Il y a bien longtemps, lorsque j’étais une jeune Rabbanite, j’avais une vision : éveiller le judaïsme américain et le ramener au ‘Am Israël, le peuple juif.
A cette époque, « Israel Bonds » organisait une célébration annuelle pour ses donateurs au Madison Square Garden, à Manhattan. Si vous achetiez une action pour un nombre « x » de dollars, vous aviez droit à une entrée libre et pouviez participer à un « show spectaculaire » avec des stars d’Hollywood. Une fois, un membre de notre communauté m’offrit, ainsi qu’à mon mari, de mémoire bénie, deux tickets pour ce programme. Je sortis de cette soirée avec des sentiments de colère et d’indignation. « Comment pouvaient-ils faire cela ? », protestai-je auprès de mon mari, aussi scandalisé que moi.
Après deux mille ans de Galout, d’exil, Hachem nous a donné le mérite de rentrer à la maison sur notre terre, de retrouver cette terre ancienne qui s’était transformée en désert… un exploit que tous ceux qui avaient conquis la terre n’avaient pas réussi pendant le millénaire passé. Un exploit doublement électrisant, car, à la genèse de notre histoire, nous étions un peuple de fermiers, au cours des longues années de notre exil amer, nous n’avions pas le droit de posséder de terre et étions forcés de devenir des hommes d’affaires ou de choisir des professions libérales. Nous n’avions aucune notion d’agriculture, de la manière de planter, de cultiver ou d’irriguer la terre, et pourtant, nous avons réussi « le miracle». En quelques années, nous avons restauré le désert aride et créé une terre dans laquelle des fruits, légumes et des forêts magnifiques ont poussé. Mais ce n’est pas tout. Nous, les squelettes d’Auschwitz, qui, pendant plus de 2000 ans, n’avons jamais eu le droit de tenir un pistolet en main ou de nous défendre… nous, les opprimés de la terre, avons créé une armée triomphante qui a impressionné les plus grandes puissances du monde. Oui, nous avons atteint l’impossible, ce que vous ne lisez que dans les romans.
Je pourrais continuer encore et citer « l’impossible », qui, en un clin d’œil, est devenu possible. En très peu d’années, nous avons atteint ce qu’aucun autre pays n’aurait pu réussir sur de très longues années. Comment ?
Même les aveugles doivent voir la Main de D.ieu… Même les sourds doivent entendre la Voix de D.ieu… Même l’agnostique doit trembler devant ce qui est impondérable. Même lui doit reconnaître le miracle incroyable qui pointe obligatoirement vers D.ieu. Face à cette réalité, comment se peut-il que des milliers de Juifs se rassemblent à Madison Square Garden pour baigner dans la lumière de stars d‘Hollywood, plutôt que de célébrer ce remarquable miracle, d’adresser des louanges à Hachem, et de baigner dans Sa sainte lumière ?
J’étais troublée, je ne pouvais me résoudre à l’idée qu’ils levaient des fonds pour notre pays nouveau donné miraculeusement, et qu’ils offraient à des stars d’Hollywood le devant de la scène plutôt que de remercier D.ieu ! Comment avons-nous pu oublier si vite ? Mais en réfléchissant à deux fois, peut-être que le terme d’ « oublier » n’est pas approprié. Oublier signifie qu’un jour, vous avez compris. Mais il s’agit d’une génération qui n’a jamais compris, une génération spirituellement orpheline, une génération dénuée de mémoire… une génération qui ne peut se rappeler de l’événement capital du Sinaï. Comment se souvenir de quelque chose qu’ils n’ont jamais connu ?...
