La sensation la plus délicieuse de laquelle on ne voudrait jamais se séparer, celle que les psychanalystes citent comme pierre de voûte de toute l’architecture psychologique d’un individu, garante de son équilibre, de sa confiance en lui (ou non-confiance s’il en a manqué), celle vers laquelle il voudra toujours revenir et qu’il recherche derrière chacune de ses quêtes de plaisir, c’est bien sûr la fusion qu’il a vécue avec sa mère, bercé dans ses entrailles les premiers 9 mois de son existence, et blotti dans ses bras par la suite.
Il n’existe pas de nourrisson inquiet. Entouré, aimé, il s’abandonne à elle, insouciant, alors qu’elle répond à toutes ses demandes.
C’est l’amour total, le plus fort peut-être possible entre deux êtres, puisqu’ils furent d’abord un, pour se séparer à la naissance. Il contient l’élément clef de la félicité : l’expérimentation au plus haut degré du sentiment de protection. Si « amour et chaleur » sont les nourritures essentielles du petit homme en devenir, c’est cette notion de sécurité totale qui est primordiale pour l’enfant.
Comme dans le ventre d’une maman
Lorsqu’on entrait dans le Tabernacle, puis plus tard dans le Temple, conçus de façon identique, c’est ce même ressenti d’extrême sérénité qui vous envahissait. Rien ne pouvait vous arriver de mal dans ce lieu hautement protégé, qui diffusait une aura de Confiance Absolue. C’était ça la Kédoucha, la sainteté.
L’Arche, qui contenait les Tables de la Loi, était le cœur et la pièce centrale du Michkan. Elle donnait toute sa vitalité au Tabernacle, entourée des deux poumons, les Chérubins, la surplombant et lui donnant sa respiration.
La Ménora, l’intelligence pure, éclairait et diffusait sa lumière aux alentours, alors que la Table à Pains, contenant le seul élément comestible du lieu, représentait bien entendu l’appareil digestif.
Le Kiyor, le bassin des ablutions, créé à partir des miroirs des femmes pieuses en Égypte, représentait les substances liquides du corps : sang, eau et tous les fluides.
Les Autels, où l'on brûlait les sacrifices, faisaient fonction de stations d’épuration, à l'image du foie et des deux reins, filtrant les toxines et purifiant l’organisme.
Les Piliers en bois de Chittim, comme l’armature osseuse de l’humain, venaient soutenir les Tentures, à savoir la peau qui recouvre le corps.
Pour l’homme qui y pénétrait, l’ambiance du lieu évoquait un « déjà vu ». Tout faisait écho dans le Tabernacle, à ce Bien-Être originel, d’où lui-même était issu, à savoir l’intérieur du corps de sa mère.
Comme un bain amniotique, l’Endroit amortissait tous les chocs. On y entrait préoccupé, on en sortait rassuré ; une seule visite guérissait les âmes et donc les corps ; lieu de proximité maximale avec l’Être Suprême : le doute ne pouvait y exister.
Aucune tristesse, aucun affolement, aucune agitation n’habitait le Michkan et même lorsque les Cohanim s'affairaient à leur service, leurs gestes se faisaient avec précision, ordre et une calme diligence.
Il était une fois… le Paradis
Il fut un temps, au Commencement, où le monde n’avait pas besoin de Tabernacle. Adam, être abouti, créé des Mains de D.ieu, n’eut pas à passer par les longues étapes du développement embryonnaire et de la gestation pour venir au monde, et son Père le combla d’un environnement idéal : le Gan Eden.
Tout y avait été conçu pour son bien-être, et il devait y vivre en symbiose avec son Géniteur.
Mais Adam, fut doté d’une caractéristique unique, inexistante chez les autres créatures, à savoir la possibilité de fauter et donc d'abîmer. Cette liberté, comme une petite cicatrice sur le visage qui rehausse encore la pureté des traits, sera le cadeau ultime et sublime de l’Éternel à l'homme. C’est là le fameux « créé à l'image de D.ieu » que l’Éternel offrit à l’homme.
Après la faute, Adam et Eve, expulsés de cette matrice originelle qu’était le Paradis, ayant cédé à la tentation de l’arbre de la Connaissance, devront avec leurs descendants faire un très, très long détour pour réintégrer à nouveau cette situation idéale, si bonne, si simple, qui était la leur alors : l’attachement spontané à leur Créateur.
Et c’est avec la construction du Tabernacle, 2000 ans plus tard, que sera réhabilité cet état idéal de proximité avec l’Éternel.
Les Hébreux emmenaient ce petit Mont Sinaï portable là où ils allaient. Les enfants d'Israël se serraient autour de ce microcosme du Gan Eden, en campement ordonné, et avaient l’immense privilège de pouvoir y pénétrer, comme on entre dans le sein maternel, pour y rencontrer Sa Présence.
On comprend mieux maintenant ce que l'on a perdu avec sa disparition, et plus tard, avec la destruction des deux Temples.
Papa où T’es… ?
Exilés du Paradis depuis des lustres, sans Michkan, sans Beth Hamikdach, hors de notre poche protectrice, dans un incubateur de passage, qu’allons-nous devenir ?
D'où puiser la force et l’énergie, la joie simple et la certitude de Son Bien Absolu, que seuls ces lieux de rencontre nous procuraient ?
“Vous Me ferez un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux.” (Chémot 25:8) “Je demeurerai en chacun de vous”, disent les commentaires.
“Cette Torah, elle n’est pas dans les Cieux… et pas au-delà des mers…”, dit le verset “mais là tout proche, à accomplir avec ta bouche et avec ton cœur.” (Nitsavim 30:11-14)
Lors de la dernière étape de ce long périple qui nous a menés du Gan Eden à la venue prochaine du Machia’h, avant l’ultime Dévoilement, c’est de notre cœur qu’on L’entendra nous parler, en marche arrière vers nous-mêmes.
Mais pour cela, il va falloir enfin mettre en sourdine le brouhaha de cette arrogante Connaissance que nous avons ingurgitée, et qui jusqu'à aujourd’hui, veut nous dicter sa logique, ses conclusions, imposer son « cause à effet », ses diagnostics et ses pronostics. Cette rigidité de l'intellect qui croit tout savoir, nous enchaîne et empêche toute respiration vers le Divin et Ses infinis possibles.
C’est ce voile opaque de déterminisme qui mène au découragement et qui Le cache qu’il faut arracher pour enfin Le découvrir : le Tabernacle, aujourd’hui, il est en nous !