Une collègue a récemment entendu quelqu’un prononcer un terme religieux différemment de la manière dont elle l’avait toujours prononcée. Inquiète, elle se dit qu’elle l’avait jusque-là toujours prononcé de manière erronée. Lorsqu’un tel incident survient, la personne devient rétroactivement embarrassée. « Est-ce que j’ai mal prononcé ce terme ? Depuis combien de temps ? Devant qui l’ai-je mal prononcé ? Qu’ont-ils pensé de moi ? » (Je la rassurai en lui expliquant que les deux prononciations étaient correctes). C’est alors qu’une autre associée me fit partager un terme qu’elle avait trouvé sur le web : Jewbarrassment (contraction des termes Jewish, juif et embarassment : embarras).
Ma collègue a défini ce terme comme le sentiment ressenti a en présence d’un individu plus religieux ou plus instruit. C’est fréquent par exemple, lorsque des gens moins formés sur le plan religieux assistent aux offices à la synagogue. Ils ne savent pas à quoi s’attendre. « A quelle page sommes-nous ? Quand faut-il se lever? Quand nous asseoir ? Pourquoi tout le monde vient-il de s’incliner? » Ce scénario est également fréquent lorsqu’une personne moins religieuse se rend au domicile d’une personne plus religieuse le Chabbath : « Je sais que je ne peut éteindre la lumière, mais puis-je tirer la chasse d’eau ? Attendez - je ne devais pas commencer à manger maintenant ? »
Mais ne vous méprenez pas : l’embarras religieux ne se limite pas aux personnes moins informées. Même des individus dotés d’une solide éducation religieuse peuvent le ressentir en présence d’autres personnes. Un ami à moi l’a vécu sous une forme mémorable lorsqu’il passait un entretien pour une Yéchiva. Le passage de la Guémara qu’ils lui demandèrent de lire incluait l’abréviation hébraïque Kaf Guimel. C’est l’abréviation de Cohen Gadol (Grand-Prêtre) et le texte décrivait que le grand-prêtre faisait ceci puis cela. Mais les termes Kaf Guimel représentent également le chiffre 23 en hébreu, et une cour régionale à l’époque biblique et talmudique comprenait 23 juges. Mon ami lut donc le passage de cette façon : « Les 23 firent ceci et les 23 firent cela. » Lorsqu’il fut informé de son erreur, il fut religieusement embarrassé. (J’ai partagé l’embarras religieux de mon ami, non seulement parce que c’est une anecdote intéressante et illustratrice, mais en réalité j’ai moi-même plusieurs anecdotes que j’aurais pu facilement rapporter, que je n’ai pas choisies délibérément, vous savez, parce que je suis embarrassé religieusement…)
Allons plus loin : on peut vivre ce sentiment d’embarras religieux dans l’autre sens. Pensez au seul garçon à porter la Kippa à l’école, à la seule fille à porter des jupes. Imaginez l’étudiant qui renonce à la participation d’une épreuve sportive, car elle se déroule un vendredi soir, ou manque une soirée dansante pour des raisons religieuses. Ces jeunes gens adhèrent à leurs idéaux religieux, mais en subissant les conséquences, ils sont souvent embarrassés sur le plan religieux.
Enfin, cet embarras religieux peut également se faire ressentir lorsque tu es le plus pratiquant d’un groupe de religieux. Que se passe-t-il lorsque tu es le seul parmi ton groupe d’amis à ne pas manger dans un certain restaurant, sachant qu’il n’est pas conforme aux critères de Cacheroute que tu observes ou que tu ne vas pas voir un certain film que tu juges inapproprié ? Et si tu es toujours celui qui fait attendre tout le monde pour que tu puisses prier ou réciter le Birkat Hamazone ? Tes amis sont peut-être tolérants et ne disent jamais rien, mais tu es peut-être embarrassé, estimant qu’ils pensent : « Voilà, il/elle recommence ! »
Alors que ce soit entre non-religieux et religieux, ou le contraire, ou même entre religieux, le potentiel d’être embarrassé sur le plan religieux existe. (Et ça n’est pas limité aux Juifs ! Pensez-vous qu’il soit facile pour une fille musulmane de porter soudain le hijab ? Je pense que ce phénomène est assez universel).
Voilà la bonne nouvelle : la plupart du temps, votre faux pas ne dérange personne. Si vous avez rarement été à la synagogue, personne ne présuppose que vous en connaissez tous les détails. SI vous ne respectez pas le Chabbath, personne ne s’attend à ce que vous en connaissiez toutes les règles. (En réalité, nous attendons vos questions !) Mon ami qui s’était trompé dans sa lecture de l’abréviation fut admis dans la Yéchiva ; il a certes été embarrassé, mais ça n’a pas été toute une histoire ! (S’il savait déjà tout avant d’y entrer, qu’est-ce que l’école aurait bien pu lui enseigner ?)