Ce soir-là, au Madison Square Garden, je dis à mon mari, le Rav Méchouelm Halévi Jungreis : « Si j’avais un organisme, si je pouvais lever les fonds nécessaires, je réserverais Madison Square Garden et lancerais un appel à notre peuple, jeunes et vieux, de tous les horizons, de tous les bords… je les mettrais au défi de se saisir du moment pour se joindre à moi dans la découverte de notre passé, et d’embrasser la Torah Divine. Je les mettrais au défi d’allumer cette Pintele Yid, cette étincelle juive présente dans chaque cœur juif. »
C’était une vision : un espoir qui, d’après moi, n’était pas près de se réaliser. Mais mon mari ne cessait de me répéter : « "Bédérekh Chéadam… Sur la voie qu’un homme désire emprunter, il sera conduit...". Si tu le veux vraiment, si tu le souhaites sincèrement, Hachem ouvrira les portes pour toi », et mon père, le Rav, Gaon et Tsaddik Avraham Halévi Jungreis, me rappela qu’il était écrit : « "Oubérakhtikha… Et Je te bénirai dans ce que tu entreprends…" Du, mein kind...tu dois agir, mon enfant, et les bénédictions viendront de D.ieu. »
C’est une longue histoire, et ce n’est pas le lieu de la raconter, il suffit de mentionner que, miraculeusement, les choses commencèrent à prendre forme. Mon père et mon mari m’accompagnèrent chez des Guédolim, de grands Sages en Torah, pour obtenir l’avis de la Torah, ainsi que leurs Brakhot, qu’ils nous donnèrent de tout cœur. Ainsi armés et fortifiés, nous nous sommes rassemblés par milliers au Madison Square Garden. Baroukh Hachem, ce soir-là surpassa tout ce que j’avais imaginé… Ce soir-là, Hinéni était né pour tendre la main aux Néchamot juives de par le monde.
Ce soir-là, le Chéma’ Israël a résonné dans la grande salle. Des cœurs ensommeillés sont revenus à la vie et les gens ont eu les larmes aux yeux. La Pintele Yid, l’étincelle juive a été touchée et s’est transformée en flamme ardente.
Mais outre le Chéma’ Israël, il y avait une autre chanson que nous entonnions, un reflet douloureux de notre génération… Un chant venu de notre passé ancien, proclamé par le Prophète Amos : « Hiné Yamim Bayim… des jours viendront pour nous, dit le Seigneur, et J’enverrai une famine sur la terre, pas une famine de pain, ou une soif d’eau, mais une faim pour la Parole de D.ieu. »
Pour illustrer la réalité bouleversante de ce chant, je relai l’histoire de Mélanie, qui avait paru à cette époque dans tous les journaux… Mélanie était une étudiante juive typique, intelligente, attirante. Elle venait d’une famille aisée et profitait de toutes les bonnes choses de ce monde.
Elle ne manquait de rien, mais était très troublée et souffrait de cette famine décrite par Amos. C’était l’époque de Woodstock, où les jeunes gens cherchaient désespérément un sens à la vie. Hélas, ils n’avaient aucun ancrage, rien qui pouvait élever leur vie. Pour échapper au vide de leur existence, ils tentèrent de se réaliser à travers les drogues, l’alcool, et un style de vie décadent et immoral. Donc Mélanie, dans sa quête pour satisfaire sa soif, se lança dans l’aventure. Elle alla étudier à l’université de Tel-Aviv, mais, là aussi, elle trouva un désert spirituel. Puis elle passa à la suite et rejoignit les plages d’Eilat, mais toutes les eaux de l’océan ne pouvaient étancher sa soif… A Eilat, on lui dit qu’elle pouvait trouver ses réponses à Kaboul, en Afghanistan… Elle se mit à nouveau en route. Et c’est à Kaboul, au marché des volailles qu’elle eut une overdose et sa jeune vie trouva sa fin absurde avant même d’avoir vraiment commencé.
