Tous les peuples ont leur héros. En général, c’est un homme (ou une femme) qui possède des qualités chères à la nation dont il est issu. En retour, sa personnalité et ses actions d’éclat influenceront son pays et contribueront à forger l’identité de sa patrie.
De Vercingétorix à De Gaulle, les Français aiment le patriote, le conquérant et le résistant. En Angleterre, on cultive les reines de fer, altières, froides et déterminées, qui garderont jalousement le pouvoir avec une longévité de règne inégalée. En Italie, si Garibaldi a su unifier les Etats de la péninsule, les vrais héros sont les artistes, qui, épris d'esthétisme, n'en finissent pas de rendre hommage à la forme. Pour l’Italien, même chanter est une œuvre d’art qui s’appelle le Bel Canto.
A l'assaut d'une Guemara...
Parmi les peuples de la terre, il s’en trouve un, longtemps exilé et disséminé parmi les Nations, aux us et coutumes différents, dont les héros ont des désirs de conquête tout à fait particuliers. Ils partent en guerre contre le mauvais penchant, ils donnent l'assaut à la complexité d’une page de Talmud, et leur talent de stratège, ils l’utilisent pour protéger leurs brebis des loups à l'affût et pour transmettre, intacte, leur tradition ancestrale. Leur cœur et leur intellect sont en adéquation parfaite avec leurs actes : pas d'incohérence entre l’étude de la Loi et sa mise en pratique.
Impossible de mesurer en quantité leurs acquis : ils ne sont pas dans les victoires territoriales. Par contre, ce sont eux les architectes de tout l’édifice moral de l’humanité.
Dans un palais de 52 mètres carrés...
Rav Steinman, décédé il y a 4 ans, était un des héros du peuple juif. Se suffisant d’une compote et d’une petite bouillie de céréales par jour, vivant dans un 52 mètres carrés, âgé de 100 ans, il répondait encore au flot incessant de ceux qui frappaient à sa porte et qui cherchaient réconfort, solutions, bénédictions, éclaircissement d’un point épineux de Limoud, ou tout simplement une excuse pour parler avec le Gadol.
Tous témoignent qu’une fois qu’ils avaient franchi le seuil du 5, Ré’hov ‘Hazon Ich à Bné Brak, une atmosphère de quiétude incroyable vous envahissait. Pas de stress, de nerfs, de précipitation auprès de l’homme le plus occupé du pays. Quand on est proche de D.ieu, la tranquillité règne.
Un livre sorti récemment, ‘Hakima Diyéhoudaé (“Le plus intelligent des Juifs”) retranscrit les réponses du Gadol aux milles et une questions qui lui étaient posées chaque jour. Politiciens, éducateurs, chefs d’armée, parents inquiets, Baalé Téchouva, professeurs, milliardaires, se pressaient à sa porte, car de sa bouche, sortait la réponse limpide qui émanait de la sagesse de la Torah. Aucune souillure ne venait entacher la pureté de sa réflexion car le conduit avait été poli à la perfection. C’est pourquoi chacune de ses réponses est un émerveillement et donne également une sensation de “mais c’est bien sûr!” Car la vérité qu’il énonce, c’est celle, originelle, que chacun porte au fond de soi.
Délectons-nous ici de quelques unes des merveilleuses réponses du Gadol, Rav Steinman :
Un homme vient voir le Rav. Il dit qu’il trébuche dans un certain domaine encore et encore. Il essaye, se relève, fait des efforts mais tombe à nouveau. Il avance à pas minuscules et désespère de lui-même.
Rav Steinman lui répond par une métaphore : “Imaginons une période de famine. Un enfant gagne un bout de gâteau pour un travail harassant. Il le met en poche et veut le garder pour son père. Mais c’est dur. Il craque. Grignote un coin. Remet le gâteau en poche. Il a faim. Il grignote de nouveau un petit bout, etc. A la fin de la journée, honteux, il donne le gâteau entamé à son père qui le prend, voit les traces de dents et comprend. Le père commence à sangloter : ”Mon fils, je vois tes efforts, c’est pour moi que tu t’es retenu, c’est pour moi que tu as fait ces efforts” et il prend son fils dans ses bras.
