Le concept de Da'at Torah a bien pris racine dans nos communautés. C'est également un idéal en partie incompris par de nombreuses personnes au-delà de la communauté orthodoxe. En réalité, même dans notre propre communauté, des idées fausses circulent à ce sujet.
J'ai entendu certains affirmer que le Da'at Torah n'est possédé que par un ou deux Guédolé Hador, grands Sages de la génération. J'ai entendu d'autres prétendre que toute personne qui a étudié la Torah a aussi le Da'at Torah. Donc, un enseignant de Yéchiva, un rabbin consistorial ou un jeune homme étudiant au Collel posséderait le Da'at Torah.
Qu'est-ce que le Da'at Torah ?
Je ne peux certes pas prétendre être un expert dans ce domaine, mais revoyons au moins quelques idées élémentaires. D'abord, évoquons ce que nous excluons ici. Nous n'aborderons pas ce concept de Da'at Torah dans le monde 'Hassidique, la relation entre un 'Hassid et son Rabbi. Dans la vision du monde 'Hassidique, la relation fonctionne différemment de notre conception classique du Da'at Torah. Il y est question de Bitoul, d'annulation de soi. La notion de Tsadik dans la pensée 'Hassidique est trop complexe pour être abordée dans cet article. Nous évoquerons aujourd'hui le cas d'un Juif qui a besoin de conseils et cherche le Da'at Torah, l'avis de la Torah.
J'entends souvent des gens prétendre ceci : « J'ai consulté le Da'at Torah », et en réalité, ils se sont contentés de parler à un Juif qui est un érudit moyen. Est-ce du Da'at Torah ? Y a-t-il des niveaux de Da'at Torah ?
Définition du Da'at Torah
La vérité, je n'en suis pas si sûr. Mais je pense néanmoins que nous pouvons nous mettre d'accord sur certains points. Tout d'abord, plus un homme étudie la Torah, plus il purifie son Sékhel (cerveau) et plus son Sékhel s'accommode à la volonté d'Hachem. Pourquoi ? Car Hachem exprime Sa volonté dans la Torah, et plus on étudie la Torah, plus on a de chance que notre cerveau soit synchronisé avec celui d'Hachem, si l'on peut dire.
Mais ce n'est pas le Da'at Torah. D'après le Rav El'hanan Wasserman, le Da'at Torah est réservé à un très petit groupe d'individus exceptionnels qui sont si imprégnés de connaissances en Torah que leurs processus de réflexion est saturé de Torah et ils bénéficient d'une aide Divine à un niveau particulier. En conséquence, ils sont les plus qualifiés pour donner des conseils et instaurer des politiques, même sur des sujets non directement liés à la Torah. En effet, la Torah a des réponses à tout (voir Kovets Maamarim, vol. 1, p. 227).
La plupart du temps, lorsque les hommes consultent ce qu'ils nomment le Da'at Torah, ils ont à l'esprit qu'ils consultent une figure rabbinique dotée de plus vastes connaissances en Torah, qui a certainement plus de Sékhel Hayachar et une approche légitime reposant sur ses connaissances en Torah. À mon avis, on ne peut pas dire pour autant que chaque Rav que l'on consulte a atteint le niveau où son intellect est comparable à celui de la Torah. C'est en effet un niveau exalté réservé aux Yé'hidé Ségoula, les hommes exceptionnels de chaque génération (ibid.).
Que sait le Gadol sur le quotidien ?
Je me suis toujours demandé : pourquoi est-ce ainsi ? Comment consulter un Gadol qui est toujours cloîtré dans sa chambre ou au Beth Hamidrach, avec des connaissances minimes de ce qui se passe dans la rue, et lui poser une question qui nécessite une connaissance de la rue ? Comment peut-il vous indiquer la maison à acheter, les Chiddoukhim à envisager, ou les investissements à faire s'il n'y connaît rien ?
De manière intéressante, la raison pour laquelle nous avons de la considération pour nos Guédolim tient au fait qu'ils n'ont pratiquement aucune relation au 'Olam Hazé, ce monde ici-bas. Or, nous leur posons des questions liées à ce monde-ci qui semblent véritablement en-dehors de leur éventail de connaissances.
J'ai récemment lu que le Rav Chmouël Pollack traite ce sujet dans son livret, Az Nidbérou.
En un mot, je pense que la réponse pour décrire ce que nous cherchons dans le Da'at Torah est la Négui'out, le fait d'être concerné, ou plutôt l'absence de Négui'out.
Laissez-moi vous donner deux exemples. Premièrement, la politique. Comment pouvons-nous poser à un Gadol qui connaît toute la Torah une question de politique ? A-t-il lu des ouvrages de base de politique ? Connaît-il les chaînes d'information ? Reçoit-il le New York Times ou le Haarets ? Comment pourra-t-il savoir ce qui est bien ou mal ? Je pense que c'est précisément parce qu'il ne lit aucune de ces publications et qu'il ne s'y connaît pas en politique que nous avons tellement besoin d'obtenir son avis.
