Mon père s'appelle Golan, c'est un habitant typique de mochav (petit village en Israël). C’était un travailleur qui avait grandi dans un mochav prospère aux étendues d’herbe verdoyante et entouré à perte de vue par des champs de par des champs de céréales et des plantations d’agrumes. L’abondance et la profusion avaient été son pain quotidien, une cuillère d’or l’ayant comblé de douceurs et de délices. Avi et Mochiko, nés à une année d’intervalle l’un de l’autre, étaient les deux fils choyés de parents cultivés. Leur réussite financière s’étendit au-delà des limites de l’exploitation agricole florissante de leur père, au centre de laquelle trônait une gigantesque piscine grouillant de magnifiques poissons.
« Les poissons du Golan » était une firme mondialement connue dont les services étaient très sollicités, notamment pour les festivités des américains et des européens. En effet, ces derniers aimaient tout particulièrement offrir en ces occasions des poissons multicolores. « Les poissons du Golan » nageaient joyeusement dans des milliers d’aquariums aux quatre coins du monde, ce qui engendrait un arrivage illimité de dollars, d’euros et de marks sur le compte en banque de la famille.
Avi, l’ainé, âgé de 23 ans, avait fini son service militaire deux ans auparavant et s’ennuyait à mourir. Il n’existait pas dans tout le pays un seul endroit qu’il n’avait pas exploré. C’était un randonneur inconditionnel, toujours muni de sa carte d’Israël et de sa boussole, s’aventurant dans les oueds et les vallées profondes, entre l’escalade dans les montagnes du nord et les collines du sud. Pas un seul coin ne lui était inconnu et de nombreuses compagnies touristiques sollicitaient ses services. Avi Golan refusaient poliment ces propositions bien que ses résultats aux examens de son stage de guide touristique furent plus qu’excellents et qu’il termina le stage avec succès en trois mois seulement.
Il était atteint du syndrome bien connu des jeunes israéliens : voyager. Il rêvait d’un vrai voyage, bien préparé, au fin fond de L’Asie, de l’Afrique ou peut-être même de l’Amérique du sud. Ses parents réagirent à cette nouvelle, non sans une certaine inquiétude, mais Avi Golan savait toujours rassurer avec le charme et la sympathie qui le caractérisaient. Finalement, les frères Golan optèrent pour un voyage en pleine jungle africaine. Cette décision fut prise après de nombreuses conversations avec des professionnels du voyage et des conseillers en tourisme. Ils étaient convaincus que ce serait le voyage de leur vie.
Deux jours avant le fameux départ en Afrique, Avi passa une agréable soirée en compagnie de quelques amis qu’il avait connus à l’armée, pour échanger ses impressions. Meme Yossi Pélah’, du nord de Tel-Aviv, qui était le cuisinier de la base, se trouvait parmi eux. Cependant, ce n’était plus le même Yossi ; une barbe taillée encadrait son visage et il portait sur la tête une grande kippa blanche tricotée sur laquelle étaient brodés en fils bleus des deux cotés « Na,Nah, Nahma, Nahman ». A un certain moment de la soirée, la conversation dévia sur le sens mystique profond de l’inscription sur la kippa de Yossi, pour finir invariablement sur le bourrage de crâne exercé par les haredim et le Rabanim sur ces innocents hozrim bitchouva (personnes revenues au judaïsme).
Yossi Péla’h était seul à défendre sa cause, en face de six amis non-pratiquants. Parmi eux, il y avait lgal, de Kfar Chemayahou, Baroukh, de Ramat-Gan, Itsik, originaire d’un kibboutz et Moché, le pêcheur d’Acco. À vrai dire, il n’était pas muni des meilleures armes pour leur répondre. Cela faisait en tout et pour tout six mois qu’il était revenu au judaïsme. C’est vrai qu’il avait eu le temps de passer Roch hachana à Ouman, sur la tombe du Tsaddik, de lire le Tikoun Haklali, les fameux dix tehilim qui faisaient des miracles, amis ses connaissances en Torah ou en pratique des mitsvot étaient plutôt maigres.
A un moment de la conversation, Avi Golan tint de propos virulents contre le Tout-Puissant, les Tsadikim et les Rabbanim, des mots que même ce papier ne pourrait supporter. Yossi Pélah sentit qu’il perdait le contrôle de lui-même et avant de répondre de façon incorrecte, il se leva, saisit son téléphone posé sur la table et se sépara de ses amis.
