Au moment où l’on lit, dans la Torah, les « Parachiot » qui rapportent les pérégrinations de Yaakov, deux des douze fils semblent être les plus significatifs : Yéhouda et Yossef. Alors que l’un symbolise la relation avec l'Étranger (Yossef), l’autre traduit la tentation de l’intériorité (Yéhouda). Yossef va passer 22 ans dans la capitale de la souillure égyptienne, et il saura résister aux séductions qui ne manqueront pas de l’attirer. Yéhouda, à l’inverse, cherche à protéger la construction de la maison : il reconnaît que Tamar a raison, il protège Binyamin (dans le territoire duquel sera construit le Temple de Chlomo), il précède Yaakov en Egypte pour lui préparer une Maison d'Étude. Deux directions qui symbolisent les deux voies de la mission d’Israël : résister aux tentations du Mal, et construire le bien.
Il importe de dépasser cette dualité pour comprendre la destinée du peuple d’Israël. On sait qu’il y a deux sortes de DÉPART. Au départ d’Abraham – auquel il est dit : « Va vers le lieu que Je t’indiquerai » – s’oppose le voyage d’Ulysse qui est un « nostos », un retour à l’origine. Au départ qui a pour but de construire, d’apporter un message à l’humanité – le départ d’Avraham doit mener à la Révélation du Sinaï après l’exode d’Egypte – s’oppose un retour cyclique qui n’a pour essence que de retrouver sa source première.
Nous retrouvons ici les deux directions de la philosophie de l’Histoire : d’une part, un désir de renouveau, de découvrir une orientation dans l’Histoire, ce que l’on pourrait définir comme la recherche d’un SENS, et d’autre part un cycle qui ne doit pas se fixer un but. C’est le principe prophétique, qui est à la source de la philosophie d’Hegel : il faut croire en une direction de l’Histoire. Le marxisme s’est inspiré de cette perspective, en promettant une cité heureuse. Mais sans se relier à une Transcendance, cette voie ne pouvait mener qu’à une impasse. Si cette perspective est éclairée par une promesse divine, alors le Royaume est accessible. L’autre approche, cyclique, est traduite par l’hellénisme qui n’implique pas un progrès, mais un retour vers l’origine dépourvue de signification. Absence de sens, de direction, on aboutit à l’absurde.
Le départ d’Avraham vise à une construction, de l’exil au Royaume, parce qu’il mène à un but. Le départ d’Ulysse n’est pas un échec, mais il n’apporte rien de nouveau. La Torah, elle, nous invite à nous guider vers un renouveau, fondé sur le passé : « חדש ימינו כקדם – Renouvelle pour nous les jours d’autrefois » (איכה – Ekhah 5.21).
Ici se trouve l’originalité de la recherche d’Israël : construire du nouveau, sur la base de l’ancien. Yossef, en exil, maintient l’héritage de Yaakov, qui le reconnaît en disant : « (Ce n’est pas le gouverneur d’Egypte,) c’est mon fils qui vit » (Béréchit 45.28). Quand on lui dit qu’il gouverne l’Egypte, Yaakov reste indifférent. La fidélité à la tradition garantit la survie du peuple. Le partage entre Yossef et Yéhouda s’inscrit dans le devenir de l’Histoire : dans le dilemme qui s’impose à la créature : l’extérieur c’est l’exil, et l’intérieur, c’est le Royaume, la tranquillité FINALE à laquelle l’humanité aspire.
Ainsi le Royaume de D.ieu pourra être atteint : l’humanité erre dans le temps, à la recherche de la Transcendance, tandis qu’Israël, en exil, erre dans l’espace, comme témoin de la Transcendance : de l’exil au Royaume, de la route à la demeure, afin de témoigner de l’existence du Créateur.