Depuis des temps immémoriaux, Chabbath nous a maintenus comme peuple, ce que même les Juifs laïcs concèdent. L’essayiste E’had Ha’am l’a résumé dans cette formule célèbre : « Plus que les Juifs ont gardé le Chabbath, le Chabbath a gardé les Juifs. »
La première à avoir observé le Chabbath était Sarah Iménou. Il est écrit que, dans son foyer, les bougies de Chabbath ne s’éteignaient jamais. Elles brillaient fortement de semaine en semaine, et sa ‘Hala ne devenait jamais rassie. Elle restait fraîche de semaine en semaine. Comment est-ce possible ? Est-ce un conte de fées qui ne peut être pris au sérieux par des gens intelligents ?
Que me diriez-vous si je vous atteste avoir été personnellement témoin de cette vérité qui s’est matérialisée en temps réel pour nous ? C’est dans l’enfer appelé Bergen Belsen, l’infâme camp de concentration où ma famille et moi avions été déportés, que j’ai découvert le secret des bougies de Chabbath et de la ‘Halla de notre ancêtre Sarah.
Il était difficile à Bergen Belsen, pour tout un chacun, de conserver son état de santé mental, de respirer sans s’effondrer, de garder espoir quand tout semblait dénué d’espoir. Mais, même là-bas, mon père, le Rav et Gaon Avraham Halévi Jungreis nous faisait compter les jours jusqu’au Chabbath. Encore six jours, encore cinq jours, encore quatre jours, encore trois jours, encore deux jours, plus qu’un jour !
Chaque jour, nous recevions un morceau de pain. Il était rassis, mais pour nous qui mourions de faim, il était délicieux. Chaque jour, mon révéré père se lavait les mains avant de manger du pain, consommait un Kazaït, une minuscule portion qui, d’après la loi juive, est suffisante pour la bénédiction, et gardait le reste qu’il cachait pour Chabbath.
Lorsque nous arrivions au septième jour - le Chabbath -, mon père nous rassemblait au milieu de la nuit et nous murmurait sur un ton affectueux en Yiddish : « Mach tzi de oiygelech zeese kinderlche - fermez les yeux, mes chers enfants - mir zenen in der heim -, nous sommes à la maison ; maman a préparé de la ‘Halla, chaude, fraîche et délicieuse. »
Mon père apportait alors ces morceaux de pain cachés et nous les distribuait. J’imaginais la ‘Halla cuite par ma mère et nous mangions ce pain avec appétit. Soudain, la ‘Halla de Sarah Iménou devenait réelle. Oui, elle était fraiche. Non seulement de semaine en semaine, mais d’année en année. De même, la ‘Halla de ma mère restait pour toujours fraîche dans nos esprits, sur nos palais et dans nos cœurs. Et les bougies de Chabbath de maman diffusaient leur lumière sur nous tous. Oui, elles restaient de semaine en semaine et de siècle en siècle. La Kédoucha, la sainteté de ces bougies illuminait nos âmes et nos cœurs.
Un soir de Chabbath, alors que mon père racontait cette histoire, mon jeune frère prit la main de mon père et déclara : « Je ne vois pas les lumières de Chabbath ici. Je ne vois pas la ‘Halla. Je ne vois pas les anges du Chabbath que nous venons d’accueillir et à qui nous avons chanté Chalom Alékhem. »
Les yeux de mon père s’emplirent de larmes, et, d’une voix tremblante, il répondit : « Vous, mes enfants, êtes les anges du Chabbath et la lumière, ce sont vos beaux yeux. Quant à la ‘Halla du Chabbath, vous venez de la manger. C’est pourquoi je vous ai demandé de fermer les yeux. Cette ‘Halla nous maintient en vie. »
Je n’ai jamais oublié ces mots. Lorsque je me tenais debout pour l’appel, parfois pendant des heures, dans la chaleur, le froid, la pluie, la neige, les gardes nazis ne cessaient de nous lancer des obscénités. Je me tenais bien droite et me disais : « Je suis un ange du Chabbath. Les bougies de Chabbath me donnent de la lumière. Et la ‘Halla de Chabbath me donne de l’énergie et me maintient en vie. »
Le Chabbath de la Parachat Noa’h a été désigné par le rabbin Warren Goldstein, grand-rabbin d’Afrique du Sud, ainsi que de nombreux autres rabbins, comme un Chabbath de Kirouv, d’implication, et d’engagement. Pour se préparer à ce Chabbath spécial, il y a quelques semaines, des femmes se sont rassemblées un jeudi soir pour préparer des ‘Hallot. On m’a demandé de prendre brièvement la parole pour cette occasion. Je l’ai fait par vidéo, relatant mes souvenirs de Bergen Belsen - mes souvenirs de la ‘Halla qui durait des années, la ‘Halla que nous avions réussie à emballer et emporter avec nous. Comment l’avions-nous transportée ? Pourquoi n’avait-elle pas été confisquée ? Nous avions une cachette spéciale où personne ne pouvait la détecter. Cette cachette, c’était les cavités de notre cœur. Elle nous permettait de tenir. Nous pensions êtres des anges du Chabbath, nourris d’une nourriture royale - dans la ‘Halla de notre cœur.