« Que Hakadoch Barouh Hou te pardonne, Monsieur Golan, lança Yossi Pélah, que tu aies le mérite de faire Techouva. »
« Je pars en Afrique après demain, Yossi, lui répondit Avi Golan, et là-bas, en Afrique, il n’y a qu’… qui pourrait me faire faire Techouva… » La dernière phrase prononcée par Avi provoqua les éclats de rire de toute l’assemblée. Seul Yossi n’avait pu entendre qui ou quoi exactement pouvait faire techouva au mochavnik, Avi Golan, quelque part en Afrique, mais il était clair que la phrase de son bon ami avait fait rire eux larmes. Lui n’était déjà plus là, il ne pouvait plus supporter de telles ambiances…
Avi et Mochiko Golan atterrirent en Afrique, munis de nombreuses cartes du pays, de boussoles, d’argent liquide et de cartes bleues, mais surtout mus par une grande motivation, bien décidés à conquérir la jungle, surtout les endroits que la civilisation n’avait pas encore découverts… Trois mois exaltants s’écoulèrent pour les deux frères qui photographiaient tout ce qu’ils voyaient pour ne rien oublier de leurs aventures palpitantes. Des troupeaux d’éléphants au galop, des luttes entre des lions et des antilopes se débattant pour leur survie, le spectacle d’oiseaux rares surplombant de profondes vallées suscitant l’émerveillement. Ils s’acclimatèrent très bien avec les tribus sauvages qui les regardaient parfois d’un œil méfiant. En très peu de temps, les deux frères finissaient par trouver grâce aux yeux de leurs chefs qui, au lieu de les faire mijoter dans leur énorme marmite, leur offraient en cadeau un arc et des flèches et les renvoyaient en paix.
Jusqu’à ce jour terrible…
Les frères Golan décidèrent de rentrer en Israel, mais avant cela, ils projetèrent de faire une virée en moto dans un des sites sauvages les plus pratiqués de la jungle. Les motos furent bien approvisionnés en essence et dès l’aube, ils montèrent sur leurs engins et démarrèrent en toutes trombe en direction de la foret. Leur soif d’aventure était à son comble et ils décidèrent plutôt d’emprunter le chemin caillouteux parallèle. Avi appuya sur l’accélérateur alors qu’il arrivait à un virage et, comme surgie de nulle part, une girafe apparut soudain et se dirigea vers lui au galop. Une terrible peur s’empara de lui. Il tourna à droite et elle, bifurqua sur la gauche, il continua à gauche et elle, coupa à droite, comme si elle était bien décidée à lui foncée dedans. Il freina avec force, mais c’était déjà trop tard. La moto heurta le corps de la girafe et sa tête percuta de plein fouet la tête de l’animal. Ce fut un sacré choc !
Mochiko, qui roulait devant, tourna la tête et vit le terrible spectacle ; son frère gisait au sol, au milieu d’une grande flaque de sang alors que la girafe était elle aussi allongée à terre gémissante. Mochiko, tremblant d’angoisse, se demandait comment faire venir des secours jusqu’à cet endroit. Il parvint à l’aide de bandes à stopper les plaies saignantes de son frère, puis monta sur sa moto et rejoignit rapidement la route principale sur laquelle il aperçut un bus de touristes. Il l’arrêta et demanda au conducteur noir de transporter son frère à l’hôpital le plus proche. Le conducteur était assez flegmatique. « Le bus est rempli de touristes, lui dit-il dans un mauvais anglais, je ne peux pas interrompre l’excursion. »
« Mais mon frère peut mourir, combien voulez-vous que je vous paye pour cela ? »
Le conducteur considéra la proposition et 1500 dollars tonifiants parvinrent à le convaincre de s’excuser auprès des touristes de ce changement de programme et de leur promettre de les dédommager. Il se rangea sur la bande d’arrêt d’urgence et aidé de Mochiko, fit monter Avi dans le bus. Dans le petit hôpital de ce village africain, l’état d’Avi put être stabilisé, il avait perdu connaissance. Son crâne avait été affreusement écrasé par l’accident. Le consul israélien parvint à transférer Avi Golan en ambulance à l’hôpital de la capitale et de là, accompagné par une équipe médicale, il fut rapatrié en avion dans un grand centre médical d’Israël. Avi Golan resta trois mois sans connaissance. Son crâne était écrasé du côté droit, ce qui avait atteint une partie importante de son cerveau. « Il n’y a qu’un miracle qui pourrait lui faire reprendre connaissance », dit le professeur Goldstein à ses parents effondrés.
