La Torah est dotée d’une profondeur inouïe. Le Midrach affirme qu’elle est plus vaste que les contrées terrestres et maritimes (Tankhouna 59). Une image qui tend à nous faire prendre conscience de l’envergure du texte que nous abordons, un écrit ouvrant l’accès vers l’infini transcendantal permettant l’union entre l’homme et son Créateur. Rédigé de façon à être accessible à l’entendement humain et à ses différents processus cognitifs, il n’en reste pas moins qu’il est porteur de sens dont la profondeur échappe complètement à l’entendement des érudits les plus émérites. (Ramban, introduction à la Génèse).
C’est pourquoi, elle suscite le même engouement chez les jeunes enfants qui l’étudient que chez les vieux maîtres savants bercés dans ses préceptes depuis leur plus tendre enfance. Chacun y décèle la concordance de son niveau intellectuel et spirituel.
Ainsi nos maîtres nous révèlent qu’il existe quatre niveaux d’interprétation bien distincts et adéquats aux différents niveaux d’érudition d’une personne :
- Le Pchat : le sens obvie du texte (ou sens simple)
- Le Remez : le sens allusif
- Le Drach : le sens métaphorique,
- Le Sod : le sens mystique.
Cependant, même le sens littéral du texte, n’est pas impartial.
Il suppose lui aussi une grande variété de sens complémentaires, comme le sens fondamental (ou sens strict), le sens large, le sens figuré, le sens défini, le sens concret etc.
C’est pourquoi la majeure partie de la vie d’un érudit en Torah est passée au déchiffrage des différentes strates du sens induites par le texte.
Dans le Talmud et le Midrach par exemple, nous retrouvons toute cette diversité des sens littéraires que les commentateurs médiévaux comme Rachi ou le Rambam ont décodés. Il s’agit de savoir quand est-ce qu’il s’agit du sens strict et donc à prendre au pied de la lettre ou du sens figuré dont l’idée est plus axée sur l’éthique et la morale.
Il est reconnu par exemple que les histoires allégoriques figurant dans le Talmud ne sont majoritairement pas à prendre au sens strict (Rabbénou. Hananel, Baba Metsia p. 59, Khouzari chap. 3, alinéa 73, Tosséfot Haggiga p. 14).
Les grandes controverses des commentateurs et des décisionnaires sont justement issues des différentes interprétations possibles logées dans le texte.
Le judaïsme est donc tout sauf simpliste et ne saurait être résumé à un seul mot, ni même à un seul paradigme, si séduisant soit-il. Le Talmud reste l’art suprême de la remise en question des systèmes de pensée conventionnels, de la recherche de sources et de preuves pour consolider chaque allégation… Il pose des questions, qui pour un esprit non averti, friseraient l’hérésie. Cela témoigne par-là, de son adoration de la vérité.
Il en va de même concernant la pratique des Mitsvot dont chacune est fondamentalement irremplaçable car divinement modulée pour répondre au besoin spirituel spécifique de chaque parcelle de l’âme humaine (Or Hahaïm, Deutéronome 8, 1).
Il est théoriquement utopique de faire l’apologie d’un commandement plus qu’un autre car l’énergie concentrée là, serait manquante autre part, là où elle était tout autant indispensable. Le roi David disait « Les jugements de l’Eternel sont vérité : ils sont parfaits tous ensemble » (Psaumes 19, 10). Le devoir d’une approche équilibrée s’impose donc. L’extrémisme idéologique n’a pas sa place dans un carcan si magistral dont l’homme ne peut saisir complètement le sens. Mettre en avant une Mitsva au dépend d’une autre relève d’une suffisance humaine, rassurante peut être, mais ontologiquement faussée. N’est-il pas écrit : « Cours vers le commandement facile comme vers celui qui est le plus difficile, car tu ne connais pas la récompense des commandements. » ? (Maxime des pères, 4, 2)
On ne peut donc pas accepter la doxa totalitaire faisant l’apogée de certaines Mitsvot aux dépens d’autres comme le devoir inconditionnel de résider en Israël (qui est une des Mitsvot de la Torah d’après certains décisionnaires) aux dépens de l’accomplissement des autres commandements. La fausse croyance selon laquelle il serait préférable de résider en Israël même sans accomplir les Mitsvot doit nous interpeller.
