Chère Rabbanite Jungreis,
Je viens de finir la lecture de votre livre « Un mariage engagé ». J’aurais tellement aimé découvrir ce merveilleux livre il y a plusieurs années ! Ma vie aurait été tellement différente !
J’écris cette lettre le cœur lourd. Dès le départ, je tiens à préciser que je ne vous écris pas dans l’attente d’une solution à mon problème. Je suis malheureusement tout à fait consciente que c’est trop tard. Je vous écris plutôt pour vous demander de publier mon courrier dans votre rubrique (sous couvert d’anonymat bien sûr) pour que d’autres tirent les leçons de mes erreurs. C’est pour cette raison que j’ai décidé de vous écrire, bien que ce soit probablement la lettre la plus douloureuse que je n’ai jamais eu à écrire.
J’ai grandi dans un foyer juif laïc typique. Une fois par an, nous allions au Temple réformé ou conservateur de notre quartier pour les grandes fêtes. A ‘Hanouka, nous allumions une Ménorah, et à Pessa’h, nous célébrions un Séder (uniquement le premier soir, et j’avoue que ce n’était pas un Séder authentique). Tous ces rituels - dénués de sens et de contenu - étaient effectués superficiellement. C’était simplement des points de reconnaissance de notre judaïté. Notre foyer n’était pas Cachère, nos Chabbath étaient de simples samedis, où l’on faisait les achats, du sport ou d’autres activités.
Lorsque j’eus quatorze ans, mes parents divorcèrent. Ce fut une séparation amère et douloureuse. Sans entrer dans trop de détails, il y eut beaucoup d’accusations et de récriminations hideuses. En résumé, mon père partit, se remaria et fonda une nouvelle famille. Ma mère, de son côté, rencontrait des hommes et avait beaucoup de relations. Mais elle n’arriva pas vraiment jusqu’au mariage. Nous avions toujours bénéficié d’un mode de vie confortable. Mon père gagnait bien sa vie, mais après le divorce, tout changea. Le règlement définitif ne nous permit pas tout le luxe dont nous avions bénéficié dans le passé, et nous vivions sur un budget restreint.
On peut comprendre que ma mère, qui n’a jamais été très calme, devint nerveuse et imprévisible, et perdait son calme très facilement. Le règlement du divorce nous obligeait, nous les enfants, à rendre visite à notre père, et ces rencontres étaient extrêmement douloureuses. J’avais du ressentiment pour sa nouvelle épouse… je lui en voulais d’avoir pris la place de ma mère ; je lui en voulais d’avoir troublé notre vie de famille, et je suis sûre qu’elle m’en voulait aussi. Pour le dire succinctement, ce n’était pas le grand amour entre nous.
Ma mère me soumit à d’intenses pressions pour que je réussisse à l’école pour pouvoir être éligible à une bourse d’étude à l’université. Elle ne cessait de répéter qu’avant d’envisager le mariage, je devais avoir une carrière. « On ne sait jamais où la vie vous conduit, répétait-elle. Il est important que tu sois indépendante et capable de pourvoir à tes besoins. »
Pendant mes années de lycée, je travaillais très dur, bien que ce ne fût pas facile. Je suivis des séances de thérapie pendant un certain temps, mais à vrai dire, je n’ai jamais réglé mes problèmes. Je ne me suis jamais vraiment ajustée à la nouvelle dynamique de notre vie de famille. Je n’avais d’autre choix que d’accepter la nouvelle réalité et d’en tirer le meilleur profit possible… Je devais être tolérante envers les petits amis de ma mère et ses relations, être au courant de tous les hauts et bas qui ponctuaient sa vie privée, et accepter aussi la « nouvelle famille » de mon père.
C’était trop à gérer pour une adolescente. Mes deux frères furent également affectés par ce traumatisme de notre famille, bien que leur réaction fût très différente de la mienne. Ils choisirent la voie destructrice de l’alcool et des drogues. Ils trainaient avec des filles jusqu’aux petites heures du matin. Ma mère hurlait, mais ils n’y prêtaient pas garde et continuaient dans leur voie d’autodestruction. J’attendais impatiemment de finir le lycée et d’échapper à la folie que mon foyer était devenu. Je tenais à me rendre dans une université aussi éloignée que possible de mes parents. Je travaillais très dur avec un seul objectif en tête : fuir ! Après le bac, je reçus une bourse pour une bonne université.
