Lorsqu’on tente de comprendre des passages de la Torah, les termes les plus innocents a priori peuvent déceler des merveilles. Considérez comment Na’houm Ich Gam Zou a réussi à trouver un sens au terme « Et » (‘Haguiga 12a). Un élève débutant en hébreu ne traduira peut-être pas ce terme, qui n’a pas réellement de sens - mais si nous sommes déterminés, nous pouvons apprendre beaucoup de ces deux lettres.

Il n’est donc pas étonnant que certains commentateurs aient découvert une signification profonde à un petit terme de ce verset :

« Un homme alla (Vayélèkh) de la tribu de Lévi, qui avait épousé une fille de Lévi » (Chémot 2 :1).

Ainsi commence le récit imposant de la naissance de Moché - et d’après de nombreux commentateurs, le terme Vayélèkh, « il alla », fait allusion au caractère fondamental de cette occasion.

Tout le monde n’interprète pas ce verset de la même manière. L’Ibn Ezra, par exemple, suggère qu’Amran (l’homme) et Yokhéved (la femme) vivaient simplement dans des villes différentes. Il « alla » vers elle, car ils ne se trouvaient pas au même endroit et ne pouvaient se marier si l’un d’eux ne faisait le voyage. Rien de bien compliqué.

Mais une tradition midrachique considère ce terme Vayélekh comme capital. La Guémara dans Sota 12a entend cette expression de manière idiomatique, nous expliquant que le mariage d’Amram à Yokhéved était en réalité un remariage intervenu du fait qu’Amram « avait suivi le conseil de sa fille. » Et quel était ce conseil, si important au point que la Torah y fasse allusion et le Midrach l’étoffe ? Il a conduit à la naissance de Moché et au développement du sauveur du peuple juif. D’après le Midrach, Miriam a guidé son père vers l’espoir en plein désespoir. Il s’était séparé de son épouse, car il semblait inutile de mettre des enfants au monde pour qu’ils soient tués, mais Miriam souligna (1) que certains bébés seraient des filles et ne seraient pas mis à morts et (2), s’abstenir d’avoir des enfants écartait non seulement leur chance de vivre dans ce monde, mais aussi dans le Monde à Venir, et (3) le décret de Pharaon de tuer des garçons ne serait peut-être pas exécuté, mais à titre de Tsadik, Amram réussirait certainement, dans le cadre de ses actions, à éviter les naissances.

La question de la certitude et de l’incertitude dans le troisième point de Miriam apparaît de manière sous-jacente dans tout le débat. Amram était si certain de la manière dont les choses se dérouleraient s’il permettait aux bébés de naître qu’il recula. Sa fille, en revanche, lui offrit un tableau plus complexe de ce qui était et n’était pas certain, et ironiquement, exposer plus d’inconnus lui donna l’assurance de faire un pas en avant. C’était encore effrayant : il pourrait avoir un garçon (qu’il a eu) qui serait en danger en raison du décret de Pharaon ; le Monde à Venir ne semble pas aussi certain que le monde dans lequel nous vivons ; et il est difficile de se reposer sur un concept flou de vertu et mérite personnel, lorsqu’on affronte la réalité immanente du décret d’un roi puissant. Mais Amram le fit néanmoins : Vayélèkh.

Rambam offre la même idée élémentaire que le Midrach sous forme d’une description plus simplifiée, orientée sur le Pchat, le sens simple, qui se concentre sur le terme : « Les Ecritures emploient (le terme Vayélekh), car il ne se faisait pas de souci à propos du décret de Pharaon, mais se prit une épouse pour avoir des enfants avec elle. Car on dit ce genre de choses à toute personne zélée pour entreprendre quelque chose de nouveau. »

Le zèle et l’initiative peuvent être extrêmement puissants, ce sont des traits positifs qui conduisent à des accomplissements capitaux - mais ils peuvent être également à double tranchant. Le Ramban propose divers exemples de versets dans lesquels le terme « Vayélèkh » indique le « zèle pour entreprendre quelque chose de nouveau » et qui ne sont pas toujours positifs. « Et Réouven alla cohabiter avec Bilha » (Béréchit 35 :22) par exemple. Le mariage de Hochéa à Gomer bat Dévalim dans Hochéa 1 :3 - mandaté par décret divin, certes, n’est certainement pas une action qui suscite notre admiration. « Venez (Lékhou) vendons-le aux Ichmaélim. » (Béréchit 37:27).

Devons-nous considérer la vente de Yossef comme un modèle d’une initiative zélée ? Cette étape est-elle comparable à l’étape choisie par Amram pour épouser Yokhéved ?

Peut-être.

