La « saison des questions » vient juste de s'achever. Nous venons tout juste de dire adieu à une fête qui nous encourage à poser des défis, à poser des questions. Pessa'h nous encourage non seulement à poser des questions, à nous interroger sur le pourquoi des choses, mais elle tente également de nous donner certaines réponses. Pessa'h nous enseigne que le Juif dialogue par des questions et réponses, que nous apprenons et progressons lorsque nous défions et posons des questions.
Mais tout récemment, le décès tragique, apparemment prématuré, d'un si grand nombre de nos proches, amis, et dirigeants communautaires juifs nous rappelle durement que certaines questions ne doivent pas être encouragées, et qu'il convient d'éviter des interrogations qui n'obtiennent pas de réponses satisfaisantes.
En effet, chaque année, lorsque nous prenons le temps de réfléchir aux horreurs de la Shoah, nous n'avons besoin ni d'encouragement, ni de coercition pour nous interroger : nous le faisons de manière instinctive, inéluctablement et inévitablement. L'observance du Yom Hashoah suscite de nombreuses questions philosophiques et théologiques qui mettent au défi chaque parcelle de notre âme. La confrontation et la reconnaissance du mal et de l'horreur ébranlent notre âme même.
Alors qu'à Pessa'h, nous pouvons consulter des réponses toutes faites, ces autres questions restent vivement présentes dans nos esprits.
Un homme aborda un jour le Rabbi de Klausenbourg, Rabbi Yékoutiel Halberstam zatsal et lui demanda : « Dites-moi, comment se peut-il qu'un grand nombre de survivants aient trouvé le courage et la force non seulement de survivre, mais de reconstruire, de fonder des familles, de rester positif, et d'avoir foi dans la société et l'humanité ? » Le Rabbi était la bonne adresse, puisqu'il avait reconstruit une dynastie 'hassidique après avoir perdu son épouse et onze enfants dans les chambres à gaz.
Le Rabbi répondit par deux mots : Bédamayi'h 'Hayi. Le jeune homme fut surpris, mais pensa avoir compris. Ces deux termes, issus du Livre de Yé'hezkel, signifient : « Dans votre sang, vivez. » Le verset entier, qui est récité à la fois lors du Séder de Pessa'h et à chaque Brit Mila d'un bébé juif, est une allusion à un épisode en Égypte, juste avant l'Exode, lorsque le peuple juif reçut l'ordre de circoncire ses mâles et d'apporter le Korban Pessa'h, le sacrifice de Pessa'h. Par le mérite de ces deux commandements, qui contiennent tous deux du sang, la nation gagnerait la Délivrance et la vie éternelle, en tant que peuple élu de D.ieu. « Bédamayi'h 'Hayi.» Par ton sang de ces commandements, vis.
Le jeune homme commenta à voix haute, pensant que le Rabbi faisait référence à la faculté d'avancer après avoir déployé une telle Messirout Néfech, un tel sacrifice. Ils avaient littéralement saigné, ils avaient perdu leur chair et leur sang, et cette Messirout Néfech leur avait donné le mérite d'avancer.
Mais le Rabbi corrigea le jeune homme. Ce n'était pas du tout ce qu'il avait visé par ces propos. Le secret, la formule du courage de ces survivants, provenait d'une source différente.
Dans la Paracha de cette semaine, Chémini, nous lisons le décès tragique, apparemment prématuré des fils d'Aharon, Nadav et Avihou. Moché, ressentant la douleur profonde de son frère, tenta de le réconforter : « Vayomer Moché El Aharon Hou Acher Diber Hachem Lémor Bikrové Ekadèch Véal Pné 'Hol Ha'ahm Ekaved » : c'est ce que signifie D.ieu lorsqu'Il dit, Je veux être sanctifié par les plus proches de Moi.» Rachi commente que Moché a dit à Aharon : « Je savais que ce Michkan (sanctuaire) serait sanctifié par ceux qu’aime l’Omniprésent, et je pensais que ce serait moi ou toi. Je sais désormais que tes fils sont plus grands que moi et que toi.»
Moché tente de trouver un sens, un contexte. Il essaie de donner une réponse ou une explication à cette profonde tragédie et perte. Et quelle a été la réaction d'Aharon ? Le verset conclut : « Et Aharon se tut. » Les propos de Moché ont été accueillis dans le silence, un silence complet et total.
Nous ignorons la source ou la racine de ce silence. Aharon était peut-être si bouleversé qu'il n'eut rien à dire. Il avait peut-être une foi si profonde qu'il ne ressentit pas le besoin de répondre. Nous ne le savons pas.
Mais, remarque le Rabbi de Klausenbourg, nous savons que le silence d'Aharon lui a permis de continuer à fonctionner, à être positif et à poursuivre sa mission. Il se tourna vers l'homme et lui dit : vous m'avez demandé comment il a été possible de reconstruire nos vies, c'est simple. Bédamayi'h 'Hayi, avec Damayi'h, avec ce Vayidom d'Aharon, avec le silence, nous avons continué à avoir une vie. Il n'y a ni réponses ni solutions à l'anéantissement et à la tragédie innommable. Nous ne devons pas nous embarquer pour tenter de comprendre, mais nous concentrer plutôt sur ce qu'il nous incombe de faire maintenant. Le silence nous permet d'être positif, d'avoir le moral, d'avoir foi dans le monde et de continuer. Pour certains d'entre nous, c'est un silence de soumission. Pour d'autres, un silence de doute. Pour d'autres encore, un silence de protestation.
On demanda un jour à Eli Wiesel : « Y a-t-il une tradition du silence dans le judaïsme ? » « Oui, répondit-il, mais nous n'en parlons pas. »
Comme Pessa'h nous l'a enseigné, les questions sont non seulement légitimes, mais elles sont encouragées et désirées. Les réponses, en revanches, ne sont pas toujours à portée de main. Lorsque nous nous rappelons des horreurs de la Shoah, lorsque nous affrontons les tragédies récentes dans le monde, puisons des forces en nous agrippant à la foi silencieuse du Rabbi de Klausenbourg et de si nombreux autres survivants, qui, en dépit de tout ce qu'ils ont enduré, n'ont jamais cessé de vivre, guidés par le crédo de Bédamayi'h 'Hayi.
Rabbi Efrem Goldberg