J’ai récemment reçu plusieurs lettres de parents perturbés par les demandes exagérées de leurs enfants. Combien les parents doivent donner et où ils doivent mettre une limite est un sujet sensible qui fait l’objet de points de vue divergents. Je dois admettre que j’ai personnellement eu toujours beaucoup de difficulté à aborder ce problème, sachant que j’ai grandi dans un foyer où mes parents ont tout sacrifié pour nous. Tout ce qu’ils possédaient était pour nous, leurs Kinderlach, leurs précieux enfants, et nous, en retour, avons toujours ressenti le besoin de faire tout pour nos parents.
A notre arrivée aux Etats-Unis en 1947 après la Shoah, je me fis des amies et pour la toute première fois, j’entendis parler du concept d’« argent de poche. » Dans notre foyer, c’était un concept étranger. Le peu d’argent possédé par mes parents était conservé dans un tiroir accessible à nous tous. Mais nous n’en avons jamais profité. Lorsque je faisais du babysitting, je plaçais mes maigres revenus dans le tiroir.
Le moment venu de me marier, mes parents m’organisèrent un très beau mariage. Mon père, Rav Avraham Halévi Jungreis, fit très attention d’inclure tout le monde dans la liste des invités. Bien sûr, la dépense était énorme, mais sans hésiter, mon mari, le Rav Méchoulam Halévi Jungreis et moi-même trouvâmes naturel de donner tous nos cadeaux de mariage pour couvrir les frais de la fête. Je sais que ça peut sembler irréel à certains lecteurs, et je réalise aussi qu’aujourd’hui, les familles ont plus de moyens pour payer des mariages à leurs enfants, mais néanmoins, je le mentionne, car je ne cesse de me demander ce que cette nouvelle génération traverse. Où a-t-on fait erreur ? Il est normal pour les parents et les enfants de vouloir tout faire les uns pour les autres, et si les parents ont la possibilité de combler de cadeaux leurs enfants, pourquoi pas ? Mais si les parents n’en ont pas les moyens, comment les enfants peuvent-ils être dénués de sensibilité au point de le leur demander ? Ce qui me trouble le plus dans cette discussion est cette attitude de la jeunesse qui crie : « Vous me le devez ! Ça me revient ! »
J’ai du mal à comprendre ces jeunes couples qui attendent et acceptent des vacances extravagantes offertes par leurs parents, qui eux-mêmes ont des difficultés financières et se privent du nécessaire. En toute bonne conscience, comment des enfants adultes peuvent-ils agir ainsi ? Comment peuvent-ils être aussi insensibles ? Comment peuvent-ils continuer à prendre, sachant que leurs parents ont du mal à joindre les deux bouts ? Quelque part, d’une certaine façon, quelque chose est allé de travers.
Je me souviens de mon père qui nous racontait comment, lorsqu’il était petit en Hongrie, lui et son frère entraient en compétition pour obtenir le privilège de cirer les chaussures de mon grand-père. En Amérique, ajoutait mon père, tout est inversé : en Amérique, les parents se sentent privilégiés si leurs enfants daignent les autoriser à cirer leurs chaussures. Je pense que cette petite anecdote illustre le fossé séparant les générations et combien un grand nombre de nos enfants se sont éloignés de la voie de la Torah. Je ne peux pas entièrement mettre la faute sur les enfants, qui sont le reflet d’un système de valeurs sans substance qui encourage la consommation ostentatoire et la revendication de droits, tout en méprisant la gratitude et la reconnaissance. Les cadeaux ne sont pas un problème, mais cette attitude insensible et égoïste. Comme je l’ai souligné, je ne vois pas de problème lorsque des parents donnent à leurs enfants des cadeaux s’ils en ont les moyens, car il est n’est pas réaliste d’élever des enfants avec un certain mode de vie et s’attendre à ce que du jour au lendemain, ils baissent radicalement leur niveau de vie. (Notre tradition stipule qu’un jeune homme doit subvenir aux besoins de son épouse selon la manière dont elle a été élevée dans le foyer de son père.)