Dans une explication semblable, Abrabanel suggère que la Torah souligne que le mariage entre Amram et Yokhéved était saint et conforme à la volonté de D.ieu - un point important à souligner, dit-il, car Yokhéved était la tante d’Amram et « d’après les valeurs de la société, il ne convient pas qu’un homme épouse sa tante… » Pour cette raison, dit Abrabanel, « la Torah dit : un homme alla - car c’était une réalité étrange et surprenante. »

En lisant Abrabanel -et le Ramban aussi - on pense à l’expression suivante : « Il est passé à l’acte. » Le terme « Vayélèkh » n’est pas seulement une action surprenante, mais le fait de faire une action, bien qu’elle soit surprenante. J’ai du mal à croire qu’il ait entrepris une telle démarche !

Comme le souligne Abrabanel, une action semble parfois surprenante, parce qu’elle paraît négative. Comme les exemples du Ramban l’indiquent, certaines actions surprenantes sont en réalité négatives.

Le Rav Hirsch est un autre commentateur qui souligne l’initiative et le courage qu’implique le terme apparemment superflu de « Vayélèkh », notant les traits positifs et négatifs d’une personnalité zélée. Il fait remarquer que ce qu’il appelle « l’esprit du Lévi » est mentionné en allusion dans la Brakha de Ya’acov comme un trait négatif, mais ce même trait était également « l’esprit salvateur en période d’oppression. » Les mêmes traits de caractère sous-jacents qui ont conduit Lévi à rejoindre son frère qui a tué le peuple de Chekhem, ont également permis à ses enfants de briser l’oppression égyptienne : d’après la tradition midrachique, les sages-femmes qui ont déjoué le décret initial de Pharaon étaient de la tribu de Lévi ; les parents de Moché, qui ont dû chercher le courage de risquer de le mettre au monde, étaient de Lévi. Moché a dû lui-même, pas à pas, sortir de sa zone de confort pour libérer son peuple.

Nous avons tous des zones de confort, et souvent, nous n’aimons pas nous en extraire. Nous sommes peut-être préoccupés du qu’en dira-t-on, ce qui a peut-être été le souci d’Amram et Yokhéved. Nous redoutons peut-être le rejet, comme Moché qui a protesté à maintes reprises que personne ne l’écouterait. Nous redoutons peut-être que notre choix ait de terribles conséquences, comme Amram d’après le Midrach et l’interprétation du Ramban.

Mais comme Miriam le rappelle à son père dans ce Midrach, si nous adhérons à nos croyances ou pseudo-croyances, si nous avons trop peur de nous lancer dans l’incertitude, nous perdrons tout le bien qui aurait pu en résulter. Et si nous nous lançons - qui sait où cela peut nous conduire ?

Dans certains des exemples du Ramban, l’action a été une erreur : dans d’autres, l’action semble étrange, mais a été en réalité positive (comme Abrabanel le suggère dans le cas du mariage d’Amram à Yokhéved). Or, il les cite tous ensemble, car peut-être, dans chaque cas, Vayélèkh mérite d’être reconnu pour ce qu’il est : une étape vers quelque chose d’inattendu et/ou d’incertain. Nous pouvons respecter le courage qu’il faut pour faire face à l’inconnu, de faire un choix et se lancer simplement.

Nous ne voulons bien entendu pas encourager des étapes hasardeuses vers des buts douteux, des motivations douteuses, juste pour la gloire. « Lancez-vous » est un concept épineux. Parfois, une action est étrange pour une bonne raison ; parfois, il vaut mieux s’abstenir d’agir. Mais parfois, prendre le risque - un pas vers l’inattendu - peut avoir un impact énorme. Et nous ne pouvons connaître l’impact de ce pas avant de nous lancer.

Considérez simplement combien de décisions et d’actions, grandes et petites, ont façonné chacune de nos vies. De nature indécise moi-même, je suis souvent frappée de voir à quel point de nombreuses décisions semblent hasardeuses - et avec quelle facilité on peut modifier le cours de l’histoire, ou du moins de notre vie, ou d’une journée, dans l’instant qu’il faut pour choisir d’aller d’un côté ou de l’autre. Le choix de cliquer sur « Envoi » d’un e-mail est un bon exemple d’une action qui peut s’avérer dangereuse si l’on ne l’a pas soigneusement réfléchie, mais extrêmement satisfaisante s’il s’agit de ceci : vais-je présenter ma candidature à cet emploi ou non ? Inviter ce convive pour Chabbath ou non ? Tendre la main à cette personne qui nous a blessées, ou que nous avons blessée ? Soumettre l’article à la publication ? Un clic et « Vayélèkh », nous avons fait ce premier pas - ensuite, les choses peuvent bouger.

Dans les termes d’Amos ‘Hakham, auteur du commentaire Daat Mikra sur Chémot, « Vayélèkh » indique l’éveil à l’action et la transition de l’absence d’action à une situation d’action.

En un instant, avec un seul pas, nous pouvons passer du statut d’inactif à celui d’actif. Nous pouvons transformer l’inconnu en connu. Et si nous le faisons correctement, nous pourrions transformer le monde. Et parfois, ça vaut le coup de prendre un petit risque.

Sarah Rudolph