La langue la plus intelligente du monde, la plus profonde, celle par laquelle D.ieu a créé le monde, l’hébreu, ne suit pas les conventions généralement fantaisistes du langage. En français par exemple, rien ne relie un terme à l’objet le définissant. Quel rapport entre le mot « é-l-é-p-h-a-n-t » et l’animal, si ce n’est des protocoles calligraphiques et phonétiques, qui ont été fixés de façon arbitraire ?
Pourquoi le « e » français se prononce comme on le sait, cela aussi fait partie d’un concordat sémantique.
En hébreu, la structure même du mot, sa calligraphie, sa valeur numérique, le son émis lorsqu’on le prononce, sa longueur, la disposition précise de certaines lettres pour le former, en font une entité unique et vivante, renfermant en lui, comme dans un noyau, l’essence même du sujet.
Par 10 paroles, nous disent les Textes Saints, le monde a été créé : au commencement furent donc les mots.
C’est dire leur puissance.
Avec des éléments aussi chargés, on fabrique des matières explosives et c’est pourquoi Nos Sages demandent instamment de traiter ultra-précautionneusement cette substance à haut risque qui s’appelle la parole. Et si l’hébreu, langue sainte, mère et fondatrice de toutes les autres est spécialement impactante, toutes possèdent un potentiel de déflagration fantastique. Car parler, c’est se trouver bel et bien dans une usine nucléaire, où des matières très condensées et compressées peuvent comme un rien exploser et s’échapper de leur centrifugeuse, à savoir nos cordes vocales ; le mot écrit, via un courrier épistolaire, peut lui aussi broyer des vies humaines, comme nous allons le voir.
Bas les muselières
Si L’Europe, et les Européens, ont collaboré si facilement avec les Allemands, en France, en Hollande, en Belgique, et dans tous les pays de l’Est, c’est que l’occupant sut, avec une malice démoniaque, ouvrir les cadenas des pulsions et des penchants les plus noirs de l’homme, qu’en général, scrupules, éducation ou religion tiennent en laisse.
Hitler, comme il l’écrit dans son « Mein Kampf » veut libérer l’humanité de deux plaies infligées par les Juifs : « La circoncision et la conscience ». Bien vu. Car le Juif est un museleur de passions : qu’il soit pratiquant ou non, sa seule présence dérange les semeurs de chaos et les partisans du désordre. Comme s’il porte en lui quelque chose faisant écho à une dimension autre, au-delà de celle terrestre et purement matérielle. Sans Juifs, le monde n’a plus de boussole morale, comme l’a si bien compris le Führer. Et lorsqu’on veut enfreindre les interdits originels sur lesquels toute société décente est fondée, éliminer le Juif devient impératif.
En fait, l’assignement du port de l’étoile jaune facilitait alors le repérage des « coupables », permettant de les cataloguer comme « contaminés » par cette conscience haïe et contagieuse pour autrui. Les Juifs rappellent au monde qu’il existe « une Justice, une Vérité, et des Interdits » : c’est là leur faute et la raison pour laquelle il faut les neutraliser. Vous auriez demandé à l’époque de l’Occupation à un Français moyen pourquoi il courait au sombre bureau de la CGQJ - Commissariat Général aux Questions Juives, rue des Petits Pères, dans le 2ème arrondissement -, dénoncer un voisin inoffensif avec toute sa famille, il aurait bien été en mal de répondre.
Ou peut-être aurait-il tout simplement répondu : « Ben ! Parce qu’il est juif ! » Mais c’est en fait l’irrésistible attrait de vivre « sans conscience », qui séduisit tant les populations qui pactisèrent avec les nazis. Et ces derniers avaient malicieusement compris que le monde aspire à cet affranchissement de toute morale.
Sur quels piliers le Mal tient-il ?
