Lorsque l’on aborde l’étude du Talmud et des décisionnaires pour la première fois, on se trouve souvent surpris, voire choqué, par la nature de certains des débats développés ainsi que par la rigueur extrême de leur analyse. Certains débats peuvent même paraître totalement incongrus pour les néophytes en quête d’une spiritualité extatique. Notons par exemple la discussion sur la dangerosité d’un taureau, notamment définie par le nombre de fois qu’il a encorné.
On connaît aussi les longues tergiversations sur les modalités des travaux interdits le Chabbath.
Pour cause, D.ieu, le Créateur de toute chose, nous apparaît tellement détaché des contingences matérielles qu’on peut mal L’imaginer accorder une quelconque importance ou le moindre intérêt aux détails si « terre à terre » des lois Halakhiques. D.ieu, dans Son omniscience et Son omnipotence, Se trouve-t-Il vraiment dérangé par trois gouttes de lait tombées sur un morceau de viande, ou si le bétail est égorgé par la gorge ou par la nuque ? Pourquoi sommes-nous astreints à une démarche aussi scrupuleuse ? Et pour reprendre les mots de Job, « si tu agis bien, que Lui donnes-tu ? » (Job 35,7).
L’un des plus grands malentendus concernant la pratique religieuse, et plus particulièrement la mise en application du judaïsme, réside dans la croyance que l’objectif principal des Mitsvot est de réjouir D.ieu. Certes, la Torah et nos Sages ont souligné à maintes reprises la satisfaction qu’engendre notre fidélité à D.ieu. D.ieu exprime d’ailleurs Son amour pour ceux qui Le servent loyalement. Il nomma ainsi Avraham Avinou Son « bien-aimé ». À l’instar d’un père qui aime ses enfants et se réjouit de les voir suivre le bon chemin, notre Créateur apprécie notre bonne conduite, bien que l’objet des Mitsvot ne réside pas dans Sa satisfaction.
En outre, l’observance des Mitsvot présente des conséquences métaphysiques bien réelles. Elle contribue à l’essor spirituel de la Création, ainsi qu’au dévoilement du Divin, mais elle n’ajoute rien à la plénitude et à l’unicité de D.ieu.
En fait, nous sommes les principaux bénéficiaires de la pratique religieuse. Les Mitsvot servent effectivement à nous permettre d’accéder à l’excellence en nous rapprochant de notre Créateur, comme l’explique le Rav Moché Haïm Luzzato (Cf. Messilat Yécharim chap. 1). Indubitablement, nous exprimons par le respect des Mitsvot notre gratitude, notre soumission et notre amour envers notre Créateur, Qui non seulement nous donne la vie, mais nous assure aussi notre maintien en pourvoyant à chaque instant aux moindres de nos besoins. Néanmoins, le but réel des Mitsvot consiste à révéler notre âme et à parfaire ainsi notre être. Nos Sages ont d’ailleurs institué une bénédiction particulière à ce sujet : « Qui nous a sanctifiés par Ses commandements. » Cette bénédiction, que nous prononçons avant la réalisation de la plupart des Mitsvot de la Torah, nous rappelle très justement le rôle sanctificateur de ces actions : elles nous unissent à D.ieu.
Lorsque l’on prend le temps d’observer une machine aussi extraordinaire que l’être humain, on est stupéfait de constater que tout est une affaire de détails et d’équilibre. Des milliards de cellules microscopiques s’assemblent harmonieusement pour former l’Homme. Le moindre petit déséquilibre, et c’est le dysfonctionnement de la machine tout entière. Il en va de même pour l’ensemble de la Création, cet enchevêtrement d’éléments indispensables par leur présence et leur ordre, à la pérennité du climat, des espèces et de l’ensemble de l’univers.
On a coutume d’enseigner au nom des maîtres de la Kabbale, que le monde physique constitue une projection du monde spirituel. En observant l’ordre naturel, nous pouvons donc mieux comprendre les notions les plus profondes de la mystique juive.
Les Mitsvot comportent des détails a priori superflus, mais en fait indispensables à l’établissement spirituel de ce joyau de la création qu’est l’Homme. Hormis les secrets mystiques renfermés par les Mitsvot et leurs détails, leur observance éveille la sensibilité et l’amour de celui qui les observe avec conviction. Cela fait penser à un enfant qui, par amour pour son père, ne se contentera pas de lui obéir avec nonchalance, mais s’appliquera scrupuleusement au respect de ses moindres ordonnances. Il ne négligera aucun détail, s’étendra en analyses et en introspection pour connaître et saisir à la perfection la volonté de son père. Il lui témoignera ainsi son amour et sa dévotion. L’épanchement du Talmud et de ses Sages dans une suite d’exégèses pointues en constitue une illustration remarquable.
De plus, l’épreuve du respect assidu des Mitsvot dans leurs moindres aspects a pour objet la multiplication des occasions de servir D.ieu et de s’en approcher réellement. En effet, il semble bien plus aisé d’être un héros d’un jour que le compagnon fidèle de toute une vie. C’est effectivement dans la constance et l’observance des détails que nous affirmons notre grandeur, ainsi que notre fidélité et notre amour envers notre Créateur.
Le Talmud enseigne à ce sujet que D.ieu a multiplié les commandements pour accroître notre récompense en rendant nombreuses les occasions d’observer Ses ordonnances. Il a de cette façon fait de chaque acte de notre existence un potentiel, une force, un tremplin pour grandir, exister et se réaliser. Car ce n’est que par le biais du service divin que l’homme peut réellement s’accomplir.