Question de Léa M.
Chalom Kvod Harav,
Je suis très tiraillée par mon problème de couple, mais qui n’est pas vraiment de couple, mais plutôt de Judaïsme. Je m’explique. J’ai fait Téchouva tardivement, et, pour mieux progresser, je suis allée dans un séminaire en Israël. C’était une expérience extraordinaire : nous avions des cours vraiment super, nous étions invitées dans des familles religieuses, la plupart dont le mari étudie à plein temps, et l’ambiance qui régnait dans ces familles m’a donné envie à moi aussi d’épouser un « Collelman ».
Lorsque l’on m’a proposé celui qui allait devenir mon mari, j’ai beaucoup hésité avant d’accepter : il était également Ba’al Téchouva et étudiait dans une Yéchiva, mais il tenait après le mariage à travailler, tout en réservant évidemment un moment pour étudier la Torah. Autour de moi, on m’a poussé à le rencontrer, car il a un bon caractère et est pointilleux sur le respect de la loi, d’autant plus que je n’étais plus très jeune.
Voilà 3 ans que nous sommes mariés, et, grâce à D.ieu, nous avons une petite fille adorable, mais il y a un gros problème entre nous. C’est vrai que j’ai accepté qu’il travaille, mais j’attendais de lui beaucoup plus d’ardeur, d’ambition et d’assiduité dans son étude. Il ne consacre qu’une à deux heures par jour à la Torah, avec, au milieu de ce temps, les prières, et m’avoue qu’il somnole souvent pendant le cours, car il « meurt » de fatigue. Le Chabbath, il a besoin d’une bonne sieste l’après-midi, le dimanche doit être réservé pour des visites chez nos familles respectives, et quand je lui pose une question d’Halakha, il doit toujours demander à un Rav, car lui, ne sait pas répondre. Le Dvar Torah sur la Paracha pendant les repas de Chabbath est nul, il se contente de me raconter une histoire qu’il a lue dans un livre en français, et comme il voit que je ne suis pas contente, il me sort que, de toute façon, une femme n’est pas ordonnée à la Mitsva d’étude de la Torah.
C’est certain qu’il doit souffrir de mon mécontentement, de mes remarques agacées, et surtout de l’attente que j’ai d’un changement radical dans son approche « à la cool » qui me rend folle. Que dois-je faire pour le motiver ? Dois-je sacrifier mon Judaïsme pour le Chalom Bayit ? Je n’ai quand même pas fait Téchouva pour vivre une vie ennuyeuse et médiocre.
Je vous demande conseil, aidez-moi dans mes dilemmes.
Réponse du Rav Daniel Scemama
Chalom Léa,
J’ai lu attentivement votre courrier, et je vous transmets quelques remarques importantes.
Tout d’abord, nos Sages nous rapportent que la paix au foyer est primordiale, à tel point que D.ieu a accepté d’effacer Son saint Nom afin de réaliser le Chalom entre un homme et sa femme (dans le cas de la « Sota »). C’est pourquoi, il nous est demandé de fournir des efforts pour parvenir à cette paix.
Dans votre cas, le problème est bien ciblé : votre mari travaille, prie, accomplit les Mitsvot, a bon caractère, respecte votre famille - ce qui est, entre parenthèses, énorme -, et, dans tous ces domaines, il n’y a rien à dire. Mais vous lui reprochez de ne pas s’adonner suffisamment à l’étude de la Torah, et surtout pas avec assez d’enthousiasme, point qui représentait tout votre rêve de jeune fille.
Sachez que votre cas n’est pas isolé et que de nombreuses Ba’alot Téchouva ressentent ce genre de frustration, comme cela est rapporté dans le livre « Guide de la Téchouva » (Éditions Torah-Box) dans le dernier chapitre. Il est évident que vous devez changer votre approche de ce que sont les obligations spirituelles d’un mari, aussi bien dans la forme que dans le fond.
Dans la forme, un homme ne peut pas supporter d’avoir à ses côtés un « policier » qui l’observe et lui fait des remarques. Plus que cela, le mépris et les mots blessants risquent de l’éloigner du Limoud Hatorah au lieu de l’en rapprocher. Vous en êtes certainement consciente, mais il semble que « c’est plus fort que vous ».
Dans le fond, il faut que vous sachiez qu’il est très difficile pour un homme de s’adonner à l’étude de la Torah. Cette étude demande beaucoup de concentration pour comprendre les finesses de la Torah orale, et tout le monde n’a pas cette facilité intellectuelle, surtout après une journée de travail. Au contraire, on ne peut qu’admirer les efforts que fait votre mari pour aller régulièrement à la salle d’étude. Et je rajouterais qu’il est fort possible que votre conjoint ait tenu à vouloir travailler après le mariage, car, de par son expérience à la Yéchiva, il éprouvait des difficultés à s’investir dans la compréhension du Talmud.
Il est maladroit de comparer les Ba’alé Techouva avec les personnes qui ont grandi dans le Judaïsme, comme ces familles chez qui vous étiez invitées ou ces Rabbanim que vous admiriez lors de votre passage au séminaire. Un Ba’al Techouva découvre un nouveau monde, une nouvelle façon de vivre à laquelle il doit s’habituer, mais son passé continue à le tirer dans le sens contraire de l’accomplissement des Mitsvot. On ne peut pas et on n’a pas le droit d’exiger de lui le niveau de quelqu’un qui serait né dans la pratique. Au contraire, chez un Ba’al Techouva, tout progrès doit être relevé, car on ne réalise pas son labeur.
Malgré tout, vous souffrez et vous aimeriez bien voir chez votre mari un changement qui irait dans votre sens, ne serait-ce que pour ressentir un sentiment d’élévation et de progrès. La question est, bien entendu, comment s’y prendre, car, malheureusement, ce n’est pas en tapant des pieds qu’on y parviendra.
Nos Sages nous enseignent par quel mérite les femmes auront droit à la récompense de la Mitsva de « Limoud Torah » (étude de la Torah) dans le monde futur : par le fait qu’elles accompagnent leurs garçons à la synagogue pour y étudier, et permettent à leurs maris d’aller au Beth Hamidrach (maison d’étude) et les attendent à leur retour (Brakhot 17a). Nous déduisons de ce texte que le fait même qu’une femme attende son mari à son retour du Limoud, lui procure des forces dans son investissement.
Derrière tout érudit de Torah, se cache une femme qui, par des gestes simples comme lui apporter à boire ou à manger, en lui tenant compagnie, parfois à des heures tardives, lui procure de la joie et l’aide affectivement dans son labeur pour l’étude de la Torah. La femme du Rav ‘Haïm Kanievsky n’allait pratiquement jamais visiter ses parents qui habitaient à Jérusalem, car elle savait que son mari avait énormément de plaisir à ce qu’elle lui serve à manger à son retour du Collel (étude collective), et la qualité de son étude en dépendait. C’est par ce genre d’attitude qu’une épouse encourage son mari dans la voie du Limoud, et elle parvient ainsi à réaliser deux buts : donner des forces à son mari, et, pour elle-même, en retirer un mérite éternel.
En conclusion, Léa, essayez de changer votre approche avec votre mari, voyez la moitié du verre plein, appréciez ses efforts, et encouragez-le dans son Limoud, non pas en le bousculant, mais avec de la tendresse et de l’attention, et vous verrez des miracles !