Fraîchement diplômée d'HEC, il ne fallut pas longtemps à Caroline pour trouver du travail. Il faut avouer que jusque-là, elle avait fait un sans faute : Bac S mention très bien, meilleure école de commerce, et stage d'un an à New York dans l’une des plus grandes banques d'affaires.Après quelques entretiens d'embauche, son choix se porta sur un prestigieux cabinet de conseil. Ce travail lui plut de suite et elle s'investit corps et âme dans ses nouvelles fonctions. Dans cet univers, les 35h n'existent pas. En plus de terminer très souvent après 22h, elle est amenée à parcourir le monde pour traiter avec des clients à l'international. Peu importe, elle avait réalisé son rêve : bien gagner sa vie en ayant un poste à haute responsabilité.
Quelle belle revanche sur la gente masculine ! Dans quelques années, elle serait présidente d'une grande entreprise et prouverait à tous qu'une femme n'a rien à envier aux hommes.
Les années passèrent et tout se passa comme prévu. À force de travail et de persévérance, elle gravit les échelons du cabinet.
À 32 ans, quelques mois après son mariage, le dirigeant d'une société cotée en bourse la contacta pour lui proposer le poste de directrice financière de sa compagnie. Folle de joie, elle accepta. Pour un tel poste, le processus de recrutement est long, et en premier lieu, elle devait rencontrer la directrice des ressources humaines. Lors de leur rencontre, tout se passa très bien au point que cette dernière la conforta :
« Votre profil plaît et vos compétences correspondent parfaitement au poste… J'ai toutefois une dernière question à vous poser : vous ne comptez pas faire des enfants dans les 3 prochaines années à venir ? »
Soudain, Caroline sentit le sol se dérober sous ses pieds. Elle qui pendant 10 ans avait tout donné pour son travail, prouvé ses compétences et même mis sa vie personnelle de côté, était tout d'un coup réduite à sa nature de femme.
Aurait-on posé cette question à son mari ? Certainement pas !
Même si elle sut faire preuve de repartie en se dérobant par une blague du type : « Arrêtez, j'ai l'impression d'être avec ma mère ! », elle n'en demeurait pas moins perturbée.
Cette question sur son désir d'enfant la taraudait. Elle se remémorait les images du dernier Séder de Pessa’h avec tous ses petits neveux chantant « Ma Nichtana » . Même si elle brillait professionnellement, elle était la dernière cousine sans enfant. Dans quel but ? Qu'avait-elle prouvé ? Qu'elle était brillante, et après ? Dans 30 ans, lorsqu’elle sera à la retraite, qui se souviendra de son implication légendaire ?
Un enfant a besoin d'une mère aimante, attentionnée et qui lui consacre du temps de qualité, comme sa mère avait pu lui en donner. Inconsciemment, ce modèle de la femme d’affaires, qu’elle avait toujours loué, était en train d’écraser sa féminité et sa future vie de famille.
Grâce à cette fameuse question, elle prit conscience que contrairement à ses préjugés, la Torah ne relaie pas la femme au second plan. Elle l'invite juste à mettre ses priorités dans le bon ordre : son couple, ses enfants et enfin son travail.
Lors de son second entretien, sa posture et son discours avaient changé. Elle était toujours aussi motivée par le job, mais après les questions sur son parcours professionnel, elle voulut absolument préciser : « Autre point important : j’espère de tout mon cœur devenir une super maman le plus vite possible. J’imagine que vous favorisez le télétravail comme la plupart des grands groupes ! »
Avant de rajouter : « Je suis quelqu’un de très dévouée et extrêmement appliquée, mais il y a des priorités dans la vie. »
Sortie de cet entretien, Caroline se sentit profondément apaisée. Elle avait prouvé qu’elle n’était pas juste un rouage du système.
C’était il y a 4 ans. Depuis, elle jongle entre son poste, finalement obtenu, son petit Ilan qui vient de couper ses longs cheveux bouclés, et sa petite dernière de 3 mois, Noa. Certes, ses nuits sont courtes, mais que sa joie est profonde…