La nature paradoxale du Da'at Torah
Lorsque vous faites partie d'un groupe, vous êtes, par nature, influencé par ses normes. Si je suis les tribulations de Donald Trump et tous les aspects de l'obsession de média qui le concernent, je deviens influencé et il m'est impossible de prétendre n'avoir aucune Négui'out. Le fait même que je sois exposé à la morve de la presse autour du président signifie que ma pureté de pensée à ce sujet a été affectée négativement. De même, si je lis les médias israéliens sur les points positifs et négatifs de Binyamin Netanyahou, je suis déjà devenu Nogué'a Badavar (subjectif), car cette exposition va fausser mes connaissances. Seul un homme réellement déconnecté de tout peut objectivement envisager les choses à travers le prisme de la Torah.
C'est légèrement paradoxal, mais le fait d'être plongé dans la politique et de comprendre véritablement les tenants et aboutissants nous empêche de voir les choses clairement. Pour voir clairement, sans aucune Négui'out, il faut impérativement se déconnecter. Être connecté empire les choses, au lieu de les améliorer.
L'avantage d'être le seul à ne pas comprendre le yiddish
Rabbi Pollack a raconté une histoire qui communique ce message de manière extraordinaire.
Imaginez un homme invité à un immense gala, un dîner de gala en faveur d'une prestigieuse institution. C'est un événement exclusif pour des personnages dotés de grands moyens, avec l'objectif de collecter des millions de dollars. L'institution a recruté toute une équipe d'orateurs et d'artistes pour l'événement. Ils ont engagé des artistes pour faire pleurer les participants et d'autres pour les faire rire. Il y a des orateurs passionnants et des présentations vidéo. Ils n'ont ménagé aucun effort pour divertir les participants et les inciter à se montrer généreux. Le seul problème ? Tous les discours sont en yiddish, mais notre invité ne sait pas un mot de yiddish. Il passe la soirée à se sentir exclu. Alors que tout le monde autour de lui pleure et rit en fonction de l'identité de l'orateur, lui est assis là, sans comprendre un mot.
Alors, réfléchissons un instant. Le but de la soirée était d'attendrir les cœurs des donateurs pour les inciter à transférer autant d'argent que possible depuis leurs comptes en banque à celui de l'institution. À cet effet, les artistes les plus talentueux ont été recrutés pour les influencer. Le fait qu'ils comprennent ou non le yiddish les rendait-il plus vulnérables pour être influencés par la Négui'out de l'institution ? Bien entendu. Le yiddish, dans leur cas, était leur ticket pour être convaincus par les relations publiques de l'institution.
Le seul homme de la salle à n'avoir pas de Négui'out était celui qui ne comprenait pas un mot de yiddish. Il sera en mesure de prendre une décision impartiale pour savoir s'il vaut vraiment la peine de soutenir la cause de cet organisme. Il n'a été aucunement influencé par les artistes les plus talentueux et persuasifs dont les performances visaient à influencer les donateurs.
Le savoir crée la Négui'out
L'idée ici est la suivante : le fait d'avoir une compréhension du monde, de la politique, des relations publiques, de la technologie ne rend pas moins vulnérable aux erreurs, au contraire, car on est davantage touché par la Négui'out. On est connecté. Pour prendre une décision réellement rationnelle et impartiale, il faut être déconnecté.
Moins un homme est impliqué dans les excès de ce monde-ci, plus il comprend le 'Olam Haba, le monde à venir, car il n'a pas été contaminé.
C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles nous cherchons le Da'at Torah auprès de ces Yé'hidé Ségoula, généralement des Géants en Torah, des hommes vertueux d'un âge considérable qui ignorent ce qui se passe dans le monde de la manière dont nous sommes informés. Ils s'appuient uniquement sur le Sékhel de la Torah pour prendre des décisions.
Je me souviens qu'un ami m'avait dit ne pas comprendre pourquoi un certain Gadol pouvait s'opposer de manière virulente à certains aspects de la technologie qui deviennent de plus en plus acceptés dans de nombreux secteurs du monde orthodoxe.
La réponse : il ne les utilise pas et n'en tire pas profit. Il n'a pas été influencé par leurs aspects négatifs et sa vision est bien plus limpide que la vôtre ou la mienne sur l'ampleur du terrible 'Hourban (destruction) qu'il entraîne pour notre âme.
C'est la raison pour laquelle nous cherchons le Da'at Torah auprès des quelques remarquables Géants en Torah qu'Hachem place dans ce monde à chaque génération. Par vertu du fait qu'ils ne « comprennent pas », ce sont en réalité eux qui comprennent mieux.
Réfléchissez-y.
Rabbi Avrohom Birnbaum pour le Yated, traduit par Torah-Box