Être dans un dilemme est une grande souffrance. Ils naissent aux carrefours les plus sensibles de nos existences, et apparaissent lorsque les enjeux sont cruciaux et vont engager notre vie dans une direction précise : le choix d’un conjoint, l’engagement spirituel que l’on veut donner (ou ne pas donner) à sa vie, le changement d’un lieu ou d’un pays d’habitation, une reconversion professionnelle sont dans la catégorie des poids lourds. Les autres, plus petits, empoisonnent un peu le quotidien mais ne nous feront pas perdre l’appétit. Parmi les grands cas de conscience, on trouve des êtres déchirés entre la volonté de pratiquer leur judaïsme ouvertement, pleinement, mais au prix d’une mésentente dans leur foyer, avec tous les bouleversements que cela entraîne, au risque d’une rupture. Pour les plus jeunes, le tiraillement est parfois devant des parents très récalcitrants et même franchement opposés à l’idée d’une progéniture religieuse.
Faire le pas ? Ne pas le faire ? Bouleverser sa vie et écouter son élan, ou ne rien changer, et étouffer l’appel de son âme, mais savoir qu’on va faillir à soi-même. Pas facile.
Dans les dilemmes affectifs, il peut y avoir la confrontation avec des êtres chers, très proches, qui nous réclament, parce qu’ils sont géographiquement éloignés et parce que vieillissant, ils sont de plus en plus dépendants, mais qui ont à notre égard une attitude hautement toxique, qui nous laissera, moralement et physiquement, exténués.
Le cœur parfois dit oui, la tête non, ou l’inverse. Qui suivre ?
La détresse est grande, quand le brouillard des incertitudes nous enveloppe, et forme comme un étau dans notre gorge, dans notre tête et dans nos vies.
Nos Sages, de mémoire bénie, connaissent cette douleur puisqu’ils définissent la joie, cette respiration de notre âme, qui ouvre les pores de l’être pour y faire pénétrer le bonheur, comme le fait d’avoir réussi à dénouer les doutes.
Ni plus ni moins.
Soulagement immense, bien-être indescriptible, repos, calme, clarté et l’appétit qui revient.
Ça, c’est après.
Mais que faire lorsqu’on est dans l'œil de la tourmente ? Fifty/fifty. Une minute, c’est vers ces arguments que je penche, la minute d’après c’est vers les autres. Rien n’arrive à faire pencher sérieusement la balance d’un côté. Comme cette amie qui en est arrivée à des névroses suite à de dévorantes hésitations sur un jeune homme qu’elle rencontrait. Le doute peut presque mener à la folie, car il s’acharne à ne laisser aucun repos à notre conscience.
Il y a deux tentations devant cette situation : soit se laisser ballotter sans forces et sans goût, au gré des événements. Pile ou face, là où ça tire, ce sera ça, car moi je n’arrive pas à trancher. Mais cette attitude engendrera la piètre sensation de ne pas exister.
On peut aussi se faire violence, et après avoir invoqué les autorités, petites et grandes, les amis, les voisins, avoir essayé de lire les signes et les oracles, fatigué et sans avoir reçu LA réponse à notre dilemme, on décidera, mais avec tristesse et résignation, traînant les pieds, puisque personne n’est venu à notre secours pour choisir l’une des éventualités.
Nous les femmes, sommes peut-être plus sujettes aux douleurs du dilemme.
Est-ce parce que nous possédons une souplesse structurelle qui permet ce jeu de va-et-vient entre le cœur et l’esprit ?
Au commencement furent les limites
Lorsque D.ieu créa le monde, nos Sages nous disent que l’art de création fut celui de mettre des limites.
Devant le magma originel, D.ieu allait faire de l’ordre et ranger à la perfection cette masse informe, ce bouillon béréchitique.
Le travail commença : premier jour, délimitation des clairs-obscurs, lumière et ténèbres. Deuxième jour, délimitation des eaux d’en bas et des cieux, car venus d’une même substance, il fallait les séparer. Troisième jour délimitation des mers, à qui il fallut dire « halte ! » pour qu’elles ne submergent pas la terre, comme nos Sages l'expliquent. Quatrième jour, etc., etc.
