Suite à notre interview du Machia’h et à une plainte de l'ange Samekh Mèm - appelé aussi Yétser Hara' (mauvais penchant), Satane ou ange de la mort - le CSAA (conseil supérieur des anges et des âmes) nous enjoint de lui réserver un droit de réponse dans nos colonnes au nom de l'égalité du temps de parole. Notre intrépide reporter, au nom de l'éthique journalistique n'a pas hésité une seconde à rencontrer cet effroyable personnage qui, quant à lui, a promis une totale immunité à notre collaborateur.
Binyamin Saada : Eh bien Bonjour...euh...Pour vous dire la vérité, je ne sais pas trop comment vous appeler.
S.M : C’est tout naturel. Comme il est écrit[1] après mon combat épique avec Yaakov votre père : “Jacob l'interrogea en disant : "Apprends-moi, je te prie, ton nom." II répondit : "Pourquoi t'enquérir de mon nom?"
Rachi de faire très justement remarquer : "Pourquoi poses-tu cette question pourtant tu sais bien que nous les anges, n’avons pas de nom immuable. Nos noms changent suivant les missions dont on nous charge[2]. Donc, peu importe.
B.S : Même si nous ne pouvons connaître clairement votre nom, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
S.M : Pourquoi ? Chacun d’entre eux me connaît parfaitement bien. Je les accompagne pour ainsi dire depuis le jour de leur naissance. Insinuer que quelqu’un ne me connaît pas est parfaitement hypocrite, monsieur Saada.
B.S : Bon, eh bien, pouvez-vous au moins nous dévoiler le sens de cette plainte et la raison de ma venue.
S.M : C’est très simple. L’interview du Machia’h m’a proprement agacé ! C’est bien joli de tirer la couverture à soi, mais mon rôle capital a été totalement occulté !
B.S : Je ne comprends pas. Vous êtes, excusez-moi, l’antithèse de la Guéoula !
S.M : Monsieur Saada, votre ignorance crasse me sidère. Sur le verset[3] “Et D.ieu vit tout ce qu’Il avait fait. Et voici que c’était très bien”, savez-vous ce que dit le Midrach[4]? Non ? Et bien je vais vous le dire. “Bien”, c’est le Yétser Hatov (le bon penchant). “Très bien”, c’est le Yétser Hara' (le mauvais penchant). Alors ? Qu’est-ce que vous dites de ça ?
B.S : J’avoue que je suis un peu perdu…
S.M : Bon, reprenons depuis le début. Les notions abordées vous seront peut-être un peu complexes mais ça m’est égal. C’est de votre faute. Vous n’aviez qu’à pas m’écouter et aller étudier plutôt que de vous amuser avec votre...comment vous appelez ça déjà ?
B.S : Smartphone?
S.M : Oui, voilà ! Quel merveilleux outil de travail pour moi ! C’est fabuleux ! (rire démoniaque).
Bref, Nous nous égarons. Revenons à nos moutons. Contrairement à ce que vous pensez, je ne suis pas méchant ou pervers. Je fais juste mon boulot. Je ne suis qu’un humble serviteur du Roi[5]. C’est vrai, j'accomplis mon œuvre avec sérieux et minutie, mais lorsque je vous incite à vous disputer avec votre conjoint, à dire de la médisance ou à ne pas étudier la Torah, ce n’est que pour vous faire progresser dans votre service de D.ieu.
Chaque fois que vous repoussez mes avances, les dévoilements spirituels sont inimaginables[6]. La guerre constante que je vous livre vous permet de vous dépasser, jusqu'à même faire don de vous-même pour le service divin. Ça s’appelle dévoiler la Yéhi’da, l'essence même de l’âme qui justement, je vous le donne en mille, permet le dévoilement de la Guéoula.
Vous croyez vraiment que si votre âme était restée pépère sous le Trône divin, elle aurait pu se dépasser et dévoiler ses forces profondes ? Que nenni ! Il fallait qu’elle vienne ici, dans ce monde matériel avec moi comme coloc ! Bref, la Guéoula, le dévoilement divin etc... C’est grâce à moi !
B.S : Oui, mais enfin il est quand même dit qu’à la fin des temps, D.ieu vous égorgera[7], vous fera la Ché’hita ! C’est une drôle de promotion pour un si bon employé !
