L’élection n’est pas chose facile à porter.
Pas celle grâce à laquelle nous entrons dans un club de golf sélect, ni celle qui nous permettra de rejoindre les Grandes Écoles parisiennes si convoitées, mais celle qui nous propulse dans une toute autre dimension, cosmique et universelle, pour témoigner devant l’humanité de l’existence du Dieu Un, Créateur du Ciel et de la Terre.
Cette relation entre le peuple juif et l’Éternel, enviée, niée, jalousée, contestée ne nous a pas attiré que des amis, mais plus étonnamment encore, c’est nous-mêmes qui n’avons pas toujours bien réglé notre sentiment vis-à-vis de cette ahurissante notion, reliant à jamais la descendance des Hébreux au Très-Haut.
D’ailleurs, dès sa formation, le peuple juif porte son élection moins comme un privilège que comme une charge. Ainsi, à travers la Bible, puis au long de l’Exil, les Juifs ont l’immense tentation de faire marche arrière et de redevenir une nation comme les autres.
À peine la Torah reçue, l’affolement les saisit : « … Et si Dieu allait nous laisser tomber ? Quelle angoisse ! Revenons vite à un leadership “normal”, avec un dirigeant en chair et en os, ou en or, qu’importe !! ». Ça s’appelle « perdre les pédales » devant une vocation qui soudainement leur semble avoir quelques tailles de trop pour eux.
Sur la Manne, ils ont également à redire. Cette nourriture du Ciel les rend encore une fois trop différents des autres hommes, dans la fonction la plus triviale qui soit au monde : manger. « On veut aussi, comme tout le monde, de la viande, des oisillons et des barbecues », se plaignent nos ancêtres.
Dans le livre de Samuel, on retrouve à nouveau cette propension au désir de normalité : le peuple réclame à cor et à cri un Roi, (trépignant en frappant du pied : « comme les nations !!! ») et même si le prophète les met en garde, rien n’y fait.
L’État hébreu 2023 réclame aussi sa litra de « normalité » : « Nous voulons être une démocratie comme les autres !! », s’enflamment certains politiques israéliens, que la moindre mention de la mission spirituelle du peuple d’Israël semble terrifier.
LA Faute Majuscule
Les 3 semaines ont débuté, le 9 Av approche, date qui jusqu'à aujourd’hui symbolise LA faute par excellence, celle que nous traînons depuis 3000 ans, porteuse d’une sombre aura qui revient chaque année.
La génération du désert qui crut aux médisances de ses Notables paya très cher son attitude : interdiction irrévocable d’entrer au pays promis, qui devait être le but et l’apothéose de toutes leurs pérégrinations. Pourtant ce qui s’est passé, a priori n’a pas l’air tellement plus grave que de se prosterner devant un veau en or, de fauter avec les filles de Midyan ou de comploter contre Moïse.
Même Dieu, avec beaucoup d’égards, de diplomatie, juste avant que les Hébreux ne décident de dépêcher leurs stratèges à Canaan, n'émet pas de réserve et les laisse faire comme bon leur semble. Il n’intervient pas, comme Moché d’ailleurs, qui les laisse libres de prendre leurs dispositions. Aucune mise en garde du Très-Haut et de son fidèle serviteur ne sera prononcée avant la dégringolade.
Alors pourquoi cette faute est-elle jusqu'à aujourd'hui considérée comme LA transgression, celle à tout jamais inscrite dans les annales des catastrophes nationales du peuple juif ? Suivons Rav Pollack, auteur prolifique du feuillet « Az Nidberou », toujours très inspirant. Car si l’imagination a été donnée, c’est bien pour donner corps à une réflexion.
Tender Is the Night
Il est beau, rayonnant dans son nouveau costume, il sourit, il salue, il embrasse, il s’est marié avec la femme qu’il aime, à la bonne heure ! Elle est superbe, radieuse, jeune, belle et de bonne famille.