Néanmoins, même s’il n’y a pas de conséquence, nous sommes peut-être embarrassés d’être ignorants (si nous sommes la personne la moins religieuse de la salle) ou d’avoir le sentiment d’exhiber notre religiosité (si nous sommes les plus religieux). Alors comment passer outre ce sentiment ? La suggestion que je vous livre m’est venue d’un lieu des plus inattendus.
Je connais une troupe que je suis régulièrement et qui a récemment ouvert sa propre chaîne numérique, JK studios. Un membre de la troupe, James Perry, a écrit un livre : Je voudrais toujours être astronaute : vivre son rêve lorsque vous rêvez trop. Ce livre contient des aspects humoristiques et autobiographiques, mais si je devais le définir, il entrerait dans la catégorie du développement personnel. (L’adolescent qui ne regarde pas de films réservés aux adules n’est pas un exemple hypothétique, c’est un incident extrait du livre de Perry.)
Dans son ouvrage, M. Perry décrit ce qu’il appelle « Le triangle de confiance. » Dans un monde parfait, dit Perry, la confiance serait le fait d’être sincère, courageux et humble. Le problème, c’est que tenter d’être sincère courageux et humble peut s’avérer assez intimidant. C’est là que le triangle de confiance est vraiment intelligent.
J’ai écrit ailleurs que les traits de caractère ne sont ni intrinsèquement bons, ni intrinsèquement mauvais ; chaque trait peut être perçu d’une manière positive ou négative. Je suis économe ; tu es radin. Mes enfants ont de l’énergie ; les tiens sont incontrôlables. Si j’aime les bandes dessinées, je suis enfantin ; si tu aimes les jeux vidéo, tu es infantile. Les traits que nous pouvons recontextualiser en étant soit des avantages, soit des défauts, sont infinis. C’est ce à quoi se livre Perry avec ce triangle de confiance, avec ces termes « sincère, courageux et humble » Perry recadre spécifiquement les termes « sincère, courageux et humble » par « étrange, stupide et faux. » Pour le citer :
Tour le monde aimerait bien se faire qualifier de sincère, de courageux et d’humble. Mais en réalité, ces qualités exigent de vous d’être étrange, stupide et dans l’erreur, respectivement. Vous ne pouvez être sincère sans être différent. Vous ne pouvez être courageux à moins d’entreprendre un acte dangereux, ce qui est stupide. Vous ne pouvez être humble à moins d’embrasser le fait d’être dans l’erreur. Imaginez combien de pouvoir vous auriez si vous aimiez être étrange, stupide ou dans l’erreur.
Il peut s’avérer utile de combattre notre embarras religieux. Avez-vous mal prononcé un terme ? Vous êtes resté debout alors que vous auriez dû être assis ? Vous avez mangé avant le moment prévu ? C’est acceptable. Il est facile de se tromper. (Je le fais sans arrêt !) Pensez-vous que vous faites tache parce que vous vous habillez, vous mangez ou vous conduisez différemment ? C’est tout aussi acceptable ! Vous n’avez peut-être pas le sentiment de pouvoir être sincère, mais être étrange est tout à fait naturel.
Comme je l’ai dit plus tôt, ceux qui nous entourent ne pensent pas tellement à nos différences. SI nous commettons une erreur, personne n’en fait une histoire. Si nous tenons à notre propre conduite, nos amis nous soutiennent certainement. La seule personne affectée par ma différence est moi-même, et tout se déroule dans ma tête. Nous pouvons peut-être passer outre à cet embarras de nature religieuse -Jewbarrasment ou autre - en embrassant la réalité que chacun d’entre nous est à l’occasion, étrange, stupide et dans l’erreur. Il se trouve que juste maintenant, c’est mon tour.
Enfin, vous vous souvenez que j’ai mentionné pouvoir partager une histoire personnelle plutôt que celle d’un ami ? Alors voilà. Dans ma jeunesse, je lisais à haute voix les honneurs à accorder à diverses personnes lors du mariage religieux d’un ami et je me mélangeais les pinceaux entre les formes Mékhoubad (untel est honoré) et Mékhabed (Nous honorons untel). Ça n’a pas l’air d’une si grosse affaire, mais je fus extrêmement Jewbarrassed à ce moment-là. Et alors ? Comme Perry l’écrit : « Ouah ! Quelle leçon à retenir! Heureux qu’on m’ait fait remarquer mon erreur ! »
J’ai admis mon erreur et partagé cet incident. Et devinez quoi ? Rien de négatif n’en a résulté ! Alors, à vous de jouer…
Rabbi Jack Abramowitz