S.M : (profond soupir agacé) Vous êtes idiot ou vous le faites exprès ? C’est vraiment un comble que ce soit moi qui doive vous expliquer. Le terme Ché’hita n’est pas anodin. Si vous étiez allé voir les commentaires de cette Guémara, vous le sauriez. Le Aroukh Laner explique que de la même manière que la Ché’hita permet de se départir du mauvais (la vitalité bestiale) et de ne garder que le bon entraînant alors l’élévation de la bête, alors ma Ché’hita permettra aussi mon élévation[8]! Dans le même ordre d’idée, la ‘Hassidout explique que terme Ché’hita fait allusion à la sublimation de la matière par laquelle je veux vous faire chuter et à son intégration dans le domaine de la sainteté[9]. D’ailleurs vos employeurs, ce “Torah-box” est excellent dans cet exercice. Utiliser Internet, centre de toutes les perversions humaines pour la Torah, c’est ça élever ce monde. Et tout ça, c’est grâce à moi ! Alors qu'est-ce que vous avez à répondre à ça ?
B.S : Votre discours est le reflet de votre nature et de la nature de votre travail sur nous. Faire passer les moyens pour des fins. Le Yétser Hara', c'est d'abord la conscience de soi-même. Le Midrach que vous avez cité au début de notre conversation a une suite : sans vous, l’homme ne voudrait pas se marier, construire une maison, construire le monde... alors oui c'est vrai cette conscience de soi est capitale pour pouvoir faire avancer ce monde et en l'occurrence le faire arriver à la Guéoula. Notre âme divine, assoiffée d'extase, ne suffirait pas.
Mais vous n'êtes qu'un moyen pas une fin ! Celui qui fait venir la Guéoula ce n'est pas vous ni même le Machia'h, c'est nous, le peuple d'Israël qui vous combat, qui par son annulation à D.ieu, son abnégation à la Torah et aux Mitsvot sublime la matière et en dévoile la nature profonde, l’essence même du divin. Ainsi, l’issue du combat ne fait aucun doute et se réalisera alors la prophétie “Quand même tu fixerais ton aire aussi haut que l'aigle et la placerais dans la région des étoiles, je t'en précipiterais, dit l'Eternel[10]”, et vous pourrez alors dire “Jacob ne sera plus désormais ton nom, mais bien Israël ; car tu as combattu des puissances célestes et humaines et tu es resté fort”[11].
S.M : (long silence) Amen !
[1] Béréchit 32.30.
[2] Béréchit Raba 78.4.
[3] Béréchit 1.31
[4] Béréchit Rabba 9.9.
[5] Voir Zohar partie 2 page 163a et Tania fin du chapitre 9 et fin chapitre 29.
[6] Tania chapitre 27
[7] Voir Traité Souca 52a.
[8] Voir aussi Maarcha; Baal Chem Tov sur la Torah Parachat Béréchit paragraphe 149 ; Roua’h ‘Haïm sur la Michna (Pirké Avot 1);Tsidkat Hatsadik paragraphe 47.
[9] En se basant sur l’affirmation de la Guémara (‘Houlin 30b) “אין ושחט אלא ומשך” qui, au sens simple est une description technique de l'abattage rituel. Mais la ‘Hassidout explique que dans son sens profond, cette affirmation décrit la sublimation de la matière. En effet le mot משך est aussi utilisé en droit civil concernant l’acquisition de biens mobiliers que l’on fait passer du domaine public au privé. Le domaine public se dit Réchout Hara'bim, littéralement le domaine de la multiplicité, allusion au monde de la matière, antithèse, à priori de l’unité divine. Le domaine public se dit Réchout Haya’hid, littéralement le domaine de l’Unique, évidemment allusion à D.ieu et à la sainteté. Dans son sens profond, l'affirmation de la Guémara veut donc dire, en allusion que grâce à la Ché’hita, on fait passer la bête, sa matière dans le domaine de la sainteté. C’est également ce qu’elle veut dire lorsqu’elle nous enseigne que D.ieu fera la Ché’hita au Yétser Hara'. La matérialité, source potentielle du Mal, passera dans le “domaine de l’Unique” et permettra le dévoilement du divin.
[10] Ovadia 1,4.
[11] Béréchit 32,29.