Je fréquentais beaucoup de garçons à l’université (comme la plupart des étudiants), mais le mariage n’était même pas considéré comme une option (les relations étaient considérées comme la norme, tandis que le mariage était regardé de travers). Mon but était de finir mes études, de trouver une bonne place, de voyager, de profiter de la vie, et en son temps, de me marier et de m’installer.
Après l’université, je continuai par une école supérieure, tout en ayant constamment à l’esprit l’avertissement de ma mère : « Prépare-toi une carrière ! Sois indépendante ! ».
Je décidai de me lancer dans la médecine pensant que ce serait la profession la plus sûre et la plus lucrative. Ce fut un long parcours et beaucoup de travail acharné, mais je sentis que l’investissement en valait la peine. Je me spécialisais en obstétrique gynécologie, estimant que c’est un domaine où la demande est toujours forte. Je travaillais très dur et fis ma période de résidence à New York, et fus enchantée d’être acceptée comme stagiaire dans un prestigieux hôpital de Manhattan. Ce poste nécessitait d’être domicilié près de l’hôpital pour être disponible dans un court délai. J’avais tellement de travail à cette période que je n’avais même pas le temps de penser à une relation sérieuse.
Une fois mon stage achevé, je commençai à travailler comme partenaire d’un cabinet très renommé. Une fois de plus, je débordais de travail, et j’avais très peu de temps pour socialiser et mener une vie privée. C’est en gros un résumé de mon histoire. Je vous l’ai livrée pour que vous compreniez mieux les conflits et les regrets qui m’assaillent actuellement. Aujourd’hui, j’ai quarante-cinq ans. Je ne sais pas où les années sont passées, mais je ne peux renier la réalité, même si on me dit que j’ai l’air d’en avoir seulement trente-cinq. La réalité, c’est que j’ai bien 45 ans et que les meilleures années de ma vie sont derrière moi. Je fais venir des bébés au monde, et cela me brise le cœur de n’avoir pas de bébé à moi.
J’ai été dépassée par mon horloge biologique sans que je ne m’en rende compte. Je suis là, à quarante-cinq ans, toute seule. Oui, j’ai des économies… oui, j’ai une bonne profession, et alors ? Je n’ai pas de famille. Je n’ai même pas de nièces ou de neveux. Mes frères ne se sont jamais mariés… ils ont complètement gâché leur vie. Ma mère, dans son grand âge, est de plus en plus capricieuse et exigeante. J’ai beaucoup de mal à communiquer avec elle, car chaque visite s’achève par des conflits, des tensions et des hurlements. Mon père a sa propre vie, sa propre famille.
Oui, je ne manque pas de relations, mais les hommes que je fréquente cherchent uniquement des relations, et non la stabilité du mariage.
Alors pourquoi vous adresser ce courrier ? Car je sais que vous avez un lectorat important et que votre avis est respecté. Je voudrais dire à toutes les femmes qui ont accepté ce système de valeurs : ne sacrifiez pas le mariage et les enfants au profit de votre carrière. Aucune profession, aucune somme d’argent n’en vaut la peine !
Oui, je continue à fréquenter des hommes, mais aucune relation n’est solide. J’ai découvert que les hommes dans ma tranche d’âge qui réussissent veulent des femmes jeunes et ils les obtiennent ! Et s’ils ne réussissent pas dans la vie, il est difficile de les respecter. J’ai besoin d’un homme que je puisse admirer. Je ne peux pas épouser un loser. J’aurais aimé découvrir votre livre, « Un mariage engagé » plus tôt dans la vie. Tout aurait été si différent ! Mais j’espère que vous allez publier ma lettre. Si je sais que les lecteurs vont tirer les leçons de mes erreurs, cela m’apportera un certain réconfort. Aucune réponse n’est requise.
Une femme brisée qui a réussi