J’ai évoqué la semaine dernière les nombreuses déceptions de la vie. Si souvent, nous rêvons de quelque chose, espérons, prions - et découvrons ensuite que lorsque la chose se réalise, ce n’est pas vraiment de la manière dont nous l’avions imaginée.
Je relatais une histoire hongroise entendue dans mon enfance sur un petit garçon qui rêvait d’un cheval à bascule, un jouet convoité alors en Hongrie. Un jour, sa mère tomba malade et mourut. Il regarda par la fenêtre et vit un corbillard tiré par des chevaux noirs devant sa maison. Les larmes coulant sur ses joues, il s’écria : « Ce n’est pas le cheval que je voulais. »
Nous avons tous des occasions où, le cœur brisé, nous nous écrions : « Ce n’est pas le cheval dont j’avais rêvé. »
Je mentionnai la semaine dernière que ma chère et sainte mère, la Rabbanite Miriam Jungreis, ne cessait de nous parler des « arbres à friandises » de Jérusalem. Même aux moments les plus sombres dans les camps de concentration, ma mère nous racontait cette histoire constamment, et nous, les enfants, n’en étions jamais lassés. L’image de ces arbres nous a donné des forces et de l’espoir. Ils font partie de nos vies, de nos rêves.
Lorsque je suis arrivée pour la première fois à Jérusalem, je suis partie à la recherche de ces arbres. Pour moi, Jérusalem a toujours été une ville de sainteté et de guérison, une ville où les vents nous entourent d’affection, où D.ieu entend nos prières, même si nous les murmurons seulement. Oui, bien sûr, c’était une ville d’« arbres à friandises. »
Je réalise que notre génération contemporaine rit et se moque de telles « sottises ». Comment une femme mûre, intelligente, peut-elle croire de tels contes de fée ? Mais j’y ai cru et je continue à y croire. Pour moi, Erets Israël est un pays magique, une terre où D.ieu Lui-même réside. Je sais que D.ieu réside partout ; il n’y a pas une parcelle sur terre où Sa présence n’est pas ressentie. Mais néanmoins, à Jérusalem, c’est différent. Là, vous ne devez pas chercher trop difficilement, il vous suffit de désirer, de tout cœur et de toute votre âme. Soyez patient et n’abandonnez jamais. Si nous restons fidèles et nous attachons à notre D.ieu, nous allons entendre Sa réponse et découvrir nos propres « arbres à friandises. »
Le miracle d’Erets Israël devrait toucher même les plus endurcis parmi nous. Les squelettes vivants d’Auschwitz, de Treblinka, de Dachau et de Bergen Belsen sont arrivés en terre sainte pour voir leur vie à nouveau menacée. D’une main, ils tenaient un pistolet, et de l’autre, ils irriguaient une terre inerte. Ils ont planté des forêts et des vergers. Ils ont transformé une terre désolée, endormie pendant près de 2000 ans en un jardin magnifique - et ce, bien qu’ils n’eussent aucune connaissance ou expérience dans l’agriculture.
Nous qui avons été opprimés, pris en esclavage, torturés et battus, et qui, pendant près de deux millénaires, n’avons pas eu le droit de tenir une arme en main, avons été appelés au combat. Et miracle des miracles, nous sommes devenus David et nos armes à feu ont vaincu Goliath. Tout s’est passé sous nos yeux, mais nous avons choisi de ne pas voir. Nous sommes devenus aveugles et sourds.
Le Roi David avait tout prédit : « Lorsque D.ieu ramènera les captifs de Sion, nous serons comme des rêveurs. » Oui, nous étions comme des rêveurs et devons encore sortir de notre torpeur.
Je me souviens de la période où j’avais fini le Beth Yaakov et commencé mon premier travail. J’économisai chaque centime : mon rêve était de me rendre en Erets Israël pour aider mes frères qui regagnaient leur foyer des quatre coins du monde. Mes parents n’ont jamais pensé à m’arrêter. Ils ont compris le feu qui brûlait dans mon âme, car ce sont eux qui en avaient allumé la flamme.
