On sait que le verbe « réfléchir », en français, implique une pensée (c’est-à-dire quelque chose d’ABSTRAIT) d’une part, mais par ailleurs a aussi une signification CONCRÈTE. Le miroir réfléchit l’image, tandis que le philosophe réfléchit au sens de l’univers. L’idée commune à ces deux acceptions est un transfert, un passage de la pensée ou de l’image. Quand on réfléchit, on pense assurément, mais c’est aussi le reflet, l’image de notre personnalité. Ce reflet peut être transparent, c’est-à-dire « neutre », et dépourvu de signification. Il peut aussi être positif – c’est l’entente, l’amour – ou négatif : c’est la haine, autre aspect de l’amour. La guerre entre la Russie et l’Ukraine rappelle les guerres entre la France et l’Allemagne, voisines mais opposées et longtemps antagonistes. La Guémara nous dit ainsi que « la haine des ignorants vis-à-vis des Sages est plus profonde que la haine des nations envers Israël » (Pessa’him 49a). Et c’est ici le secret de cette haine dont nous sommes aujourd’hui les témoins. Se sentant frustrés de ne pas être savants en Torah, les ignorants les haïssent et trouvent toutes sortes de prétextes pour expliquer leur opinion, reflet négatif qui explique l’aversion pour les choses sacrées. Ce n’est que dans cette perspective qu’il faut analyser une haine : une impossibilité d’être l’AUTRE, et c’est donc la source de nos difficultés avec autrui.
Mais notre propos, ici, ne se situe pas à ce niveau : il nous importe d’AIMER chaque Juif, de sentir que nous appartenons au même peuple et partageons avec chaque Juif l’héritage trimillénaire qui a permis la survie de notre nation. C’est à cette aune qu’il faut mesurer notre jugement. Ne disons jamais : eux sont les méchants, et nous sommes les gentils. Une telle réflexion serait de l’orgueil, serait la preuve d’une vanité injustifiable et même insupportable. Alors, où doit se situer une réflexion ? Quelle doit être notre attitude, quand nous éprouvons ces difficultés ? Relevons tout d’abord que cette chronique n’a pas pour but de donner des leçons, de s’ériger en juge qui distribue des louanges ou accorde des blâmes à droite ou à gauche ! Loin de nous pareille attitude ! Il faut, cependant, exprimer CLAIREMENT quel est notre devoir : c’est de transmettre historiquement une Révélation exprimée au Sinaï et commentée par l’enseignement des Sages, dans une génération ébranlée par trois évènements fondamentaux : la Shoah et la destruction de centres de Torah existant depuis des centaines d’années, d’une part, deuxièmement par le transfert de ces centres en Terre Sainte, et enfin par la rencontre avec une civilisation dénuée de toute idéologie et soumise à une dictature numérique étouffante.
Trois facteurs que n’ont pas rencontrés avec une telle ampleur les générations précédentes et que doivent affronter les Sages, chargés de continuer une histoire soudée par l’étude. Le philosophe Benny Lévy, secrétaire de Jean-Paul Sartre, après son retour au judaïsme de ses ancêtres, décrit sa fascination face à ses maîtres qui étaient il y a cinquante ans objets de mépris à Paris et surtout à Tel Aviv car ils se situaient en dehors de tous les temps. Ces hommes, sur qui tenait la consistance des mondes, continuaient, comme leurs pères, comme si de rien n’était – car rien n’était – à réciter des Michnayot, et à acquérir les vingt volumes du Talmud (Etre juif, p. 11). Telle doit être notre ambition : nul orgueil, nulle vanité, mais prise de conscience de la continuité du peuple de la Torah. Si, de ce fait, il suscite la haine, c’est assurément regrettable, et il importe de ne pas répondre par un mouvement de retrait. Au contraire, il est de notre devoir de comprendre et de rapprocher de la Torah les membres du peuple qui a reçu cette Torah au Mont Sinaï et doit continuer à la transmettre jusqu’à l’avènement messianique.
Alors, quelle doit être notre « réflexion » – qui reflète l’intériorité d’Israël – « en cette journée / Où sur le Mont Sinaï fut donnée » (Racine, au début de la pièce « Athalie ») – quelle réflexion, universelle, exprimer ? « Amour » ou « Haine ». La haine détruit, l’amour construit. La Torah n’a pas été donnée sur une terre précise, mais dans un désert, sur une montagne peu élevée ! Moché lui-même était remarquable par sa modestie, par son rôle de « serviteur de D.ieu. ». (Selon la Torah). Réflexion de modestie, mais prise de conscience de la puissance de cette mission qui, adressée à Israël, transcende l’Histoire et la géographie, et est à la source de la civilisation. Peut-être est-ce par l’impossibilité d’aimer que l’on en vient à la haine, comme on l’a dit. Dans une époque où l’idéologie s’efface derrière les chiffres, sachons dépasser ces calculs, et découvrons l’AMOUR qui construit et éclaire notre réflexion, s’étendre à l’humanité entière.