En tant que Juifs, avons-nous pour obligation d’être saints ?
On connaît la réponse : « Soyez saints ! Car Je suis saint, moi l'Éternel, votre D.ieu » (Lévitique 19, 2) C’est pourquoi nous avons une bibliothèque remplie des livres du Ram'hal, de ceux du Rav Haïm Vital etc., que nous prions avec ferveur ou que nous écoutons des cours de Torah dans le but de nous renforcer. En bref, nous nous investissons littéralement corps et âme à la tâche, et à juste titre d’ailleurs.
Mais qu’en est-il de l’obligation d’être sain (sans « t ») ? Existe-t-elle ? Si oui, que faisons-nous pour l’accomplir ?
La Torah écrit « Vous garderez énormément vos âmes » (Deutéronome 4, 15) que les commentateurs traduisent par l’obligation d’avoir une hygiène de vie saine. Le Rambam par exemple écrit (Déot, chap. 4, Halakha. 1) « Puisque le fait qu’un corps en bonne santé fasse partie des voies du service divin, car un homme souffrant ne peut rien saisir de la connaissance divine, il est par conséquent requis de s’éloigner de toute chose causant la perte de la santé physique et de s’attacher à tout ce qui apporte une médicamentation au corps ».
Ce commandement n’étant pas explicite, chacun l’interprète plus ou moins selon l’inclinaison de ses volontés et de sa bonne foi. Pour les uns, on ne parle que des drogues dures du type héroïne, LCD ou cocaïne, pour les autres, un peu plus cohérents et fidèles à l’esprit de la Torah, l’interdit englobe également le cannabis et la cigarette, sans pour autant toucher aux boissons hypra sucrées et aux plats hyper gras, sous prétexte qu’il faut bien vivre après tout… D’ailleurs les partis orthodoxes israéliens n’ont-ils pas jugé bon de demander que la taxe qui planait sur les boissons sucrées soit abolie ? C’est bien qu’il est permis de boire du Coca-Cola, non ?!
Quelle est donc la limite ? Essayons d’ouvrir notre esprit à une réflexion libre sans craindre que cela n'ait de répercussions sur notre assiette dans l’immédiat. Personne ne touchera à la boutargue de tonton René ni à la salade cuite hypra huileuse de tata Hermance. Juste réfléchir (tant que cela est encore permis, allez savoir demain…)
L’impact de l’alimentation sur la santé
Que ce soit dans le domaine de la biochimie moléculaire ou de façon expérimentale au travers de la médecine conventionnelle, la science réussit à comprendre de plus en plus le corps humain. Le chemin est certes encore long, avant qu’elle n’en saisisse pleinement la complexité. En revanche, nous connaissons dès à présent les principales causes du diabète, du cancer et des autres grandes maladies dégénératives ou métaboliques, et le plus important est que notre hygiène de vie en est un facteur des plus déterminants.
Le collectif d’experts scientifiques - Global Health Metrics - a évalué les causes attribuables aux morts prématurées dans le monde ces 25 dernières années et les facteurs alimentaires arrivaient en tête en 2017 avec 10,9 millions de décès attribuables à la malbouffe loin devant les drogues où les causes de morts violentes. (Global Health Metrics, Vol. 392 November 10, 2018)
D’après le World Cancer Research Fund (WCRF), 30 à 50% des cancers pourraient être évités en modifiant son mode de vie alimentaire ainsi que son exposition aux facteurs de pollution environnementale (World Cancer Research Fund, American Institute for Cancer Research. Diet, nutrition, physical activity and cancer : a global perspective. Continuous Update Project Expert Report 2018).
Sachant qu’ils représentent depuis 2004 la première cause de mortalité en France avec un indice estimé à 365 500 nouveaux cas par an en 2011. (Drees, L’état de santé de la population en France, Rapport 2015)
Il en va de même des maladies cardiovasculaires qui sont la deuxième cause de mortalité en France avec 180 000 décès par an ou de l’obésité qui a fait l’objet d’une vaste étude nationale en 2006-2007 statuant que 16,9% de la population adulte française en était victime (ENNS). Ces maladies cardiovasculaires ont une relation étroite avec les boissons sucrées (Schulze et al. Food based dietary patterns and chronic disease prevention. Food based dietary patterns and chronic disease prevention. BMJ 2018;361:k2396).