Je pris le bateau pour la France, me rendis en train à Paris, et de là, à Marseille. A Marseille, pour la première fois de ma vie, je vis un bateau juif. Je vis des uniformes juifs. Je pleurais sans m’arrêter.
Après un long voyage au cours duquel chaque moment fut rempli de prières et d’espoir, on nous annonça que notre bateau s’approchait bientôt des côtes d’Erets Israël. Nous restâmes tous ensemble sur le pont toute la nuit pour voir apparaître notre terre sainte. Lorsque nous aperçûmes ‘Haïfa, nous entonnâmes des cantiques de louange à Hachem. Notre joie ne connut pas de limites. Je me souviens de la première fois où j’ai foulé le sol d’Erets Israël. Je tombais au sol et embrassai chaque grain de poussière que je pouvais. Et je sanglotais de manière incontrôlée.
Aujourd’hui, nous nous rendons en Israël en avion et arrivons dans un aéroport moderne. Nous nous hâtons de récupérer nos bagages, mais plutôt que de tomber au sol ou d’embrasser le sol, nous sommes occupés à autre chose. Nous courons. Nous n’avons pas de patience pour la sentimentalité. Nous nous rendons à notre hôtel et passons nos conditions d’hébergement à la loupe. Souvent, elles ne sont pas à la hauteur de nos attentes.
Je me rappelle ce premier voyage en Erets Israël, puis je pense à aujourd’hui. Et une fois de plus, une allégorie hongroise me vient à l’esprit : « Ce n’est pas le cheval que je voulais. »
La vie continue. Les miracles de D.ieu continuent, mais nous ne les voyons pas, ne les entendons pas. Israël est appelé à combattre, et ces combats ne cessent jamais. Et cependant, nous survivons. C’est D.ieu qui nous conduit dans ces batailles. Goliath est déterminé à nous rayer de la carte. Avec l’aide de D.ieu, nous sommes David, nous sommes les vainqueurs. « Ki Lo Yitoch Hachem Ete ‘Amo - D.ieu n’abandonnera pas Son peuple. »
Israël est une preuve de plus qu’Il ne nous a pas abandonnés. Mais nous, dans notre profonde torpeur, nous nous félicitons pour notre force et proclamons : « Ko’hi Vé’otsèm Yadi - mon pouvoir et ma force en sont responsables. » Et les affaires sont les affaires alors que nous continuons à ériger des murs d’hostilité, d’animosité et de jalousie qui nous divisent, et nous échouons à voir sous un angle plus large le miracle sous nos yeux.
Où nous sommes-nous trompés ? Où la confusion a-t-elle commencé ? Nous, les Juifs, avons une manière étrange de faire les choses à l’envers. Nous célébrons le Jour de l’Indépendance d’Israël, mais sans nous interroger : « L’indépendance de qui, de quoi ? » La réponse à cette question est la réponse à notre survie, à notre vie même. Oui, nous sommes indépendants des nations du monde, et nous ne nous soumettons pas à leur volonté. Mais ceci ne peut fonctionner que si nous reconnaissons notre totale dépendance envers notre D.ieu. Tant que nous ne comprenons pas cette vérité de base et l’intégrons dans notre cœur, je crains que la lutte se poursuive et, que D.ieu préserve, les guerres également.
Dans l’un de mes premiers discours en Erets Israël, j’ai évoqué la tragédie de notre époque : un si grand nombre d’entre nous parlent la langue sainte, or, nous ne savons pas comment prier, un si grand nombre d’entre nous vivent en terre sainte, mais n’avons pas de foi. Tout serait si différent si seulement nous ouvrions notre cœur et nous tournions vers D.ieu.
C’est si simple, mais, à la fois, si difficile. Quand allons-nous nous réveiller ?