Ralph Waldon Emerson a dit un jour : « Tes actions sont si bruyantes que je ne parviens pas à entendre ce que tu dis. » Lorsque nous disons une chose et communiquons un message différent par nos actions, nos priorités et nos valeurs, nous étouffons nos propres voix. Il n'y a pas d'instrument plus finement calibré pour détecter l'hypocrisie et la duplicité qu'un enfant.
Notre Paracha fait le récit du fils rebelle. Nos Maîtres nous enseignent que les critères pour obtenir ce label n'ont jamais été et ne seront jamais atteints, et qu'un tel enfant n'existe qu'en théorie. Or, une série de versets sont consacrés à ce sujet, du fait qu'il y a beaucoup à y apprendre sur l'art d'être parent et l'éducation.
Rachi explique que le terme Sorér (Ben Sorér Oumoré) provient de Sar, le fait de s'écarter du droit chemin ; l'enfant ne répond pas à nos attentes et à nos espoirs. La Torah nous dit qu'il ne peut entendre Kol Aviv Oukol Imo, la voix de son père et la voix de sa mère. La Torah ne dit jamais un mot de trop, or, le texte aurait pu être formulé ainsi : Békol Aviv Véimo, la voix de son père et de sa mère. Cela nous indique que la répétition du terme Kol, la voix, n'est ni redondante, ni superflue. En réalité, il y a d'une part la Kol Aviv, le message et les valeurs du père, et d'autre part, Kol Imo, le message et les valeurs de la mère.
Lorsque les enfants reçoivent des messages ambivalents, des valeurs contradictoires et incohérentes, tout devient trouble. Ils cessent d'être attentifs, commencent à partir à la dérive (Sorer) et finissent par devenir Moré (la rébellion). Les parents ne sont pas les seuls à influencer et à élever un enfant, il faut compter aussi sur les grands-parents, l'école, la synagogue, et tous les adultes de la communauté vers lesquels ils se tournent comme modèle et source d'inspiration. Nous devons être à la même enseigne et projeter un message cohérent de nos valeurs, de qui nous sommes et de ce que nous attendons d'eux.
Le Or Ha'haïm Hakadoch, Rabbi 'Haïm ben Attar, relève que le verset ne dit pas : Éno Chomé'a, mais : Énéno Choméa. Il existe une grande différence entre les deux expressions. Éno signifie qu'il n'écoute pas, et Énéno qu'il ne peut pas écouter, en raison d'un blocage empêchant le message de pénétrer. Nos enfants et petits-enfants ne peuvent littéralement pas entendre ce que nous disons lorsque nos actions contradictoires sont bien plus bruyantes.
Si votre enfant ou petit-enfant vous demande : « Est-il plus important pour toi que je sois heureux et que je réussisse, ou que je sois bon ?», que lui répondez-vous ? J'espère que notre réponse sera la bonté. Or, même si nous semblons l'affirmer de vive voix, nous communiquons clairement un autre message. D'après une étude récente effectuée par des chercheurs de l'école d'éducation de Harvard, si on leur demande si les parents sont plus intéressés par les performances et le bonheur ou leur attitude bienveillante envers autrui, 80 pour cent des enfants répondent que leurs parents se préoccupent plus de leurs succès et de leur bonheur. Dans la même étude, les enfants ont plus tendance à classer le « travail assidu » au-dessus de l'honnêteté.
Et l'étude de conclure : « Mais lorsque les jeunes gens ne donnent pas la priorité à la bienveillance et à l'honnêteté sur ces aspects de réussite personnelle – et lorsqu'ils voient leurs pairs encore moins enclins à placer en priorité ces valeurs éthiques – ils risquent davantage de développer des comportements destructeurs, comme la cruauté, le manque de respect et la malhonnêteté. Ces formes de mal sont trop fréquentes. La moitié des élèves de secondaire admettent avoir triché à des examens, et près de 75 % reconnaissent avoir copié les devoirs d'un autre élève. Près de 30 % des élèves du collège et du lycée ont dit avoir été victimes d'intimidation lors de l'année scolaire 2010-2011.
« À la racine de ce problème se trouve peut-être un écart entre la rhétorique et la réalité, entre ce que les parents et autres adultes déclarent comme priorités absolues et le message réel qu'ils véhiculent dans leur conduite au jour le jour…Et voici l'ironie : l'accent sur le bonheur et sur la réussite dans les communautés aisées, ne semble pas accroître les réussites ou le bonheur des enfants. »
Dr Richard Weissbord, l'un des auteurs de l'étude, déclare : « Nous devons œuvrer pour cultiver la préoccupation des enfants pour les autres, car c'est fondamentalement cette direction qu'il faut suivre, et aussi, lorsque les enfants peuvent faire preuve d'empathie et endosser des responsabilités pour les autres, ils sont plus enclins à devenir plus heureux et à réussir mieux, auront de meilleures relations interpersonnelles toute leur vie. Or créer des relations solides est l'ingrédient clé du bonheur. »
Rav Chimchon Raphaël Hirsch relève que la Torah décrit le Ben Sorer Oumoré non seulement comme un enfant rebelle, mais aussi comme un Zolel Vésové, un glouton qui s'autorise librement la consommation de viande et de vin. Rav Hirsch explique que l'emphase inappropriée à la maison sur la nourriture et la boisson, la réussite et la complaisance, conduisent à la rébellion. Les parents, dit-il, doivent se préoccuper davantage des valeurs, de la conduite, de la sensibilité et de la gentillesse de l'enfant que de la quantité et de la qualité de nourriture qu'il consomme. Nous nous concentrons sur le fait que nos enfants soient bien nourris, bien habillés et heureux, ce qui est important. Mais nous devons nous focaliser davantage sur leur personnalité et leur conduite que sur leur bonheur. Ils doivent savoir que nous attachons plus d'importance à leur préoccupation pour le bonheur des autres que leur propre bonheur.
