On pourrait définir la réalité par la contrainte causale des lois naturelles régissant l’ensemble de l’univers. Mais on pourrait également définir qu’il existe une autre réalité propre à chacun, à laquelle nous sommes tout aussi assujettis.
C’est la maladie, l’insécurité, le danger, l’attente d’une délivrance etc., en bref, toutes ces situations vis-à-vis desquelles un homme se trouve désemparé et impuissant. C’est l’aventure individuelle de chacun individu : sa destinée.
Se pourrait-il qu’il existe un moyen de braver cette réalité et de la sublimer ?
Cette question nous renvoie à un approfondissement plus ontologique, celui de savoir si la réalité a un Auteur, une Volonté qui l’a créée et la façonne ou bien si elle est une causalité fortuite des instances qui l’ont précédée ?
Le message d’Israël
Le peuple d’Israël est le premier et peut-être le seul à s’être mesuré à cette question fondamentale de façon apodictique. Il porte en lui le message révolutionnaire transmis à l’humanité. Il affirme que la trame de l’existence est préprogrammée par un Concepteur suprême. Son extraordinaire Sortie d’exil, la Révélation – dont il fut témoin – ou encore sa survie hors du commun au sein des chroniques d’une histoire hostile, témoigne que la réalité visible à nos yeux, tire son origine d’une essence transcendantale venue de l’au-delà.
Il s’avère donc que les oscillations de la vie (et ses imprévus) ne sont ni imprévues ni accidentelles. Elles sont toutes préétablies de façon intentionnelle. Et la Torah ne s’arrête pas là, elle déclare même que la Providence s’exerce sur chacun des êtres vivants suivant leur niveau de piété. La vie est ajustée à la mesure de chacun.
Après la Révélation, l’existence est ainsi décryptée, elle n’est désormais plus ce qu’elle paraît être – une fatalité aveugle née des fluctuations causales d’un cosmos déterministe – mais elle est bel et bien, la pensée savamment orchestrée d’un Être conscient. Il y a bien une intention à chaque mal, une raison d’être à chaque attente, un tributaire à chaque danger…
Et si l’existence (et tout ce qu’elle renferme) est planifiée, c’est qu’elle pourrait en théorie être modifiée ou repensée.
Peut-on la modifier ? Peut-on transformer la réalité?
La clef du réel
La Torah nous révèle que la clef de voûte de l’existence est le Bita'hon – la confiance (absolue) en D.ieu. Le Midrach affirme que même en proie à la maladie ou au danger, un homme qui aurait la conviction absolue que D.ieu lui portera secours, sera secouru. En somme, transformer son devenir est possible. La Torah conditionne toutefois cette hyper-protection au fait que l’homme y aspirant soit totalement convaincu, sans l’ombre d’un doute, que D.ieu est son seul salut et qu’Il lui portera secours de façon incontestable. Un niveau que beaucoup ont cru atteindre mais que la Providence a souvent contesté.
Parmi les sources vantant les vertus de la Providence, le Midrach dans Yalkout Téhilim (chap. 28), sur le verset « D.ieu est ma délivrance » dit : L’assemblée d’Israël déclare à D.ieu « Je n’ai d’espoir qu’en Toi et mes yeux n’espèrent que Ton secours » D.ieu lui répond « Puisqu’il est ainsi, Je te viendrai en secours. »
Dans le même Midrach (chapitre 714) sur le verset « Psaume de David, en D.ieu j’ai placé ma confiance, je n’aurais jamais de regrets » Tout celui qui place sa confiance en D.ieu sera secouru.
Le Talmud au traité Ménahot (p. 29) va dans la même direction – « Tout celui qui place sa confiance en D.ieu, se voit protégé dans ce monde-ci et dans l’autre. ».
