Stefan Zweig, juif autrichien né en 1887, passé maître dans l’analyse de la confusion des sentiments, écrira en 1939 un roman intitulé « La pitié dangereuse », décrivant comment la compassion excessive du héros pour une jeune femme infirme finira très mal. Dans ce livre obscur et tragique, Zweig veut montrer que des sentiments légitimes, a priori nobles, peuvent avoir des conséquences dramatiques lorsqu’ils sont mal endigués, ou utilisés comme un vêtement flatteur à nos propres yeux et à ceux des autres.
Bien avant Zweig, la Torah, qui n’est que nuances, nous invite à examiner notre inclination naturelle au bien : aimer, donner, comprendre ou compatir sont des infinitifs remarquables. Mais tout ce qui brille n’est pas d’or, et ce penchant au ‘Hessed est un outil qu’il faut savoir manier.
Comment mettre la limite (et faut-il en mettre une…) au bien que l’on prodigue à autrui ; tout le monde est-il digne de recevoir nos bienfaits ou faut-il être sélectif ? Bref, doit-on se livrer tout entier à nos élans au bien ?
Terreur et chirurgie esthétique
Asraa Jabbas, 30 ans, du village de Djabel Mou’hbar près de Jéricho, quitte sa demeure en voiture le 11 octobre 2015. Elle prend la direction de Ma’alé Adoumim, localité située aux environs de Jérusalem, sur le chemin de la Mer Morte. Son but : tuer des impies, en l’occurrence des Juifs. Elle s’identifie avec les chahid palestiniens, l’écrit sur sa page Facebook et pour cette mission, prend sur elle une lettre qu’elle a écrite, déclarant : « Malheur à vous, ennemis de dieu… » Elle a chargé dans sa voiture deux bonbonnes de gaz et des briquets. Elle commence à rouler. Sur la 418, elle doit ralentir. Un barrage de police israélienne devant elle. Le sergent Moché ‘Hen lui fait signe de s’arrêter. Il s’approche. Elle ouvre le robinet du gaz et allume le feu en hurlant « Allahou Akbar ! ».
C’est l’explosion. ‘Hen est projeté sur la barrière de l’autoroute et sera brûlé au visage et à la poitrine.
La femme prend la détonation en pleine figure, sa voiture s’enflamme. Les forces de sécurité la dégagent de l’automobile grièvement blessée. Elle survivra, partiellement défigurée et les mains mutilées.
Son procès s’ouvrira, après un séjour prolongé dans les hôpitaux d’Israël. Elle avouera les faits et le Tribunal la condamnera à 11 ans de prison. Elle est incarcérée jusqu'à aujourd’hui et continue à être suivie et soignée pour ses blessures. Mais…
Asraa, depuis plusieurs années, renouvelle régulièrement des demandes au Service d’internement (Chabas en hébreu) afin de pouvoir effectuer une… chirurgie esthétique !!! Son nez, lors de l’attentat, a été endommagé et même si médicalement elle peut vivre ainsi, la terroriste demande à se refaire « un visage » aux frais de la caisse maladie et du contribuable.
Mais le plus déconcertant reste à venir. Les autorités pénitentiaires ont sérieusement pensé répondre par l’affirmative à la demande de Jabbas. Compassion oblige. Si ce n’est la lettre que le sergent ‘Hen, indigné, a écrite à l’établissement carcéral, Asraa la martyre allait obtenir gain de cause. Voici les mots que Moché ‘Hen a envoyés aux responsables de la prison : « Un terroriste qui est incarcéré après un attentat va pouvoir faire des études, obtenir une licence et dorénavant, se faire offrir une chirurgie esthétique. Alors qu’un soldat israélien, même invalide à 100 %, n’a pas droit à ce luxe sans raison médicale. »
Sergent ‘Hen est aujourd’hui diagnostiqué comme post-traumatique et souffre de nombreuses séquelles physiques et psychologiques suite à l’attentat. Il ajoute que si la femme ne s’était pas faite exploser sur lui, plusieurs autobus bondés, qui se trouvaient proches du barrage au moment de l’attentat, auraient dû être la cible de la terroriste…
Compatissant avec les cruels ?
Nos Sages, qui en 8 mots vous servent sur un plateau d’argent des vérités universelles, disent :
« Celui qui a pitié des cruels, finira par être cruel avec les compatissants. » (Rabbi El’azar dans le Midrach Tan’houma, Parachat Métsora’)
La compassion n’est pas un sentiment à gaspiller avec les non-méritants. C’est un trait fin, noble et délicat ; mais dirigé vers un être mauvais, il s’émousse, se salit et se pervertit. Et une fois abîmé, il n’est plus fiable.
La meilleure illustration de cette vérité est le passage où Chaoul, épargnant Hagag, roi des Amalécites (personnification du Mal et ennemi juré des Hébreux) a plus tard massacré tous les Kohanim de la ville de Nov, sur un léger soupçon d’infidélité à sa couronne. Comme si, lorsque nos traits (et même les très bons…) sont mal utilisés, quelque chose se détraque en nous.
Ne dépensons pas notre droiture, notre honnêteté, notre bonne foi devant les fourbes, les faux et les cyniques. Sachons les dévisager et passons sur le trottoir d’à côté.
Les plus belles inclinaisons de notre cœur sont des outils ultra-sensibles et précis, adaptés à certaines tâches, de même qu’une bêche est faite pour retourner la terre et un marteau pour enfoncer un clou. Gaspiller sa compassion pour aider des êtres vils revient à casser les dents de son râteau sur du béton. L’ustensile n’a ensuite plus aucune utilité, si ce n’est de devenir le fer de lance contre les gens de bien.
Quelle perspicacité et quelle compréhension par nos Sages des abîmes du psyché humain.
Les autorités pénitentiaires et judiciaires israéliennes qui tendent à céder aux insistances d’Asraa la terroriste, devraient urgemment faire leur introspection pour que, à D.ieu ne plaise, ils ne finissent pas par agir avec cruauté envers des personnes méritantes.
Et pour nous, la leçon est immense : céder devant des individus mauvais, chercher à leur plaire, les flatter nous mènera automatiquement à la cruauté envers des êtres bons et parfois chers…
À méditer !