Weissbord offre quatre recommandations pour élever des enfants bienveillants :
1. Les enfants et les jeunes gens ont besoin d'opportunités constantes de manifester leur compassion et leur aide, parfois sous l'égide d'adultes. Apprendre à être compatissant ressemble à l'apprentissage d'un instrument, il faut une répétition au quotidien. Encouragez votre enfant à aider son ami à faire ses devoirs, à aider à la maison sans être rétribué et à être bénévole. Lorsque vous discutez avec votre enfant ou petit-enfant en fin de la journée, ne les interrogez pas seulement sur leurs notes et leurs tests, mais demandez-leur s'ils ont fait ce jour-là une bonne action pour quelqu'un d'autre.
2. Les enfants et jeunes gens ont besoin d'apprendre à faire zoom avant et zoom arrière. Ils doivent prêter une oreille attentive et s'occuper de ceux qui évoluent dans leur entourage immédiat, comme leur famille et leurs amis, mais ils doivent également apprendre à faire zoom arrière et à rechercher ceux qui sont trop souvent invisibles, comme un nouvel élève dans la classe, ou le gardien de l'école qui se sent largement ignoré et isolé.
3. Les enfants et jeunes gens ont besoin de modèles forts. « Véchinantam Lévanékha Védibarta Bam, Béchivtékha Bévétékha Ouvélékhtékha Badérekh… Tu les inculqueras à tes enfants et tu t'en entretiendras, soit dans ta maison, soit en voyage, en te couchant et en te levant. » La Torah nous prescrit d'enseigner à nos enfants et nous présumons généralement que nous l'accomplissons par le Védibarta Bam, en articulant verbalement nos valeurs. Mais en vérité, ils apprennent bien plus par le Béchivtékha Bévétékha (soit dans ta maison) notre conduite à la maison, le type de conversation que nous avons et les activités dans lesquelles nous nous engageons. Ils apprennent de Vélekhtékha Badérekh (en voyage, ce que nous faisons en chemin. Nous devons chercher des occasions de partager des moments dans notre journée où nous avons fait preuve de bonté envers quelqu'un ou lorsque nous avons-nous-mêmes bénéficié d'une bonté de quelqu'un d'autres, et le sentiment que nous avons éprouvé. Si nos actions coïncident avec nos paroles, nos idéaux passeront clairement.
4. Les enfants doivent être guidés à gérer des sentiments destructeurs. La colère, la honte, la convoitise et d'autres sentiments négatifs surviennent, et nous devons leur enseigner que ces sentiments sont acceptables, mais doivent être traités de manière constructive s'ils veulent être résolus, mais sans dépasser leur faculté à se préoccuper des autres.
Comme notre Paracha le souligne, Hachem est autant attaché – si ce n'est plus – à une conduite d'honnêteté, de justice, et de bonté qu'à notre observance de Ses lois. Le meilleur cadeau que nous pouvons donner à nos enfants est de ne pas leur faire croire que le monde tourne autour d'eux, nous devons les aider à percevoir que le but du monde est d'aider les autres.
La Paracha conclut par les lois sur la nécessité de posséder des poids et mesures honnêtes et décrit que celui qui agit à l'inverse est une Toéva, une abomination. Or, le verset utilise deux phrases - Kol Ossé Elé, Kol Ossé Avel, l'un qui fait « ceux-ci, » et l'un qui commet une "injustice". Rav Ména'hem Bentsion Zaks, dans son ouvrage Ména'hem Tsion, propose une interprétation novatrice. L'abomination, explique-t-il, est lorsqu'un homme Ossé Élé, étudie la Torah et fait des Mitsvot, et néanmoins, Ossé Avel, fait preuve de malhonnêteté, d'un manque d'intégrité et de désobligeance. D.ieu n'a pas de tolérance pour une personne animée de duplicité. Pour Hachem, il est répugnant et méprisable d'apparaître comme religieux et pratiquant et d'être pourri jusqu'à la racine lorsqu'il est question d'honnêteté et de droiture.
Porter une Kippa et aller à l'école juive offrent de nombreuses informations, connaissances et leçons. Néanmoins, nos enfants sont au final façonnés surtout par ce qu'ils estiment que nous, les parents et grands-parents, apprécions le plus. Lorsqu'on interroge nos enfants si leurs parents sont davantage attachés à la réussite et au bonheur ou à la bonté, faisons tout notre possible pour nous assurer qu'ils connaissent la bonne réponse.
Rabbi Efrem Goldberg