Mais même si les enfants sont issus d’une famille très aisée, c’est très impoli d’exiger un certain type de cadeaux, comme la taille de la pierre d’une bague. Par sa nature même, un cadeau est un don offert de plein gré qui doit être accepté gracieusement. On ne peut que s’étonner de voir ces jeunes adultes devenir si désobligeants. Les parents qui m’ont écrit ont toutefois des moyens très limités et c’est pourquoi j’ai trouvé les demandes de leurs enfants encore plus choquantes. Des demandes de produits luxueux qui ont donné aux parents le sentiment d’avoir été abusés. La question demeure : quel a été le problème dans l’éducation de ces enfants ?
Les facteurs sont nombreux : tout d’abord la société, qui encourage le shopping pour le shopping, à vivre au-dessus de ses moyens et à impressionner les autres par les dernières lubies à la mode. Mais cette réponse n’est pas complète, car les pressions sociales pourraient se gérer si les valeurs de la Torah étaient transmises à la maison. Je ne vise pas des rituels pratiqués machinalement, mais un mode de vie vivant et vibrant qui repose sur la Méssirout Néfech.
La Méssirout Néfech n’est pas un concept aisément traduisible. Il ne s’agit pas simplement d’un engagement et d’une ferveur, elle nécessite un sacrifice, un don de soi. Cette expérience doit être enseignée aux enfants dès la petite enfance. Nous devons alors leur inculquer un sens de la responsabilité, de la bienveillance, de voir l’image en entier plutôt qu’uniquement eux-mêmes et leurs besoins égoïstes. Mes parents nous ont instillé de tels sentiments. Il est vrai que mes tout premiers souvenirs remontent aux années de guerre. Notre foyer était un lieu de rassemblement pour les réfugiés et les jeunes hommes juifs astreints à un travail de forçat. La Méssirout Néfech était nécessaire jour et nuit, il fallait sauver des vies, et nos parents nous inclurent dans cette tâche. Nous devions tous participer, tous aider. Je ne m’attarde pas sur ces histoires, car grâce à D.ieu, elles ne sont pas applicables à notre génération, mais certaines situations peuvent nous servir d’exemple.
Dans notre ville en Hongrie, vivait une famille qui avait une enfant handicapée de mon âge. A l’âge de trois ans seulement, ma maman m’accompagna chez elle pour que je joue avec elle, et ceci se reproduisit régulièrement. Ma mère m’expliqua que j’étais responsable de me lier d’amitié avec elle et de tenter de l’aider. De nos jours, très peu de mères dont les enfants fréquentent le système scolaire normal insisteraient pour que leurs enfants incluent des enfants handicapés dans leur cercle d’amis. Le plus souvent, ces enfants sont ignorés et j’ai reçu de nombreuses lettres affligeantes à ce sujet.
Il est difficile de refaire l’éducation d’adultes. A ce stade, la seule option pour les parents de ces jeunes gens égocentriques est le « contrôle des dégâts » : instaurer fermement, mais avec affection, de nouvelles règles. J’espère que les jeunes parents qui lisent cette rubrique intégreront la leçon et ne referont pas ces erreurs. Commençons par enseigner à nos enfants de petits actes de Méssirout Néfech en se concentrant sur les autres plutôt que sur eux-mêmes. Ces petits actes, s’ils sont effectués de manière cohérente, peuvent devenir des actions transformatrices. Il existe de nombreux moyens de les inculquer : lorsque les grands-parents viennent en visite, la première question que les jeunes gens posent est celle-ci : « Que m’as-tu acheté ? », très souvent suivie par cette réaction : « Ah, ça. Je l’ai déjà, je n’aime pas » ou alors ils y jouent une minute puis le mettent de côté.
Enseignons à nos enfants les rudiments de la Méssirout Néfech : « Papi et mamie viennent - préparons-leur un cadeau. » Un travail manuel, peu importe, l’idée étant d’apprendre aux enfants à donner plutôt qu’à prendre. Et il y a tant d’autres choses…accueillir des invités avec des rafraîchissements, se lever pour maman et papa lorsqu’ils rentrent à la maison, etc.
Enfin, soulignons que ces enseignements seront intégrés uniquement si les parents sont également des exemples pour leurs enfants. Le rôle de parent s’accompagne de responsabilité et nous devons tous aspirer à ressembler à Ya’acov Avinou dont l’image était gravée dans le cœur et l’esprit de son fils Yossef, ce qui lui a permis de devenir Yossef Hatsadik.