Lorsque des comportements hégémoniques sont mis en avant par des Sages d’une envergure suprême dont on rapporte des préceptes qui sembleraient contrarier des axiomes élémentaires du judaïsme, notamment concernant le libre arbitre, il est impératif de nuancer et de comprendre précisément l’intention de l’enseignant ainsi que le contexte dans lequel il profère son enseignement, car ils participent parfois au sens du message comme on a l’habitude de le dire au sujet du Rambam et de son célèbre « Guide des égarés » dont les enseignements pourraient être adaptés aux égarés à qui il les adressait.
Nous voyons que les Sages adoptent ce type de procédé face au Talmud lorsqu’il présente des enseignements qui sembleraient en inadéquation avec les fondamentaux comme celui qui laisserait supposer qu’une seule formule suffit pour atteindre l’apogée, comme dans le traité Bérakhot (p. 4) : « Tout celui qui récite trois fois par jour le psaume de Téhila Lédavid est promu au Paradis » ou encore (Ibid.) « Qui est promu au monde futur ? Celui qui juxtapose la bénédiction de la délivrance (Guéoula) à la prière ('Amida) ».
Nos maîtres ont alors interrogé le texte sur sa volubilité - comment une parole, à elle seule, légitime toute l’essence d’un Juif lui faisant atteindre un but pour lequel 613 commandements lui ont été assignés ?!
Le Rav Ye'heskel Levinstein ose sortir des sentiers battus et répond « Concernant l’enseignement qui dit que tout celui qui récite le Psaume de Téhila Lédavid se voit offrir le monde futur, il s’agit de quelqu’un qui a la représentation parfaite que D.ieu exerce Sa Providence sur tous, nourrissant Ses créatures du plus grand au plus petit de façon exacte, de fait, avec une telle foi, il gagne sa place dans l’au-delà. D’après cela, il est évident que nos maîtres n’ont jamais parlé de réciter ce Psaume sans en appréhender l’intention adéquate, car sans intellectualisation ni compréhension, l’homme de change pas ! » (Or Yé'heskel Émouna, p. 103).
De même, Rabbi Yéhouda Halévi dans son Khouzari qui souligne l’absurdité des doctrines irrationnelles des religions des nations lorsqu’ils promettent à leurs fidèles d’accéder aux sphères spirituelles les plus élevées par la récitation d’une simple formule, il écrit : « Il est rationnellement inconcevable que les fidèles des religions déclarent que l’homme vivra éternellement dans le Paradis, grâce à une formule que sa bouche aura prononcée. Or, peut-être toute sa vie durant, n’a-t-il rien su d’autre que cette formule, peut-être même qu’il n’en a jamais compris le sens. Quant à celui qui ne prononcerait pas cette formule, il deviendrait une bête, quand bien même il aurait été un savant philosophe, un homme pieux, toute sa vie assoiffé de D.ieu » -(petit rappel : le Christianisme garantit que le simple fait d’avoir foi en son guide assure à ses fidèles l’accès au Paradis).
Ce à quoi le Rabbin lui répond « Quant à nous (la religion juive), la simple formulation n’a pas de considération mais uniquement l’accomplissement des œuvres laborieuses à pratiquer : purification, étude, circoncision et observance de nombreux autres préceptes » (chap. 1, alinéa 110 - 115).
Nous ne sommes pas séduits par une Torah marketing qui nous promet d’accéder aux plus hautes sphères uniquement en formulant telle ou telle phrase, faisant le don de telle ou telle somme ou nous rendant dans tel ou tel endroit, car nous savons pertinemment que toute radicalité est limitative, prétentieuse et superficielle.
Si D.ieu a jugé bon de donner toutes ces lois, c’est bien qu’aucune d’elles n’est superflue ou facultative et il nous est légitime de questionner, d’interroger et de confronter tout enseignement aux différentes contraintes du sens qu’il se targue d’adopter et de juger de sa conformité dans l’immensité conceptuelle de la doctrine juive. La relativité est un vieux principe juif…