On voit l’importance des frontières : sans elles, pas d’existence possible. Et c’est uniquement dans ces cadres définis que la profusion et la bénédiction peuvent jaillir. La pagaille et le désordre aux contours indistincts et poreux, sont en général stériles.
Devant nos dilemmes, nous cherchons, comme un naufragé en pleine mer, un bout de bois, un radeau, et même un vieux bidon vide qui flotte, auquel s’agripper, qui calmeront nos tempêtes intérieures, car le malaise est aigu. Et le croyant n’en est pas dispensé. Au contraire… Car il peut attendre plus encore que quiconque, un signe du ciel, qui tarde à venir, et qui le délivrera.
Alors comment sortir sain et sauf de ce labyrinthe ?
Le véritable travail ne va pas être de trouver une solution miracle au dehors, à savoir le conseiller ou le conseil « à un million de dollars » qui, comme un jeton dans une machine à sous, fera jaillir le gros lot, mais de descendre en spéléologue dans les tunnels encombrés et obscurs de notre être, pour découvrir enfin, quelles sont NOS limites. Voyage compliqué, car avouons que l’Occident prône partout le dépassement, l’effacement des limites, et que cette vision a pénétré tous les domaines et tous les milieux.
L’achievement, traduit par réussite, réalisation, atteinte, est le fin mot de la pensée occidentale. L’affranchissement des limites est devenu la clef de l'épanouissement et on n’a d’yeux que pour celui qui a réussi à sortir de son carcan, physique, intellectuel, social, économique ; cette démarche est, nous dit-on, la définition de l’homme, successful and achieved.
En effet, pour nous « achever », c’est le bon chemin !!
Comment - j’ose naïvement demander - le dépassement, c'est-à-dire l’explosion à tout prix de mes frontières, de ce que je suis de base, va-t-il apporter mon bien-être ? Et avant de faire éclater mes limites, ne faudrait-il pas tout d’abord commencer à les connaître ?
La maternité - pour prendre un exemple au hasard… ! -, comme conçue dans l’imaginaire occidental actuel, est devenue une course à l’excellence, mêlée à un travail sisyphique, de force morale et physique, où la mère n’a peu ou pas le droit à l'erreur, où elle n’a pratiquement que des devoirs envers sa progéniture, et où paradoxalement, la voix de cette super-mum, ne se fait pas entendre.
Chut !!!
Pour parvenir à dénouer les nœuds du dilemme, il est primordial de faire silence autour de nous, et de descendre, seul à la recherche de sa limite.
Notre carte de route pour la trouver est facile : ma limite, la vraie, sera un endroit d’apaisement, le point honnête au-delà duquel, « je ne peux pas ». Si on dépasse la frontière, on se fait violence, on se ment, on se meurtrit. Le respect de ce que nous sommes, l’interdiction aux autres de nous entamer, de nous empêcher d’être, doivent être des barrières infranchissables. Il va falloir faire taire tout un brouhaha intérieur, constitué de la mauvaise compréhension de ce que l’on est, pour enfin entendre la fine voix de son âme. C’est là, et là uniquement, que le Divin me parle et que se révèlera à moi, ce que je peux et ce que je ne peux pas : c’est de ce délicat tamisage que la lumière émergera et que les nœuds se déferont.
Attention, il ne s’agit pas de “s’écouter”, pour mieux se dégager de nos responsabilités, en disant systématiquement : “Merci, pas pour moi”. Au contraire, la connaissance de nos frontières nous fait découvrir parfois, qu’on est en deçà de ce que l’on peut.
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Connaître nos contours est un trésor, une hygiène de notre psyché qui offre en accompagnement, une autre propriété bienfaisante : celle de nous éviter d’empiéter sur les limites d’autrui.
C’est gratuit et inclus dans le package !
Alors, au travail ! Mais tout en douceur…