Question de Nicole
Bonjour Rav,
Mon mari et moi avons progressé ensemble dans le judaïsme, notamment grâce au site de Torah-Box. Mais concrètement, nous n’avons aucun contact avec un Rav fixe avec lequel on pourrait régulièrement s’entretenir pour nous guider.
Avons-nous véritablement besoin d’avoir un Rav attitré ? Je m’interroge dans la mesure où nos questions obtiennent des réponses via internet ou par téléphone, sans même connaître l'identité de celui qui nous écrit.
D’autre part, le judaïsme ne s’oppose-t-il pas à ce qu’il y ait un intermédiaire entre l’homme et D.ieu ?
Enfin, selon quels critères reçoit-on le titre de Rav : selon sa piété, ses connaissances, son expérience, son ascendance… ?
Je vous remercie de bien vouloir nous éclairer sur ces points.
Réponse du Rav Daniel Scemama
Bonjour Nicole,
- Vous touchez dans votre première question un des fondements clé du judaïsme. En effet, lorsque D.ieu Se révéla au mont Sinaï, il chargea Moché Rabbénou de transmettre au peuple hébreu la Torah. Un enseignement sera écrit (le Pentateuque), et un autre restera oral. Ce dernier est en réalité primordial car il permet de comprendre ce que le texte veut nous transmettre ; et sans ces explications et règles transmises oralement, on est certain de se tromper sur son interprétation. La question qui se pose est évidemment la raison pour laquelle l’Éternel a tenu à ce que la Torah écrite ne puisse être comprise que grâce à cet enseignement oral.
La réponse est que la Torah ne constitue pas seulement un ensemble de commandements qui nous ont été dictés par Hachem. Toute la sagesse divine s’y trouve véhiculée. Elle permet à l’être humain de s’élever et de s’attacher au Créateur par l’étude de cette science et de son application. Lorsque Moché Rabbénou a reçu de la “bouche” divine ces enseignements, il s’est lui-même transformé et a atteint le plus haut degré de connaissance de D.ieu qu’il ait été donné à un homme d'atteindre. En transmettant ce qu’il a appris, il ne fait pas qu’enseigner : il partage avec ses disciples sa propre expérience spirituelle.
La Torah a voulu que ce soit uniquement sous cette forme de transmission - de maître à élève - que la science divine soit enseignée. C’est pourquoi il a été longtemps interdit que la Torah orale soit transcrite. Lorsque plus tard, Rabbi Yéhouda Hanassi, craignant que cet enseignement oral ne s’oublie à cause des décrets des Romains, décidera de lui donner une forme écrite (que l’on nomme la Michna). Il le fera de telle sorte que le texte de la Michna reste assez obscur et ne puisse être compris que grâce à l’explication de grands maîtres.
En conclusion, il est primordial de s’attacher à un Rav (maître), car c’est par son contact que l’on parvient à recevoir un tant soit peu de l’héritage de Moché Rabbénou, reçu au mont Sinaï. Il est vrai que l’on peut être informé des lois par téléphone ou par une quelconque connexion avec un Rav, mais il nous manquera le principal du judaïsme qui est le Chimouch des Talmidé ‘Hakhamim, à savoir la fréquentation des Sages.
- Pour votre deuxième question, il est vrai que l’on n’adresse ses prières qu’à D.ieu, sans intermédiaire, et lorsque l’on ressent le besoin de se confier ou de demander pardon pour nos déviations, on Lui parle directement. Mais on ne peut comprendre Son enseignement sans le contact avec les Rabbanim. C’est pourquoi la Torah nous demande de fréquenter et de respecter les Sages, car ils représentent notre seule possibilité de servir Hachem correctement. Cependant, il n’existe pas dans le judaïsme de culte d’un Rav, aussi grand et pur soit-il.
- Quant aux critères permettant de mériter le titre de Rav, il est évident qu’un Rav doit avoir appris de longues années la Torah, et pour se permettre d’indiquer à l’interlocuteur une réponse appropriée, il se doit de bien connaître les sources des lois, afin de savoir dans quelle mesure on peut être flexible sur une loi lorsque cela s’avère nécessaire. Mais ce n’est pas tout, car comme nous l’avons indiqué, il est nécessaire aussi que ce Rav ait vécu en proximité avec de grands Sages pour saisir l’esprit et l’essence du judaïsme.
- Concrètement, nous avons besoin de nous sentir à l’aise et en confiance avec le Rav choisi. Il est évident que l’on recherchera a priori un Rav habitant à proximité de notre lieu de résidence afin de faciliter le contact ; si cela n’est pas possible, on se contentera d’un contact téléphonique régulier tout en s’efforçant de le rencontrer physiquement de temps à autre. L’ascendance, quant à elle, n’est pas un paramètre important, puisque des prosélytes (Chémaya et Avtalion) ont été dans le passé les plus grands maîtres de la génération.
- Nos Sages nous enseignent qu’un Rav doit être sincèrement pieux et respectueux des commandements, sinon on ne s’en approche pas.
- Une femme ne doit jamais être isolée avec un Rav, quelles que soient les raisons évoquées.
- Des illuminés qui vous prédisent votre avenir sont en général des charlatans, surtout lorsqu’ils réclament de l’argent.
- Les textes sacrés louent l’humilité de nos Sages, leur sensibilité envers autrui, leur détachement à l’argent et aux plaisirs de ce monde.
- Un Rav est un homme discret qui ne va jamais rentrer dans la vie privée des gens, à moins que cela ne soit nécessaire pour répondre à une question, mais jamais par curiosité.
- Un Rav est un homme détaché : après avoir indiqué ce qui lui semble être la bonne réponse, il vous laisse faire votre choix. Il considère comme son devoir de faire connaître la volonté de D.ieu là où on la lui demande, mais ne cherche jamais à s’imposer. Toute conduite de la part d’un Rav du style gourou (dictant à ses disciples son opinion et ses conceptions sans la moindre possibilité de contestation, ni même d’explication) n’est pas juive. Chacun d’entre nous doit conserver son libre arbitre et sera tenu seul responsable de sa conduite devant D.ieu.
- Enfin, un Rav est un homme social, qui échange avec d’autres Rabbanim, car en finalité il reste un homme avec le risque de se tromper. Si ce n’est pas le cas, et qu’il se démarque de tous les autres Rabbanim sous prétexte que “les autres se trompent et que lui seul détient la pure vérité”, il est conseillé de s’éloigner d’une telle personne, car en général il s’agit d’un orgueilleux imbu de lui-même… et qui se trompe.
En conclusion, il est important d’avoir un contact étroit avec un Rav. Notre choix se fera à la fois à partir de ses qualités morales et de son savoir, mais aussi en prenant en considération les affinités que l’on ressent envers lui et la possibilité pratique de le solliciter.
Je pense avoir cerné plusieurs points importants concernant le sujet qui vous préoccupe. J’espère que vous trouverez bientôt le Rav qui vous convient, et je suis certain que cette rencontre va changer radicalement votre approche du judaïsme en vous ouvrant des portes ignorées du service divin.
Kol Touv.