Je ne sais pas s’il existe une autre religion où la Présence Divine s’appelle la Voisine – la Chékhina !! Facette de l’Éternel toujours nommée au féminin, Elle descend du Trône Céleste pour habiter au milieu de nous dans Sa résidence secondaire et « désire passionnément » – Mitava en hébreu –, habiter à proximité de Ses Créatures.
Chez les Juifs, on « tire » D.ieu vers le terrestre, contrairement aux nations, où les hommes de culte demandent désespérément à leurs ouailles de « s’élever », de chercher dans les nues, détachées de leur corps, la divinité, en s’imposant l’un le célibat, l’autre la méditation, le troisième, le fatalisme. Pas vraiment d’alternative entre une spiritualité pure et dure et les démons de la chair chez les gentils.
C’est une erreur : l’Éternel veut une résidence ici-bas, parmi Son peuple, et parmi l’humanité. Mais – car il y a un « mais » –, si Sa Maison, construite comme il sied au Roi, devient un lieu de vanité, d’orgueil, où les hommes fautent en comptant sur une visite au Temple pour s’amender, alors la Voisine s’en va, plie bagage, en attendant des jours meilleurs.
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La faute d’Adam provoqua un éloignement de la Chékhina vers un premier palier des sphères célestes. Puis la génération d’Enoch, vers un deuxième, celle du Déluge qui se dévergondait à l'envi la repoussa à un troisième, puis la Tour de Babel, à un quatrième degré, puis, puis, … Comme une montgolfière lâchée et délestée, chaque faute, chaque comportement inapte la fait fuir, car son essence si raffinée, ne supporte pas un air pollué et Elle cherche à respirer l’atmosphère pure des mondes supérieurs, celle de Son origine. Plus les humains se corrompent, plus Elle s’enfuit. Mais Son Lieu, idéalement, reste la terre.
Avraham la ramena, tirant sur la corde et la faisant revenir d’un cran, puis Its’hak, puis Ya’akov, et enfin Moché, notre Maître réussit à la faire résider sur terre, lui construisant le Tabernacle. Les deux Temples furent ensuite Sa demeure, où Elle rayonnait depuis Jérusalem sur toute l’humanité.
Mais Elle nous quitta, à force de meurtre, d’adultère, d’idolâtrie, et de haine entre nous. Le Beth Hamikdach, une fois vidé de toute sainteté, ne peut plus accueillir le Divin. Autrefois indestructible, il n’est plus alors qu'un édifice vide et vain, qu’un général d’armée peut dorénavant mettre à feu et à sang.
Le Sage et le philosophe
Lorsque Platon, arrivé dans une Jérusalem en ruines, saccagée depuis peu par Nabuchodonosor, rencontre Jérémie en deuil sur le Mont du Temple, il s’étonne : « Comment un homme aussi intelligent que toi pleure sur des pierres et des monceaux de bois détruits ? Et puis, pourquoi te lamentes-tu sur quelque chose qui de toute manière n’est plus ? »
Et le prophète Jérémie de répliquer comme un bon Juif par une question : « Je suppose, Platon, que tu as encore beaucoup de notions philosophiques restées sans réponses ? Présente-les moi, je te prie » et Platon s’exécuta. Le prophète, une à une, les démêla avec une facilité déconcertante, à la stupéfaction de Platon, qui butait sur elles depuis des années.
« Tu vois » dit Jérémie, « si j’ai pu résoudre si facilement tes interrogations, c’est parce que de ces pierres rayonnait toute l’intelligence du monde et de cette Maison je puisais tout mon savoir. Et maintenant, elle n’est plus. Et l’intelligence s’est assombrie. C’est là-dessus que je pleure. Et sur ta deuxième question – pourquoi verser des larmes vaines sur le passé ? –, la réponse, seul un Juif peut la comprendre ». Il insinuait, rapporte Rav Eliahou Lopian, qu’il ne pleurait pas sur autrefois, mais espérait déjà un futur apaisant et une fin à cet Exil qui avait à peine débuté. Cette vision à très long terme, capable de traverser les siècles et l’Histoire universelle, où la désolation contient déjà la Délivrance, est l’apanage exclusif des Hébreux. Car on sait que la Voisine revient toujours.
Ma voisine chérie
Chaleureuse, généreuse, dont la présence illuminait tout l’immeuble, chez qui on toquait sans gêne, car de toute manière, sa porte était ouverte, elle nous accueillait en donnant toujours l’impression qu’elle nous attendait, que c’était nous qui lui faisions plaisir.
Un œuf ? Un kilo de farine ? Un souci sur le cœur ? Un bon conseil ?
Elle essuyait ses mains dans son tablier, toujours affairée, et nous faisait entrer chez elle comme si nous étions sa seule préoccupation. Elle nous faisait asseoir, préparait le café, apportait les petits gâteaux qu’elle venait de sortir du four, et écoutait nos bobos, nos maux, nos demandes. Auprès d’elle, même à l'âge adulte, on était comme des enfants qui viennent prendre leur goûter après l’école, et qui racontent à leur maman leur journée, leurs petits et grands déboires, ou qui fièrement montrent un bon carnet scolaire, pour lui faire plaisir, et attendent son sourire et ses encouragements.
Il s’échappait de chez elle des odeurs de vanille, de tarte aux pommes, de repas mijotés qui remplissaient la cage d’escalier.
Comme toujours, c’est après qu’une personne soit partie, qu’on se rend compte de combien sa présence nous manque, et le sentiment de sécurité, de bien-être, de calme qu’elle diffusait. Auprès d’elle, on avait l’impression d’être plus intelligents et meilleurs, car sa bienveillance rehaussait instantanément toute personne qui venait la visiter.
Maintenant c’est triste, et le seul bruit qu’on entend, c’est celui de sa porte entrebâillée qui claque dans le vide, ni ouverte ni fermée, au gré des courants d’air.
« Ils Me feront un Sanctuaire, et Je résiderai parmi eux. »
La séparation est encore plus difficile pour Elle que pour nous, car son essence est de régner dans ce bas monde, d’être la vertèbre reliant Ciel et Terre. Sinon, Elle erre, malheureuse, désemparée, sans attache et sans but, sans toit, comme une vagabonde qui a perdu son emploi.
Il faudrait écrire une pétition, bouger les voisins, organiser une réunion de locataires : mais allez les secouer, chacun triste, devant sa télé, résigné, occupé à ses problèmes. Ils sont fatigués les habitants de l’immeuble, il y a si longtemps qu’elle est partie. Ils ne se souviennent même plus des odeurs, de la lumière et du bien-être qu’elle diffusait. Certains n’y croient plus, d’autres l'attendent encore mais risquent de perdre leur souffle devant la morosité ambiante. Et les défaitistes raillent ceux qui essayent de faire quelque chose pour la faire revenir.
Rabbénou Yona, érudit du 13ème siècle et l’auteur du Cha'aré Téchouva, nous rappelle qu’il y a 3 constructions majeures : le monde, le Tabernacle et l’homme. Et que tout converge vers ce dernier.
Adam et sa descendance auraient dû être le réceptacle du Divin sur terre, mais il faillit, et la suite, on la connaît. Si nos Sages nous apprennent qu’on répare par là ou l’on a fauté, c’est bien dans notre cœur, petit sanctuaire de 300 grammes, fait de chair et de sang, qu’il faut Lui faire une place, même de la grandeur du chas d’une aiguille, mais authentique.
La Chékhina pour revenir à la Maison, n’a pas besoin de plus que cela…