Cette histoire se passe à Jérusalem. Un matin, madame Rivka Nitsni sort sur le palier de son appartement et entend sa voisine du premier étage, madame Sarah Shapits, dire la chose suivante :
- Elle a vraiment l’air ridicule, elle ne sait pas s’habiller !
Rivka peut même entendre les éclats de rire de Sarah et de ses enfants. Elle est convaincue d’être la cible de cette moquerie. Le petit ressentiment qui l’envahit au début se transforme vite en une grande colère.
Quelques jours plus tard, lors de la réunion des résidents de l’immeuble, Rivka trouve l’occasion parfaite pour causer du tort à Sarah en son absence. Elle souligne son manque total de responsabilités, preuve en est que ses enfants font du vélo comme des fous dans la rue et qu’ils provoquent plusieurs fois des accidents. Madame Nitsni conclut en disant :
- Elle ne sait tout simplement pas éduquer ses enfants.
Lorsque madame Shapits est informée des propos de sa voisine, elle ne se gêne pas pour lui rendre la pareille. Elle se met à dire autour d’elle :
- Que faire, madame Nitsni n’est pas assez à cheval sur la pudeur de ses filles, et ce n’est pas à prendre à la légère. Le moment de les marier arrivera bien vite, et elle en paiera le prix…
Madame Nitsni riposte alors par une guerre ouverte, et comme dans toute guerre, les tirs fusent de tous les côtés sans interruption.
Cette partie de bras de fer dure 7 ans. L’une blessant l’autre, et l’autre lui rendant la monnaie de sa pièce. Leurs maris ont bien tenté de calmer la situation et de les réconcilier, mais il n’y avait rien à faire. Une haine débordante se lisait dans leurs regards chaque fois que le nom de l’une ou l’autre était rappelé.
Cette histoire s’est répandue dans tout le quartier puis dans toute ville, et pour couronner le tout, les enfants se sont aussi mêlés au conflit. Tout le monde avait fini par désespérer de voir la situation s’arranger, même les Rabbanim du quartier.
Quelques mois plus tard, Shoshana Nitsni, la fille aînée de Rivka, annonce ses fiançailles à sa famille, à la grande joie de tous. Lorsque l’une des amies de la famille, madame Fitoussi, reçoit la carte d’invitation, elle décide de saisir cette occasion pour tenter de mettre un terme au conflit entre les deux familles.
Madame Fitoussi part donc chez madame Nitsni et lui dit :
- Ma chère Rivka, je suis tellement heureuse pour toi que tu maries ta fille aînée. Mazal Tov ! Mais je n’arrive pas à te comprendre. A cause de cette dispute avec la famille Shapits, je suis inquiète pour Shoshana. Elle risque de reproduire les mêmes relations de voisinage. Quel genre de vie aura-t-elle ? Je t’en prie Rivka, fais un effort et invite madame Shapits au mariage.
L’innocence et la gentillesse de madame Fitoussi font leur effet. Rivka se dit :
- C’est vrai, peut-être que je n’ai pas été à la hauteur dans l’éducation de mes enfants…
Rivka rassemble alors tout son courage et frappe à la porte de sa voisine, tenant la carte d’invitation à la main. Sarah Shapits ouvre la porte et regarde Rivka d’un air glacial en lui disant :
- Qu’est-ce que tu veux ?
Rivka répond :
- Sarah, ca suffit. Je suis venue te demander pardon et mettre un terme à ce terrible conflit entre nous. Si tu veux bien, je voudrais t’inviter au mariage de ma fille Shoshana…
Emue et surprise par les paroles de Rivka, Sarah accepte enfin de faire la paix. Elle lui dit :
- Je suis contente que cette guerre soit enfin derrière nous. Pour le mariage de ta fille, j’aurais tellement voulu venir mais j’ai un examen médical important à faire ce même soir. Je suis vraiment désolée…
Rivka lui répond :
- Alors repousse-le. Je t’en prie, nous avons fait un grand ‘Hiloul Hachem pendant 7 ans. C’est là une occasion en or de faire un grand Kiddouch Hachem et de réparer le mal que nous avons causé !
Madame Shapits veut vraiment accepter, mais cela lui est impossible. Elle répond :
- Crois-moi, je ne peux vraiment pas. C’est un examen délicat que je ne peux absolument pas reporter. Mais si vous pouvez fixer une autre date de mariage, je pourrais venir plus facilement…
Rivka propose alors à sa fille Shoshana de repousser son mariage. Choquée, elle lui répond :
- Jamais de la vie ! Et en plus pour cette Madame Shapits ?! Elle nous a fait endurer 7 ans d’enfer, et elle ose nous demander de déplacer la date du mariage ? Quel toupet ! C’est hors de question !
Sa mère lui répond :
- Shoshana, je t’en supplie. Si tu ne le fais pas pour la voisine, fais-le pour la Présence divine et pour moi. Nous avons une opportunité incroyable de profiter de ton mariage pour clore définitivement cette affreuse querelle avec madame Shapits. Fais-le par respect pour moi, s’il te plaît…
Après quelques instants de réflexion, Shoshana finit par accepter. Par miracle, même son fiancé accepte cette curieuse requête.
La famille Nitsni repousse donc le mariage de trois mois, et de nouvelles cartes d’invitation sont envoyées. Rivka prend même sur elle la perte d’argent occasionnée par ce changement de programme. Que ne ferait-on pas pour la paix !
Au final, cela en valait la peine, car le soir de la date initiale du mariage de Shoshana, dans la salle « Les jardins de Versailles » à Jérusalem, était le soir tragique où le plafond de la salle s’est écroulé sur les gens qui s’y trouvaient. 25 personnes ont trouvé la mort, et il y a eu également une centaine de blessés. Ce changement de programme a tout simplement sauvé la famille Nitsni de la mort.
Le soir du mariage de Shoshana, les gens ont témoigné que Madame Nitsni et Madame Shapits ont dansé sans interruption et avec une joie particulière.
Une fois les invités repartis, les deux voisines s’assoient pour discuter. Rivka commence à raconter à Sarah la toute première offense qu’elle a ressentie de sa part. Elle lui dit :
- Ce matin-là, je suis sortie sur le palier et je t’ai entendu dire : "Elle a vraiment l’air ridicule, elle ne sait pas s’habiller !" C’est à ce moment précis que je me suis vexée et que notre querelle a commencé. Tu me jugeais sur ma façon de m’habiller, et je n’arrivais pas à te pardonner…
En entendant cela, Sarah n’arrive pas à y croire. Elle dit à Rivka :
- Comment ? C’est juste à cause de ça ? Je me souviens de ce matin-là. Ma petite dernière, Léa, tenait à la main sa vieille poupée et m’a demandé si elle était bien habillée. Je lui ai répondu : "Elle a vraiment l’air ridicule, elle ne sait pas s’habiller !" Ça n’avait rien à voir avec toi !
Quelques jours plus tard, des dizaines d’annonces ont été collées au bas de chaque immeuble du quartier. On pouvait lire :
Des cours seront prochainement organisés chez Madame Shapits sur le thème : "Des mots innocents qui peuvent parfois blesser…"
Kobi Levy