Le peuple juif a du talent pour l’éternité.
II lui suffit d'une braise encore incandescente pour rallumer un foyer presque éteint et ramener à la vie toute une communauté. Nos ennemis le savent bien. On a vu leur acharnement à liquider toute trace de vie juive, de peur que même le dernier des petits Jids, affamé et squelettique, puisse leur échapper et engendrer à nouveau une descendance nombreuse comme les étoiles, menaçant leur nouvel ordre.
Récemment, des philanthropes américains concernés par la pérennité du ‘Am Israël, ont fait construire dans le quartier résidentiel de Wesly Hills, à une heure de New York City, une synagogue qui ressemble étrangement à celle du Ba’al Chem Tov en Ukraine. L’authentique, celle qui fut fondée par le Maître du ‘Hassidisme au 18ème siècle dans la petite localité de Medziboz, fut confisquée et fermée par les communistes en 1939, puis détruite par les Nazis en 1943, après avoir massacré les habitants juifs de la bourgade.
Mais comment donner vie à une synagogue, comment y allumer la flamme qui va la faire vibrer de l’intérieur, alors qu’on se trouve si loin du Vieux Continent et de la sépulture du grand maître, en 2022, bien installés dans un quartier cossu des Etats-Unis ?
Pour cela, les promoteurs du concept sont allés chercher en Pologne et en Russie des anciennes pierres de synagogues détruites pendant la Shoah, de celles qui avaient vu les congrégations se réunir pendant des siècles pour un Minyan quotidien, qui avaient entendu le son du Chofar de Roch Hachana, la lecture d’une Kétouba lors d’un mariage et absorbé la piété d’un monde désormais évanoui, englouti par la guerre. Ces pierres du souvenir ont été encastrées dans le mur de la nouvelle bâtisse. Ce sont elles qui vont diffuser dans la nouvelle synagogue la chaleur bienfaisante du judaïsme renaissant.
Le choix d’une synagogue reconstituée sur le modèle de celle du Ba’al Chem Tov n’est pas fortuit. Car sa figure emblématique s’élève immédiatement, lorsqu’on veut parler de raviver un feu, d’insuffler joie et ferveur à une âme perdue ou éprouvée et trouver de nouveaux sentiers pour arriver jusqu'à son cœur.
Israël Ben Eli’ezer
Si D.ieu envoie la guérison avant la plaie, on peut dire que la naissance du Becht (Ba’al Chem Tov), deux ans avant le commencement du 18ème siècle en 1698, annonce l'antidote et le baume d’un siècle qui s’annonce être une gageure de taille pour les communautés juives.
Contemporain de Rousseau et Voltaire, par qui les Lumières des Nations vont briller, il va falloir une personnalité hors du commun par sa piété et la justesse de son analyse sur les besoins urgents du peuple pour relever les défis de l’époque.
La toile de fond des Lumières qui pointent est bien sombre pour le peuple de D.ieu : en 1648, les cosaques de Khmelnytsky déciment des communautés entières, dans des pogroms faisant de 60.000 à 100.000 victimes selon les historiens. Chabbtaï Tsvi, faux messie qui finit par se convertir à l’Islam, laisse derrière lui des Juifs désemparés qui pensaient que l’heure de la Rédemption était enfin arrivée, et Spinoza, définitivement coupé de la communauté portugaise d’Amsterdam, va écrire son Ethique et basculer dans l’hérésie. Le philosophe renie la Révélation et l’intervention extérieure de la Divinité dans la création, et fait de la nature le divin en dérapant complètement du message de Torat Israël.
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Les parents du Ba’al Chem Tov sont des Juifs profondément pieux, pauvres, qui servent D.ieu avec simplicité et sincérité et reçoivent en cadeau ce petit enfant sur le tard. Ils décèdent alors qu’Israël est tout jeune.
Il est difficile d’établir une biographie très précise puisqu’il n’a lui-même pas laissé d’écrits, mais son nom apparaît dans la liste des contribuables de la petite ville de Medziboz et on connaît les étapes importantes de sa vie par ses proches.