Les années ont passé, et, grâce à D.ieu, nous, les Juifs, vivons librement. Ici, dans le pays doré, l’Amérique, nous avons l’occasion d’observer le Chabbath de manière authentique, par des dîners élaborés, de magnifiques candélabres, et des ‘Hallot préparées avec les ingrédients les plus raffinés. Paradoxalement, nos enfants ignorent qu’ils sont des anges du Chabbath. Leurs cœurs sont vides. Personne ne leur a raconté que la ‘Halla est cachée dans les fissures de leur cœur, ou que leurs yeux brillent de l’éclat des bougies de Chabbath, ou qu’ils sont des anges du Chabbath. Quelque part, d’une façon ou d’une autre, nous avons perdu la Kédoucha.
On demandait souvent à ma révérée mère, la Rabbanite Miriam Jungreis, qui préparait une ‘Halla des plus délicieuses, les ingrédients qui rendaient sa ‘Halla si particulière. Ma mère donnait la recette de tout cœur. Mon père souriait néanmoins et déclarait : « Maman a oublié un ingrédient de base, sans lequel la ‘Halla ne pourrait être la même, préparée par quelqu’un d’autre : son amour total pour Hachem, sa foi et son engagement entiers ». C’était l’ingrédient secret qui conférait à la ‘Halla de maman un goût si particulier et faisait sa pâte monter toujours plus.
Puis-je suggérer, chers lecteurs, de prendre votre ‘Halla fraîchement sortie du four et de taper à la porte de vos voisins - des voisins qui n’ont jamais goûté des ‘Hallot faites maison - et de leur-dire : « Je les ai préparées spécialement pour vous. » Invitez-les chez vous pour un repas de Chabbath. Faites la même chose sur votre lieu de travail. Tendez la main à vos collègues qui n’ont jamais goûté à un vrai Chabbath. Vous pouvez changer le monde en inspirant nos frères et sœurs à allumer ces bougies, à goûter cette ‘Halla, et à devenir des anges du Chabbath.
Les jours de la semaine, en langue sainte, n’ont pas de noms ; ce sont des nombres. Le dimanche est Yom Richon, le premier jour. Lundi, c’est Yom Chéni, le deuxième jour, etc. Le seul jour de la semaine qui est désigné par un nom est le Chabbath. Et c’est le Chabbath qui confère un sens à nos existences.
Nous, le peuple juif, travaillons toute la semaine pour avoir un beau Chabbath. Nous ne nous reposons pas pour pouvoir travailler plus efficacement, ou gagner plus d’argent, ou devenir des athlètes plus performants. De plus, le Chabbath n’est pas un jour de congé, c’est un jour de présence.
Il est écrit que si tout le peuple juif observait un seul Chabbath, nous pourrions faire venir le Machia’h et mettre un terme à nos souffrances et à notre exil.
Lorsque ma famille arriva en Amérique après la Shoah, j’étais à peine une adolescente, mais j’étais horrifiée par la profanation du Chabbath dans mon nouveau pays d’adoption. J’étais encouragée par l’idée que si nous pouvions réussir à faire respecter un seul Chabbath à notre peuple, cela pourrait changer le monde et faire venir le Messie. Ce serait si facile, pensais-je. Tout le monde allait certainement écouter. J’accourus vers mon père pour lui faire part de mon projet.
Mon père se contenta de me regarder, de me caresser la tête. D’un ton affectueux, il me dit : « Oy, mein kind - oh, mon enfant ! » Je n’avais jamais vraiment compris ce « oy » de mon père, mais je le comprends aujourd’hui. Et à mon tour, je le dis aujourd’hui. Mais je persiste à croire qu’un jour, très bientôt, ce « oy » se transformera en : « Oy, ouah, quel bonheur, quelle merveilles, quelle bénédiction, quelle joie. Chabbath ! Chabbath ! Chabbath! »
Dans mon esprit, j’entends les paroles d’une très ancienne et célèbre chanson de Mordékhai Ben David : « Un seul Chabbath, et nous serons libres… ».
Bon Chabbath, ‘Am Israël !