Je suis triste et troublée, je pleure sans verser de larmes. Et pour la première fois, mes mains ne réagissent pas pour répondre rapidement. Ce n’est pas nouveau pour moi, je savais que c’est ce qu’il ressentait, mais il avait raison, le lire sur l’écran, c’est autre chose. Ces mots crient, accusent, blessent…
Difficile pour moi d’envisager un changement, ça ne me parait pas réalisable, mais continuer ainsi n’est pas possible non plus. Entre temps, je vous livre cette lettre - un message WhatsApp personnel envoyé par mon mari, il parle du cœur de tous les maris au cœur de toutes les femmes accros au petit écran ! Bien entendu, ce message pourrait également être envoyé par une femme à son mari...
"Ma chère épouse !
Je t’envoie ce message par Whatsapp, pour être sûr que tu le liras et l’intérioriseras. Car lorsque nous parlons, ça ne marche pas généralement. Car généralement, on ne parle pas vraiment. Tu réfutes, tu prétends m’écouter, tu essaies de ne pas envoyer de message lorsque nous sommes ensemble, nous parlons, d’après toi. Mais, ma chérie, ce n’est pas exact. Lorsque j’arrive à la maison, tu lâches ton téléphone portable. Jusqu’au prochain message. Tu ne l’ouvres pas de suite, mais tu es obligée de l’ouvrir pour voir qui t’a envoyé un message. « Ah, c’est mon boss, je suis obligée de l’ouvrir… il voit que c’est bleu, je suis obligée de lui répondre. » Et tu réponds, et il répond à son tour, et tu re-réponds. C’est important, c’est le boss, et tu ne veux pas qu’il se mette en colère contre toi, prétends-tu. C’est vrai, je ne veux pas non plus. Mais je suis en colère contre toi. Très en colère.
Alors ok, tu entends ce que je te dis, mais tu n’écoutes pas ce dont je te parle. Ce n’est pas la même chose. Tu le sais bien. Et ce n’est pas que tu ne sais pas écouter, avant, tu le savais. Tu te souviens ? Nous parlions des heures de suite. Tu parlais et je t’écoutais, je te racontais des choses et tu t’intéressais. On le voyait sur ton visage, dans tes yeux et dans tes expressions du visage. Mais le monde a changé. Tu as changé.
Au lieu d’écouter avec l’oreille, tu écoutes avec les yeux. Et plutôt que de parler avec la bouche, tu parles avec les doigts. Plutôt que de me sourire, de faire preuve d’empathie, tu recherches des icônes qui correspondent. Tu parles beaucoup et écoutes énormément. Mais pas moi.
Tu fais partie de groupes comme « Artistes », le groupe des « cousines sans mamie », celui de « cours de pâtisserie - recettes uniquement ! », celui des « Mamans des enfants du Gan Rachel », de « Graphistes demandées », de « Quoi de neuf dans la famille Zakch », « Quoi de neuf dans la famille Zakch 2 » (au moins je fais aussi partie de celui-là), et le groupe du travail, du travail précédent, du quartier, des copines, et toutes sortes de gens avec lesquels tu es en relation grâce à Whatsapp, avec qui, ordinairement, tu n’aurais pas été en contact depuis des années. Et avec moi, tu devrais naturellement être en contact… mais à cause de Whatsapp, nous ne nous parlons plus depuis des années.
Comment parler ? Dès que nous nous asseyons pour prendre le repas du soir, tu reçois un message du groupe des copines, et je perçois tes regards nostalgiques en direction de ton téléphone, tu m’écoutes à moitié, il y a ensuite l’hystérie des messages de réaction aux messages envoyés, tu me regardes d’un demi-œil et tes deux yeux sont rivés sur le téléphone, et ça continue sans arrêt, tu comprends qu’il y a là quelque chose d’intéressant, tu es obligée d’ouvrir juste pour être dans le vent et répondre un « Ha ha ha », pour qu’ils comprennent que tu as compris, et là tu me fais une faveur lorsque tu me regardes de temps en temps pour me faire croire que tu m’écoutes quand même, jusqu’à ce qu’une fille écrive une réaction, apparemment tordante de rire (Ah ah ahhhhhhhhhhh), et tu exploses de rire juste au moment où je te raconte qu’on a découvert la « maladie » chez le père de Chmouel, c’est alors que je me lève pour débarrasser la table et tu n’y fais même pas attention.
Je vais m’exprimer en empruntant ton langage, pour que tu comprennes. Lorsque je te parle, je vois dans tes yeux 2 V de couleur grise. Mes paroles arrivent dans le système, mais n’éveillent pas ton attention. Je n’en peux plus de te voir taper sur le clavier. Je voudrais qu’on se parle, que tu m’écoutes, que tu t’intéresses, que tu tapes sur le clavier - pardon, que tu me répondes. Que nous soyons de nouveau ensemble, comme autrefois.
Je sais que c’est difficile. Car quand on te raconte dans le groupe de la famille que mamie est malade, tu ne peux pas faire abstraction, de même lorsqu’on annonce dans le groupe du Gan que la maman de Naomi a eu un bébé. Mais c’est là justement le problème. Ce n’est pas censé être ainsi.
Nous ne sommes pas censés être au courant de tout, tout le temps. Dans une autre vie, tu rencontrais tes amies du travail au travail, tes « cousines sans mamie » lors d’une fête familiale avec mamie, et les « mamans du Gan Rachel » aux réunions de parents, et les « Graphistes demandées » jamais, et « Quoi de neuf dans la famille Zakch ? » lors du Chabbath en commun à venir. Tu leur parlais alors de tout ce qui n’est pas important et pas si brûlant. Mais soudain, le Whatsapp revêt une importance suprême ! À l’époque, pour les choses vraiment importantes et urgentes, il y avait toujours le téléphone.
Dans cette vie, tu rencontres tout le monde, tout le temps, et tu participes à toutes sortes de choses secondaires de la vie. Tu fais un gâteau et fais passer des photos, tu reçois des réactions (wouah, qu’il est beau !!!!!), ces réactions te donnent un bon sentiment. Tu écris une blague et tu reçois des millions d’images comme ça : ☺☺☺ et le « Ha, ha ha » incontournable, et tu te sens drôle.
Plutôt que de vivre ton propre moment, tu vis le moment de tout le monde. Tu vis dans un grand village planétaire. Ce n’est pas ta faute, « tout le monde vit comme ça », me dis-tu. C’est vrai. Et alors ?
Il y a aussi l’inconfort de cette situation : « Tu as vu que tu as reçu un message, et tu n’as pas répondu » et tu ne veux blesser personne, que D.ieu préserve. Ni elle, ni eux. Mais pourquoi, moi, tu peux me blesser ? Pourquoi ne réponds-tu pas à mes messages ? Pourquoi fais-tu abstraction de moi ? Pourquoi me blesses-tu ? C’est vrai que ce n’est pas intentionnel, et ce n’est pas un V noir sur blanc, tu me réponds à moitié, et tu me racontes parfois des choses ici et là. Mais tu n’es pas avec moi. Tu es là-bas. Dès que le téléphone émet un bip, tu te lèves pour te mettre à la disposition des Whatsapp. Tu es tombée dans le filet. Mais je veux que tu te relèves. Je voudrais que tu comprennes qu’il vaut la peine de se déconnecter, de vivre l’instant présent qui t’appartient, qu’il vaut la peine pour toi de vivre.
Tu penses vivre bien comme ça, entourées de gens, d’amies. Mais en réalité, tu rates. Tu te rates toi-même, et tu me rates moi.
Je t’attends…
Ton mari"
Raheli Freifeld