Ils ont passé leur première année de vie commune dans une fusion totale. Il a tout fait pour elle, il est délicat, attentionné, prévoyant, n’oublie aucun détail, et s’occupe d’elle, avec dévouement, remplissant tous ses désirs, moralement et matériellement. Il a acheté un terrain dans un endroit frais et ombragé, dans une région verdoyante et ils doivent bientôt y emménager, car il y a fait construire une villa. Il a choisi l’endroit avec mille précautions, pour qu’elle y soit bien. Il y a une source qui coule dans le jardin, des pièces spacieuses et ensoleillées, et des balcons fleuris, embaumant le soir, sous les jasmins. Lorsque la brise se lève, ils seront tous les deux ensemble, devant le coucher du soleil, une flûte de champagne en main, à contempler le décor…
Avant l’entrée dans leur nouvelle demeure, le marié organise un repas aux chandelles et revêt son costume de ‘Hatan.
La jeune femme s’assied en face de lui, un rien pensive, un peu absente. Elle sort une feuille pliée en quatre de sa manche, (un billet doux ?) et commence : « Tu comprends, j’ai besoin de transparence dans les plans de ta nouvelle demeure, tout n’est pas clair à 100 % dans ce projet et je préfère vérifier moi-même, avec des architectes et des entrepreneurs que je connais, qui feront bien le travail et sur lesquels je peux compter ».
C’est l’effarement.
Le marié se tient là, penaud, dans son joli costume, son visage défait, sa jolie pochette choisie avec soin soudain fanée. Quelle honte, quelle déception : la jeune femme remet en cause ses compétences, sa bonne volonté, son dévouement, peut-être même son honnêteté. C’est en fait LUI qu’elle discrédite, derrière ses doutes.
Impardonnable
Knesset Israël, au seuil de son entrée dans la demeure conjugale, alors qu’elle n’avait mis aucune condition à ce mariage, disant « c’est pour la vie, je m’engage et je lirai le contrat après » soudain, se rétracte.
Le ‘Hatan a tout donné, tout prouvé, tout fait pour sa fiancée, même pardonné ses écarts, et la voilà qui se débine…
Devant cette volte-face, il aurait pu dire : « Ça suffit maintenant les caprices, on est marié et on rentre à la maison ». Mais notre Époux est trop fin, trop humble, trop distingué pour la convaincre de force. Ce sont des choses qui auraient dû venir d’elle.
Il pense : « Elle est jeune, inexpérimentée, la petite. Qu’elle les passe ses coups de fils, qu’elle les fasse ses vérifications, si elle en a besoin… Si ça peut la rassurer. »
Et la petite écervelée quitte la maison avant la fin du repas, elle court avec ses numéros de téléphone en main, pour contacter des ingénieurs et vérifier avec eux, ce qui se passe sur le terrain…
Notre ‘Hatan attendra, un mois et demi que madame prenne ses dispositions… Bon, patient, magnanime.
Et elle revient après 40 jours d’enquête minutieuse, très déprimée, très courroucée, en pleurs : « C’est qu’on m’a trompée » lui dit-elle, « Tu m’as caché des choses. Il y a des problèmes, tout n’est pas comme tu m’avais promis. Ça va être trop difficile. La demeure a des failles, les voisins sont de basse extraction, dangereux même, moi, dans ce lieu, je n’habite pas !! Point ! »
C’est la consternation.
Mais le ‘Hatan l’aime trop pour divorcer, pour la chasser. Elle est l’amour de sa jeunesse, de ses vingt ans. C’est l’amour fou, celui qui ne tarit jamais.
Alors il va falloir reprendre tout à zéro, pas pour la punir, mais parce que son comportement laisse transparaître qu’elle n’a pas suffisamment intériorisé ce qu’exige cette « extra-ordinaire » union : à savoir fidélité et confiance absolue en Lui. Et cette fois, même si Il cache Sa face, si elle ne comprend rien, si Il lui paraît cruel et que tout semble aller de travers.
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C'est cela le drame d'Israël, qui refuse son élection et troque l’excellence pour la trivialité. Élue, choyée, promise à une destinée hors du commun, elle n’a pas compris Qui est vraiment son Époux, et a eu la tentation de la banalité, du « comme tout le monde ».
Immature autrefois, a-t-elle enfin compris qu’elle n’a pas fait un mariage « comme les autres » ?
Nous avons toute la période de Ticha’ Béav, pour réfléchir à la question…