De passage à Londres, un homme discutait, en compagnie de quelques amis, dans la maison d'une femme connue pour sa richesse et sa générosité. Voici ce qu'il leur raconta :
Un certain juif, appelons-le 'Haïm, un homme pieux et sincère, vivait en Allemagne. Il s'occupait de commerce et sa petite affaire prospérait de façon satisfaisante. Mais un beau jour, 'Haïm décida qu'il en avait suffisamment fait pour son Olam Hazé : il gagnait largement de quoi subvenir aux besoins de sa famille. Il était donc grand temps qu'il songe à son Olam Haba et se soucie un peu de son avenir spirituel…
Il y avait tant de Mitsvot à faire ! Il fallait soulager la veuve, prendre soin de l'orphelin, nourrir les affamés, trouver de l'occupation pour les sans-emplois, prendre le temps d'écouter les malheureux etc.
« Je peux parfaitement me contenter d'ouvrir mon commerce la moitié de la journée seulement, décida-t-il. Cela me laissera une demi-journée qu'il me sera possible de mettre à la disposition de mes frères ! »
'Haïm ne tarda pas à mettre son projet à exécution. Il ferma ainsi son magasin jusqu’à midi tous les jours, et il put trouver le temps de répondre aux diverses sollicitations. Mais les Mitsvot, comme on s'en doute, ne manquaient pas, et le commerce ne resta plus ouvert que pour quelques heures durant l'après-midi. C'est alors que le Satan jugea bon de s'en mêler…
Le commerce qui ne rapportait évidemment rien le matin, puisqu'il était fermé, commença à se désemplir également l'après-midi, lorsqu'il était ouvert. Les clients se firent de plus en plus rares et les affaires allèrent en périclitant, ce qui ne manqua pas de soulever un concert de remarques plus ou moins acerbes parmi les proches de 'Haïm :
Qui avait déjà entendu parler de n'ouvrir un commerce que des demi-journées ? Depuis quand ‘Haïm était-il devenu un philanthrope, et comment pouvait-il se le permettre ? Avait-il perdu la raison ? Etc.
Chacun avait son mot à dire, son conseil à donner. La seule qui n'importunait pas le malheureux 'Haïm, et même qui le soutenait, était son épouse, une femme droite et vertueuse comme lui. Les interventions familiales se multipliant, 'Haïm se retrouva à court d'arguments. Il sentait qu'il devait prendre une décision, mais laquelle ?
C’est alors que 'Haïm apprit que le ‘Hafets ‘Haïm venait d'arriver à Vienne pour prendre part à la Knéssia Guedola (le premier congrès de l'Agoudat Israël, en 1923). Il n'y avait pas à hésiter, il fallait se mettre en route pour Vienne ! 'Haïm irait voir le Tsadik et lui demanderait conseil.
Arrivé à Vienne, 'Haïm se rendit sans perdre de temps à l'hôtel où était descendu le ‘Hafets 'Haïm. Une mauvaise surprise l'attendait : des centaines de visiteurs venus eux aussi pour consulter le Tsadik emplissaient le grand hall et jusqu'aux couloirs de l'hôtel. Certains étaient là pour demander conseil, d'autres pour recevoir une Brakha ou un encouragement. Il ne serait pas facile d'être reçu ! Il se fraya pourtant un chemin à travers la foule : il essaierait au moins d'arriver à proximité du ‘Hafets ‘Haïm, l'occasion se présenterait peut-être de lui exposer son dilemme et de recevoir ses directives.
Le ‘Hafets ‘Haïm, juste lorsque ‘Haïm arriva enfin à entrer, terminait de se laver les mains pour le repas. 'Haïm l'entendit faire le Motsi, après quoi le ‘Hafets ‘Haïm commença à réciter le Psaume 23 : Mizmor Lédavid. 'Haïm, plein d'émotion, suivait intensément chaque geste du Gadol hador. Il l'observa tandis que celui-ci commençait à manger, et soudain, ‘Haïm tendit l'oreille : comme il le faisait fréquemment, le ‘Hafets ‘Haïm, au fur et à mesure qu'il les récitait, expliquait certains versets en yiddish.
Le ‘Hafets ‘Haïm venait de commencer le verset : « Akh Tov Va'hessèd Yirdéfouni (mais le bien et la générosité me poursuivent) », lorsqu'il s'interrompit :
« Que veut nous dire par là le roi David ? s'interrogea-t-il à haute voix. C'est que, voyez-vous, enchaîna-t-il sans attendre de réponse, il arrive parfois qu'un homme décide de se montrer généreux et de répandre le bien autour de lui. Que se passe-t-il alors ? A cause de cette générosité précisément, il est bientôt poursuivi, et le voilà en butte à toutes sortes de critiques. Cet homme ne va-t-il pas se décourager ? Se demander ce qui l'oblige à se créer des problèmes ?
Ne sois pas stupide ! lui répond David Hamélekh. Si on te poursuit, c'est parce que telle est la volonté de D.ieu ! Sans doute a-t-il été décidé, là-haut, que tu devais subir des difficultés. Réfléchis un instant ! Ne penses-tu pas qu'il est infiniment préférable d'être persécuté pour le bien qu'on répand autour de soi que de l'être sans raison ? Si tu dois souffrir, autant que cela en vaille la peine ! Il n'est rien de plus navrant que de ne pas comprendre pourquoi on souffre. Toi, tu as la satisfaction de savoir pourquoi tu souffres et d'assurer en même temps ton avenir dans le monde futur !
C'est là le souhait du roi David : n'être toujours poursuivi que par la bonté et la générosité.
« Je ne désire, affirme David Hamélekh, me préoccuper que de bien et de charité ! Et s'ils me poursuivent ? Eh bien qu'ils me poursuivent… Toute ma vie s'il le faut. C'est ce qui assurera mon avenir, et je resterai dans la maison de D.ieu pour l'Eternité ! »
'Haïm n’arrivait pas à en croire ses oreilles. Il en avait suffisamment entendu, il n'avait même plus besoin d'obtenir un entretien à présent : il avait reçu sa réponse ! Le ‘Hafets ‘Haïm, comme s'il avait deviné le problème qui le tourmentait, lui avait indiqué la voie à suivre.
Heureux et satisfait, 'Haïm prit le chemin du retour. Il pourrait dorénavant se consacrer à ses œuvres sans se soucier des problèmes que cela lui créait. Peu lui importait les persécutions qui en résulteraient. Ce qu'il désirait, c'était « rester à tout jamais dans la maison de D.ieu. »
Comme l'invité finissait de rapporter cette anecdote, la mère de la maîtresse de maison, une femme pieuse et connue pour sa générosité, entrouvrit la porte derrière laquelle elle s'était modestement dissimulée afin d'écouter.
« Le juif dont vous avez raconté l'histoire, déclara-t elle d'une voix tremblante, tandis que ses larmes étincelaient au coin de ses yeux, c’était mon mari ! »