Pourtant les tables des apéritifs à la synagogue n’en démordent pas et on n’imagine pas un Kiddouch sans un bon Coca frais. Et si le bedeau disposait des paquets de Marlboro un soir de semaine, réagirions-nous de la même manière ?
Lorsque nous sommes conviés à un événement religieux type Brit-Mila ou Bar-Mitsva, nous nous attendons au respect des lois de la Cacheroute.
Trop de sel ou de sucre, qu’importe, du moment que c’est bon, on ne vit qu’une fois…Pourtant, la consommation de sel par exemple, est un déterminant majeur de la pression artérielle, il a même été estimé que diminuer sa consommation (passant de 10 à 5g) permettrait de réduire le taux global d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) de 23% et les taux de maladies cardiovasculaires de 17% (WHO Europe, Mapping Salt Reduction Initiative in the WHO European Region, 2011).
Pourtant nous, ce qui nous intéresse c’est uniquement le goût !
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ 41 millions de personnes meurent dans le monde de pathologies non transmissibles, liées en grande partie à une mauvaise hygiène alimentaire, ce qui représente environ 71% des décès. (World Health Organization 2014, Global status report on non communicable diseases) Les Juifs seraient-ils épargnés par ce fléau ? En Israël, on parle même de 86% du taux de mortalité lié à une mauvaise hygiène alimentaire (Ibid.)
Pourquoi sommes-nous laxistes ?
Si tous ces aliments prétendument inoffensifs endommagent réellement notre métabolisme à terme, pourquoi n’aurions-nous pas un interdit de les consommer ? Peut-être que c’est la foi que D.ieu nous protègera envers et contre tout qui nous rassure et nous fait dire que tout ira bien… Demandons-Lui ce qu’Il en pense.
Dans le traité Baba Batra (page 144) et Kétoubot (page 30), il est enseigné : « Tout est décrété par le Ciel, sauf les coups de froid » et le Ritva d’ajouter : « Il ne s’agit pas uniquement des coups de froid, mais de toutes les catastrophes naturelles dont un homme peut se protéger comme par exemple de consommer quelque chose de nocif etc. » (Baba Batra page 144). Les Tossafistes vont même plus loin en déclarant qu’un homme pourrait même en arriver à se donner la mort sans que la chose n’ait été décrétée par le Ciel (Kétoubot page 30 et Baba Batra page 144) c’est-à-dire qu’il n’y pas d’assurance tous risques, et c’est D.ieu Lui-même qui nous enjoint d'être responsables de nos comportements, d’agir avec discernement et prudence sous peine d’en assumer les conséquences…
Alors pourquoi ces aliments ne seraient-ils pas soumis à une interdiction aussi forte que ceux spirituellement nocifs spécifiés par la Torah comme le porc ou les crevettes ? Vous imaginez si les Juifs ne buvaient plus de Coca-Cola ou ne mangeaient plus d’hamburgers frites bourrés de mayonnaise ? À quoi ressembleraient nos tables de Chabbath si nous avions le souci que ne soient posés sur elles que des aliments sains ? De quoi les belles-mères auraient-elles à converser avec leurs belles-filles ?
C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Je suppose toutefois que la réponse réside dans le manque de connaissance des effets de la malbouffe à long terme et de la difficulté pour les gens de se priver. Après tout comment honorerons-nous nos défunts lors des commémorations si nous n’avons plus de chips ni de pistaches ? Et puis le Chabbath, c’est impossible sans la sainte (et pas la saine) Dafina !
Mais je vous pose tout de même la question, au vu de toutes les sources susmentionnées et de la connaissance scientifique dont nous disposons aujourd’hui concernant les effets nocifs de la Junk-Food, n’y aurait-il pas une Mitsva de s’en abstenir ?
En collaboration avec Dr. Judith Toubiana de Restart https://torahbox.com/9JRS