L’homme qui est venu chercher réconfort repart tout revigoré.
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Un jeune marié demande : il a trouvé un appartement en location qui lui plait mais il apprend que les derniers locataires ont tous eu des malheurs : divorces, stérilité, etc.
Le Rav s’étonne : “Ce n’est pas l’appartement le problème. L'appartement n’a rien fait. Les appartements ne fautent pas. Ce sont les hommes qui fautent…”
Le jeune homme a pris la location, et tout s’est très bien passé.
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Le Rav peut rester de longues minutes à serrer la main d’un homme brisé. Parfois, même le Gadol n’a rien à dire et ne peut donner que son extrême empathie.
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Un psychiatre israélien non religieux, qui soigne un public pratiquant, demande à ce qu’on l’introduise chez les Rabbanim pour mieux comprendre le milieu dans lequel ses patients évoluent. On l’amène chez le Rav Steinman avec lequel il s’entretient longuement.
En sortant, le médecin se tait. Éberlué. Il dit à la personne qui l’accompagne : “Il est incroyable. Il a tout compris de l'âme humaine. Je veux que tu me fixes rendez-vous avec lui régulièrement.” Mais Rav Steinman refusera. Ponctuellement, oui.
Le Rav n’est pas conseiller en psychologie.
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Un papa affolé rentre chez le Gadol. Sa fille, à peine adolescente, veut aller au Matnass (centre communautaire du quartier) religieux voir un film - Cachère bien sûr - avec ses amies. Le père s’y oppose. Il n'aime pas le principe. Que conseille le Gadol ?
Rav Steinman répond : “Si tu ne la laisses pas y aller, sache que tu devras lui donner à la place une très très grosse compensation. Et sache également qu’une jeune fille qui reste à la maison, amère et frustrée, c’est plus dangereux qu’un film (Cachère).”
Limpide.
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Un autre père, offusqué, arrive chez le Rav : “Mon fils est sorti du chemin. Il n’est plus à la Yechiva. Je lui ai proposé d’étudier avec moi et il n’accepte qu'à une condition : que je le paye !!! Vous vous rendez compte ! Il sait que j’ai peu de moyens. Comment ose-t-il ?”
Le Rav Steinman répond : “Mais bien sûr, paye-le. Donne-lui ce qu’il veut. Tu as encore de la chance qu’il accepte d'étudier.”
L’histoire a une chute :
Le papa payera son fils et ils commenceront à étudier. Étonnamment, ça se passera si bien, que peu à peu le fils reprendra goût au Limoud et remontera sur les rails de l’étude.
Qui est le sage ? Celui qui voit loin… très loin...
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Un jeune homme célibataire de 37 ans a une proposition de rencontre (Chiddoukh) avec une jeune fille. Il demande à son Roch Yéchiva s'il peut “arrondir” son âge. Le Roch Yéchiva pose la question au Rav Steinman qui répond délicieusement : “Jusqu'à présent, le jeune homme en question avait un seul défaut, son âge. Tu veux maintenant lui en mettre un deuxième… être un menteur ?” Le Rav Steinman continue : “D'après moi, la jeune fille s’est renseignée et connaît l'âge exact du garçon. Si elle va lui demander son âge lors de la rencontre, c’est justement pour tester sa droiture.”
Les choses se passeront exactement comme le Rav l’avait prévu. La jeune fille posa la question, le jeune homme répondit la vérité. Les jeunes gens se fianceront en quelques rencontres. La jeune fille raconta après ses fiançailles qu’en effet, elle savait l'âge du garçon et voulait vérifier sa sincérité.
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Un enseignant vient demander conseil : “Je parle avec les élèves de l’importance du Limoud, mais ça n'a pas l’air de faire d’effet.”
Le Gadol répond du tac au tac : “Le problème c’est justement qu’on en parle. Trop. Il faut tout simplement étudier et arrêter d’en parler !”
Dans un prochain article, nous continuerons si D.ieu veut à révéler les trésors du coffre-fort de Rav Steinman, de mémoire bénie.