La Michna dans Roch Hachana (p.29) s’exprime au sujet du serpent de cuivre que D.ieu ordonna à Moché de confectionner puis d’élever au-dessus de l’assemblée : « Est-ce le serpent qui tue ou qui fait vivre ? Lorsque les enfants d’Israël élevaient leurs yeux au ciel et assujettissaient leur cœur à leur Père qui est au ciel, Il les guérissait. »
Au point que le Maharal de Prague enjoint dans son livre Nétivot 'Olam : « Qu’un homme place sa confiance et sa pensée en D.ieu afin qu’Il l’aide lorsqu’il se trouve dans le besoin et Hachem exaucera sa demande en contrepartie. »
C’est partant de là que le Rav Ibn Paquda dira dans son 'Hovot Halévavot sa célèbre formule « L’essence de la confiance en D.ieu est la paix de l’âme ». Il poursuit en disant qu’un homme doit avoir la certitude que D.ieu réalisera sa volonté à condition qu’il en soit certain. (Chap. 1, portique sur la confiance en D.ieu)
Nous déduisons de ces références piochées au hasard d’une centaine d’autres que si un homme fait preuve d’une foi inébranlable, il peut déjouer son sort. Réécrire son histoire, changer son destin…
Jusqu’au 'Hazon Ich qui semble contredire cette idée de fond en comble. Le maître lituanien de dire qu’il est tout à fait impensable qu’un homme puisse modifier son avenir par le fait de croire que D.ieu l’épargnera s’il pense qu’Il le fera. Il dit que tout dénouement lié à l’avenir est voué à l’incertitude tant qu’un prophète ne l’a pas préalablement éclairci, rien ne sert donc d’espérer d’après le Rav, les dés sont déjà lancés. D’après cela, le 'Hazon Ich explique dans son célèbre Émouna Oubita'hon (chap. 2) que la confiance en D.ieu s’exprime par le fait de savoir que tout ce qui est fait par D.ieu, même les choses les plus dures, sont minutieusement orchestrées dans une intention connue de Lui seul, mais que tout participe à un bien incalculable souvent caché de la perception de l’homme, mais en aucun cas un homme ne peut changer la donne de D.ieu. La confiance en D.ieu est de savoir que pas tout n’est nécessairement bien mais que tout est pour le bien.
Se pourrait-il que le maître en Torah soit en désaccord avec la Torah elle-même ?!
Le Rav Bloch solutionne cette difficulté de façon à nous faire saisir plus clairement la teneur de l’idée de la confiance en D.ieu selon la Torah. Il explique dans son Iguéret Habita'hon qu’il n’y a pas la moindre contradiction. Le 'Hazon Ich parle d’un homme qui ne se serait pas encore employé au rigoureux exercice de la confiance en D.ieu qui peut prendre parfois plus qu’une seule vie. C’est le travail sur tout son être qui métamorphose la personnalité jusqu’au plus niveau de piété et de dévotion. Le Rav parle de la vision naturelle que tout Juif se doit d’épouser quel que soit son niveau. Le premier niveau de la confiance en D.ieu - savoir que D.ieu gère toute l’existence et qu’Il mène tout vers une issue finalement positive, comme l’enseignait Rabbi 'Akiva : « Tout ce qu’Hachem fait est pour le bien » (Bérakhot p.60)
Dans l'absolu, il est donc possible de modifier son destin, à condition d’être au niveau. Néanmoins, cela nous projette vers une interrogation plus forte – comment change-t-on le dessein de D.ieu ?
La réponse est que D.ieu, source de toutes les bontés, est toujours enclin à apporter son secours à l’homme ou à le rendre heureux, seulement le principe suprême du libre arbitre, participant d’ailleurs au même aboutissement, empêche parfois l’homme d’être secouru ou guéri, il risquerait de perdre son mérite. En revanche, si ce dernier s’élève à un niveau de confiance en D.ieu et de certitude tels que l’intervention divine ne représente plus le moindre danger pour son libre arbitre, D.ieu agit vis-à-vis de lui de façon immanente.