Est-ce lors de ses escapades dans la nature qu’il va, comme le patriarche Avraham, être interpellé et subjugué par tant de beauté et de perfection ? Est-ce là-bas, seul dans la magie d’une forêt, que vont s’élaborer en lui les prémices de la pensée ‘Hassidique, ou plus exactement du vécu ‘Hassidique ? Plus tard, il expliquera que le désespoir et le découragement proviennent d’une lecture trop superficielle des événements et qu’il suffit de voir un coucher de soleil, une fleur, un brin d’herbe, pour comprendre que la Main qui est derrière la création du monde ne peut être que celle de la Bonté absolue. Qu'il n’existe pas de solitude (c’est un orphelin qui le dit…) et que la prise de conscience que nous sommes, chacun dans sa particularité, le principal souci du Saint, béni soit-Il, ne peut déboucher que sur une joie intérieure intense.
Son père lui demandera sur son lit de mort de “craindre D.ieu et d’aimer tous les Juifs”. C’est ce testament qu’il prendra avec lui tout au long de sa vie et sa priorité sera d’établir des ‘Hadarim (écoles pour enfants où l'on enseigne la Torah), puis de diffuser ces messages chez les adultes.
Il travaillera dans l’ombre avec d’autres “justes cachés”, (Tsadikim Nistarim) concernés par l’avenir du peuple, et choisira des enseignants sur le volet, des hommes d’une piété et d’une dévotion exemplaires, enclenchant ainsi une révolution qui s’étendra partout dans les petits Shtetls des environs.
Une douce lumière de Medziboz
Le Ba’al Chem Tov considère le rôle du dirigeant communautaire (appelé simplement Rebbe chez les ‘Hassidim) comme celui d’un passeur de courant entre ciel et terre, aidant à réparer les raccords abîmés, à ressouder les fils déconnectés entre un Juif et son Créateur. Pour y parvenir, le Rebbe, comme un générateur alimenté par une énergie spirituelle intense, aidera tout d’abord l’homme à trouver un chemin de réconciliation avec lui-même, d’acceptation de ses zones d’ombre comme de ses éclats. Pour lui, chaque Juif, nonobstant son degré d’érudition, est digne d’une proximité avec son Créateur et il verra dans les cœurs simples et sincères un merveilleux canal de connexion avec le Très-Haut. Pas de privilégiés dans le service divin, la Torah est à tous et servir D.ieu, à portée de chacun.
Les Rabbanim, craignant une nouvelle dissidence, seront sceptiques et parfois virulents à son égard, mais le Ba’al Chem Tov, à côté de sa connaissance profonde de la mystique juive, montrera un attachement indéfectible à la Loi dans ses moindres détails et défendra lui-même passionnément l'étude du Talmud devant les Frankistes (adeptes de Jacob Frank, encore un faux messie de l’époque).
Des hommes de Torah prestigieux, comme le Maguid de Mezeritch, vont reconnaître sa grandeur et à 36 ans, le Becht s’installera à Medziboz, qui deviendra le cœur géographique de ses activités : des milliers de Juifs des alentours viendront lui demander conseil, épancher leur cœur, entendre ses conseils et se recharger d’espoir et de joie auprès de lui. Le mouvement ne s'arrêtera plus et donnera naissance à des milliers de ramifications, qui bourgeonnent jusqu'à aujourd'hui et ont définitivement imprégné la vie juive d’une richesse de pensée et de vécu incommensurable.
Ground zero
La synagogue de Wesly Hills était pleine pour la cérémonie de pose des pierres, qui fut fixée à la date si significative du 9 Av. Dans le judaïsme traditionnel, cette date est un ground zero, un terrain rasé, duquel tout va renaître. Les invités d’honneur furent cinq survivants de la Shoah, très émus, qui de leurs mains tremblantes ont lissé le ciment autour de ces reliques qui ont voyagé dans le temps et l’espace.
“Tous les âges, toutes les tendances, tous les niveaux socio-économiques étaient présents pour l’occasion,” souligne Rav Lichtenstein, responsable de la nouvelle Schul.
“Ici, à Wesly Hills, les Juifs les plus opulents ouvrent leur maison à tous ceux qui doivent pour raison de santé se trouver en soins médicaux dans les hôpitaux avoisinants de New York, et selon la tradition du Ba’al Chem Tov, leur offrent la chaleur de leur logis, d’un repas et d’un sourire.”
Le message du grand maître a traversé les siècles, intact, incandescent, immuable. Et la douce lumière de la petite maison d’Ukraine continue de rayonner à travers les siècles et les continents.
Décidément, ce peuple est vraiment doué pour l’éternité.