Les médecins et les miracles ne font habituellement pas bon ménage. Après trois mois, Avi ouvrit enfin les yeux, mais sa bouche resta comme scellée ; il ne pouvait en sortir un son. Au bout de six mois seulement, il put prononcer ses premiers mots « papa », « maman », comme un petit enfant. Pendant ces longues heures de silence forcé, il réfléchit à sa vie, au sens de son existence, à Celui qui a crée le monde, à la façon dont Il l’a crée, au pourquoi du comment et surtout à cet accident. Pourquoi cet accident lui était-il arrivé et pourquoi ne pouvait-il plus sortir un mot de sa bouche ? Qui m’impose ce silence ? se disait-il. Il pleurait intérieurement, totalement ébranlé par sa situation.
Toutes ces questions brulantes imploraient une réponse et un apaisement.
Alors qu’il se trouvait en service de convalescence, il remarqua un jour un livre du tana’kh qu’il se mit à feuilleter. Il le fixait intensément, page après page, essayait de comprendre, de combler les puits asséchés.
« Berechit bara… (Au commencement, Il a crée…), c’est intéressant, pensa-t-il, Quelqu’un a crée la terre, le ciel, la végétation, les animaux, l’homme. Toute la création a suivi un ordre bien précis…et apparemment, moi aussi, Il m’a crée…Mais alors, que veut-Il de moi ? Pourquoi cette collision avec la girafe ? »
Environ un an après l’accident, l’état d’Avi vit une amélioration aussi bien au niveau de la parole que physiquement. Malgré tout, il se trouvait toujours en service de convalescence. Un après-midi, il reçut la visite-surprise de deux de ses amis : Igal, de Kfar Chemayahou et Yossi Pélah, le hozer bitchouva avec sa kippa blanche. Ils s’assirent près de lui et écoutèrent ses aventures fascinantes de la jungle, jusqu’à l’accident. Avi Golan était incapable de parler de l’accident lui-même, car ce terrible moment avait été effacé de sa mémoire. Seul son frère Mochiko put lui raconter quelques détails de cette étrange mésaventure avec la…
Igal, de Kfar Chemayahou sortit de sa poche un petit magnétophone et dit : « Vous n’allez pas le croire, j’ai enregistré toute la soirée que nous avons passée ensemble avant ton départ en Afrique. Écoutons l’enregistrement. » La bande était très nette, les mots s’entendaient clairement. La conversation portait sur les souvenirs de l’armée, puis avait dévié sur l’inscription ” Na, Na’h, Na’hma, Na’hman” de Yossi sur sa Kippa, pour finir par le monologue provocant et irrespectueux d’Avi Golan sur le Maître du monde. ..
Les trois amis étaient totalement absorbés par l’enregistrement lorsque soudain, ils entendirent Avi dire en plaisantant à Yossi : « Je pars en Afrique après-demain, Yossi, et là-bas, en Afrique, il n’y a qu’une GIRAFE qui pourrait me faire faire téchouva… » Après quoi, les rires fusèrent de tous côtés. Les trois jeunes étaient sous le choc. Ils écoutèrent plusieurs fois d’affilée cette phrase << il n’y a qu’une girafe qui pourrait me faire faire téchouva…, qu’une girafe… ». C’était incroyable.
« C’est ce qu’on appelle une alliance scellée sur les lèvres, explique Yossi à Avi, parfois, on peut prédire son propre futur. Tu as été en quelque sorte ta propre bat kol (voix céleste). Tu n’as même pas eu besoin de participer à un séminaire sur le judaïsme, dans ton cas, une simple girafe au fin fond de la jungle a fait tout le travail ! »
Avi sortit de l’hôpital avec une Kippa sur la tête, des tsitsit le long de son corps et surtout, une dette de reconnaissance infinie envers cette girafe qui, par cette collision, lui avait tracé le chemin du livre de Bérechit et de là, il n’y avait qu’un pas jusqu’à son retour à un judaïsme authentique. Il voyagea à Ouman pour Roch hachana afin de remercier Rabbi Nahman. Yossi Péla’h et lui lurent le Tikoun haklali, serrés l’un contre l’autre, traversés par la même émotion. Le regard d’Avi Golan parcourant la tombe s’arrêta sur la date du décès de Rabbi Nahman qui était le 18 Tichri. Avi n’en croyait pas ses yeux, c’était la date de son anniversaire... et aussi la date de sa collision avec la girafe !
Parfois les amis, ou même tout simplement une collision avec une girafe, sont comme un tendre baiser de Hakadoch Baroukh à son enfant captif et égaré.