardonner et de nous accorder une vie de bien et d’abondance. Si Tu avançais que je n’ai aucune base pour présenter une telle requête, et que Ton peuple ne mérite pas Ta générosité, je Te répondrai que d’autres n’en ont peut-être pas, mais moi, le Rabbi de Tzernovitz, en ai : je suis un père, et mon fils s’est rebellé contre moi. Or, mon D.ieu, si quelqu’un venait me suggérer de le renier, de le chasser de chez moi, je jetterais cette personne dehors, car quelle que soit la situation, mon fils reste mon fils. »
Les membres du comité, entendant la prière de leur Rebbe, tremblèrent de honte. Sans prononcer un mot, ils quittèrent les lieux.
Or, sans que le Rebbe et le comité n’en soient informés, le fils rebelle avait également entendu la prière de son père. Incapable de se retenir, il fondit en larmes, inconsolable. Au milieu de ses larmes, le garçon fit le vœu silencieux de justifier l’amour infini de son père.
En effet, ceci a toujours été l’attitude juive envers nos enfants rebelles. Chaque parent doit prendre en considération que chasser un enfant peut le conduire à s’enfoncer encore plus profondément. Au moins, tant qu’il est à la maison, il voit encore le Chabbath, les jours de fête, il entend encore la voix de ses parents, même s’il semble qu’il n’écoute pas, qu’il n’entend pas.
De plus, tant qu’il est à la maison, les parents peuvent engager quelqu’un qui a de l’expérience avec de tels enfants. Le plus important : l’enfant saura au fond de lui-même que ses parents l’aiment sans condition - et ce fait-là, en soi, le renforce.
Nos patriarches, nos matriarches, et nos Sages savaient que dans la Néchama de chaque enfant juif se trouve une pintele Yid, une étincelle juive, et même si elle semble se consumer, cette étincelle juive peut être ravivée et devenir une flamme puissante. N’osons pas perdre ceci de vue.
Néanmoins, de nombreux parents expriment leur crainte de garder un tel enfant à la maison. Ils redoutent qu’il puisse détruire les opportunités de Chidoukhim de ses frères et sœurs. Ils craignent qu’il puisse influencer d’autres enfants dans la famille à quitter le Dérekh, la voie du judaïsme authentique.
Je connais très bien les arguments avancés par ces parents : « Il est plus facile de suivre les personnes mal intentionnées que bien intentionnées » ; « Il est plus facile de passer entre les mailles du filet que de garder le cap et suivre la voie de la Torah » ; « Cela ne marcherait pas, mon fils/fille est allé(e) bien trop loin - il/elle n’écoutera jamais » ; « S’ils essayent, ils vont finir par se disputer bêtement » ; « Rabbanite, vous ne pouvez pas vous imaginer la situation à la maison, mon fils rentre à des heures impossibles et ne sait plus où il a été, ou ce qu’il a fait, il boit, fume… » ; « Vous ne pouvez vous imaginer comment il/elle s’habille. C’est embarrassant ! »
Cette réalité m’est parfaitement connue, mais je tiens à vous dire quand même que le pouvoir de l’amour est la seule chose qui peut les toucher. Oui, le pouvoir de l’amour et de la gentillesse inconditionnels aide - et je parle à partir d’une expérience réelle plutôt qu’en m’inspirant d’une théorie abstraite.
C’est dans cette optique que j’ai créé Hinéni et ai tendu la main à notre peuple. Cet enseignement que mes saints parents ont gravé dans mon cœur m’a guidé tout au long de l’existence.
J’ai été en contact avec de nombreux adolescents chassés de leur foyer et de leur école, et, une fois de plus, je dois insister que le moyen le plus efficace de les toucher est de leur donner des Brakhot et de l’amour. Je ne dis pas que c’est facile. C’est une terrible épreuve pour toutes les personnes concernées.
Je comprends qu’il soit plus facile d’être envahi par la rage, mais ayons en tête les conséquences et interrogeons-nous : que se passera-t-il si nous nous emportons et crions, et traitons de tous les noms notre adolescent ? D’un autre côté, si je me retiens, je lui réponds calmement, et lui montre que ma tristesse l’emporte sur ma colère, j’ai une chance de l’atteindre. Ce n’est pas en vain que nos sages nous ont enseigné : « Qui est sage ? Celui qui prédit l’avenir. »
De toute évidence, nos sages ne se référaient pas à la prophétie, mais à prédire les conséquences de nos actes.