« Mélanie, Mélanie », m’écriais-je ce soir-là au Garden, et en prononçant son nom, je pensais à toutes les Mélanies, toute notre jeunesse juive perdue dans le désert spirituel du vingtième siècle. « Mélanie, Mélanie, si seulement on t’avait parlé de ce moment au Sinaï où tu as entendu la voix de D.ieu, lorsque tu es entrée dans Son alliance de sainteté et que tu as été chargée de la mission sacrée de vivre conformément à Sa Torah et de devenir une lumière pour toute l’humanité. Si quelqu’un t’avait expliqué qu’enfouie dans ton âme se trouve la Pintele Yid, si puissante qu’elle peut repousser l’obscurité la plus dense… » Je me tournai vers l’assistance et leur demandai de réfléchir à la tragédie de s’être tenu au Sinaï et d’avoir cherché un sens dans un marché aux volailles d’Afghanistan… la tragédie d’être né Juif et d’ignorer qui on est.
Les choses ont-elles changé depuis ? Les « Mélanie » du 21ème siècle ont-elles retrouvé leur chemin vers leurs racines, vers leur héritage, vers leur Torah ? Ou parcourent-elles encore l’Afghanistan ?
Je crains que la réponse soit malheureusement positive. La maladie prédite par le Prophète nous accable encore. Oh oui, je suis au courant du remarquable mouvement de Ba’al Téchouva, Hinéni a été parmi les premiers à le lancer dans le monde entier. Lorsque nous avons organisé notre soirée au Madison Square Garden, le mouvement de Ba’alé Téchouva était virtuellement inexistant. Aucun des organismes dominants d’aujourd’hui n’était encore présent sur la scène. Je me souviens parfaitement de mes débuts, la communauté juive pratiquante considérait avec un grand scepticisme l’idée du Kirouv, de rapprocher les Juifs du judaïsme. « Cela ne durera pas, m’assurèrent-ils, en peu de temps, ils reviendront à leurs anciennes habitudes. Rabbanite, vous perdez votre temps ! »
Quant à la communauté juive laïque, elle me regarda avec suspicion. Ils craignaient que j’endoctrine à la manière des missionnaires leurs enfants pour les immerger dans la Torah. Mais, grâce à D.ieu, le mouvement des Ba’alé Téchouva a pris un puissant envol, et dans chaque ville, chaque pays où j’ai pris la parole, notre peuple vient par centaines… même par milliers, et Baroukh Hachem, ils viennent encore, et même lorsqu’il y a une barrière de langue, elle se dissipe face à la Torah.
Aujourd’hui, une nouvelle génération de Ba’alé Téchouva a vu le jour et a revitalisé notre peuple… Mais, malgré tout cela, Mélanie est encore parmi nous. A coup sûr, sa position a changé, hier, elle cherchait des racines spirituelles… aujourd’hui, elle n’y aspire plus. Aujourd’hui, elle est en colère et aliénée… Elle a été nourrie de la haine venimeuse et virulente d’Israël présente sur tous les campus. Elle n’a aucun moyen de discerner que cette mise à l’écart d’Israël, ces « Semaines de l’Apartheid » qui réprouvent Israël sont une nouvelle forme d’antisémitisme, aucunement différente de celui d’Hitler. Cette haine d’Israël distillée dans tous les discours, « les Juifs ont étendu leurs tentacules dans le monde », par exemple, n’est pas perçue par Mélanie. De nos jours, pas un campus n’est épargné par ce long bras d’Ichmaël. Aujourd’hui, nous voyons l’accomplissement de la prophétie du Livre de la Genèse : « Tu dois l’appeler Ichmaël, proclama l’ange de D.ieu. Ce sera un homme rebelle. Sa main sera contre tous… ».
Aujourd’hui, Mélanie ne sait pas comment identifier Ichmaël. Ses professeurs, ses amis étudiants lui ont instillé un poison contre son propre peuple. Elle pense sincèrement épouser la cause des opprimés, lorsqu’elle lutte pour les Palestiniens et étiquette Israël comme leur oppresseur qui inflige à ces gens brisés « un Etat d’Apartheid », elle y croit sincèrement !