D’abord, sur le vol. Sous forme de spoliation et pillage, il fut cautionné et légiféré par des articles de lois très sérieux, et dans la nouvelle administration de l’État, on pouvait défaire une famille française de confession israélite de tous ses biens, légalement, au nom de l’ordre et de la République ; puis, sur le crime, qu’on allait rendre licite via les déportations et les rafles ; et enfin, sur la délation. Les Allemands la mirent en place pour faire régner ce qu’ils chérissaient au-dessus de tout, à savoir une atmosphère de terreur. Délier les langues, jeter les hommes les uns sur les autres, pour régler des comptes parfois mesquins, mais toujours ignominieux, devint un art.
On a là, sous les yeux, l’illustration de ce que « les mots » peuvent engendrer : pour la seule France, on estime à plus d’un million, le nombre de lettres, anonymes ou signées, qui vont être envoyées aux services allemands pour dénoncer son voisin, son épicier, son professeur ou son collègue. Même d’ « honorables » journaux, comme « Gringoire », innocente revue littéraire, ou le « Pilori », offrent à leurs lecteurs une page croustillante (très lue...), permettant de dénoncer via des petites annonces, qui bon leur semble. Un journal devient le support de la malfaisance et de la calomnie et ce, sans même que les Allemands ne l’aient demandé.
Tout est dénonçable :
Un commerçant concurrent ou une voisine détestée (parfois pour rien, pour un accent ou un nom à consonance étrangère) : on se débarrasse à tour de bras de connaissances encombrantes, et sans scrupules, on envoie à la mort, pour 50 francs français de l’époque par tête, toute une famille. Le public dénoncé c’est d’abord les Juifs, puis les résistants, les communistes et les francs-maçons.
Les lettres délatrices sont épluchées par des employés très consciencieux et très affairés. Manuscrites ou tapées à la machine, elles demandent avec de jolies tournures, en un bon français, parfois sur le ton de la supplication « ...de s’occuper d’un monsieur André Klugman, résidant 70 rue de Grenelle, car il ne porte pas l’étoile !! », ou dans la même veine, « d’une madame Luntz, Juive polonaise, qui parle contre les Bosch… ».
La famille de la jeune Anne Z., vingt ans, a longtemps cherché après la guerre qui l’avait dénoncée, et en fait assassinée, puisqu’elle mourut en déportation suite à cette délation. Sa famille mit du temps à remonter la filière jusqu’au dénonciateur pour découvrir finalement qu’il n’était autre que le père d’un jeune homme qu’elle fréquentait. L’homme, respectable médecin, ne voyait pas d’un bon œil la relation que son fils entretenait avec une Juive.
Comme un sabre affûté, extrait de son fourreau, on décapuchonne une jolie plume, on prend un papier à lettres, on donne des détails, des noms, des adresses, puis on buvarde les mots encore frais, on timbre l’enveloppe et on la poste, à destination d’un des bureaux aux Affaires Juives ou de la Kommandantur. Le tour est joué et on peut placer, déplacer, faire tomber des pions sur notre échiquier, en toute tranquillité, couvert par le nouvel ordre en place.
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Rabban Gamliel avait un serviteur fidèle, Tavi.
« Tavi » demanda Rabban Gamliel, « va me chercher quelque chose de bon au marché ».
Tavi revint avec une langue.
« Tavi, va me chercher quelque chose de mauvais du Souk. »
Tavi revint également avec une langue.
Devant l’œil sans doute amusé de son Maître, le serviteur dit :
« Quand elle est bonne, il n’y a rien de meilleur.
Mais quand elle est mauvaise, c’est ce qu’il y a de pire. »
La parole qui console, réconforte, redonne espoir, berce, est aussi capable de détruire et d'assassiner.
Comme disent nos Sages de mémoire bénie : « La vie et la mort sont entre ses mains… »
Lachon Hara’, littéralement, ne veut pas dire mauvaise langue, mais Langue du Mal. Car il parle le Mal ! Et pour cela, il a besoin d’une langue.
Une période noire de l’Histoire, pas si lointaine, nous a montré comment une parole, « libérée » de sa conscience, peut se jeter sur sa victime, et comme un chien enragé, la mettre en pièces.
Ce Chabbath, où nous lirons la Paracha de la médisance, Chéla’h Lékha, est peut être le moment le plus propice pour y méditer.