Mon histoire s’étend sur une longue période, et elle a des implications sur ce qui se passe de nos jours dans le monde, elle a un rapport avec les Arabes et l’islam.
Je suis né dans une famille religieuse. Mon père était ‘Hazan à la synagogue. C’était un homme bon. Il était si vertueux que D.ieu a décidé qu’il était trop bon pour ce monde-ci, et Il l’a pris à un âge précoce - je n’avais que 12 ans.
Ma mère a épousé en secondes noces un homme qui convenait, lui, à ce monde-ci - il était le contraire de mon père. En conséquence, j’ai souffert deux fois : non seulement, je n’avais plus de père, mais j’avais en plus un beau-père.
A quinze ans, je m’enfuyais de la maison, ou plus exactement, on m’a jeté dehors, et j’ai commencé à tourner dans la rue.
Comme j’étais un enfant indépendant, j’ai commencé à sillonner le pays de long en large, ayant en tête toutes sortes d’idées fantaisistes. Une fois, je fis tout le parcours depuis Tel-Aviv jusqu’à Naharia avec un sac à dos, et une autre fois, je me rendis à Jérusalem à pied. A chaque fois, j’avais toutes sortes d’idées folles provenant de ma frustration.
A dix-sept ans, je me promenais un jour seul dans le Néguev. Je cherchais une source d’eau, et j’aperçus soudain un troupeau de chèvres. Je cherchais le berger, sans succès, jusqu’à ce que j’aperçoive, à côté d’un arbre, un enfant bédouin à moitié mort, profondément évanoui.
Je le pris dans les bras, je lui mouillai le visage, puis le portai, à la recherche de son campement. De loin, des dizaines de Bédouins et de Bédouines en pleurs m’attendaient. Ils avaient vu de loin l’enfant dans mes bras, et ils étaient déjà persuadés de sa mort. Je leur expliquai qu’il n’était pas encore mort, mais il y avait des chances qu’il puisse mourir si on ne lui accordait pas les soins nécessaires.
Il va de soi que les pleurs et les lamentations se transformèrent en cris de joie, mais on aurait dit qu’il s’agissait d’une coutume : on se lamente lorsque quelqu’un est mort, et on se réjouit lorsqu’au bout du compte, il ne l’est pas. Je veux dire que je n’ai pas vu une vraie tristesse, ni une joie authentique. Tout s’acheva en un quart d’heure, et les parents de l’enfant reprirent leurs occupations, comme si, chaque jour, leur enfant en venait presque à mourir.
Finalement, je restai avec les Bédouins, ni un jour, ni une année, mais douze ans, mis à part des petites virées vers la civilisation - vers le centre du pays.
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Grâce à ces douze ans, je pense en savoir davantage sur la mentalité arabe que tout professeur.
Pour relater cette situation complexe, il faudrait un livre entier - et telle n’est pas mon intention. Je me contenterai d’énoncer quelques règles qui pourront t’aider, ainsi que tes lecteurs, à comprendre où ils se situent.
En effet, il n’y a aucune chance pour un Occidental de comprendre la mentalité arabe. De même qu’il est impossible d’expliquer à un aveugle de naissance à quoi ressemble la couleur rouge. L’occidental mesure chaque chose en blanc et noir, l’amour et la haine, le bien et le mal, la cruauté et la compassion. Alors que chez les Arabes, tout est flou. Il n’y a pas de noir et blanc, mais un ensemble de tons qui, une fois, sont blancs, une fois, noirs, une fois, gris clair, et une fois, gris foncé. L’amour peut se transformer en haine, et l’inverse. Le mensonge est une sorte de vérité, exprimée de manière plus douce. Il y a des raccourcis et un embellissement de la réalité, et beaucoup d’imagination, considérée comme une part inséparable de la vie. Or, l’Occident a décidé de séparer l’imagination de la réalité, alors que les Arabes considèrent l’imagination comme une partie inséparable de la réalité. Il n’est pas certain qu’ils n’ont pas raison.
Quant au sujet de la compassion et de la cruauté, tout est différent par rapport à la mentalité occidentale. De façon préliminaire, j’aurais affirmé sans équivoque que si l’on pense que l’Arabe est plus cruel que l’Européen, c’est une erreur. La Shoa l’a prouvé plus que tout. La différence entre la cruauté arabe et l’occidentale tient à ce que les Arabes agissent selon leurs sentiments et les Occidentaux fonctionnent selon leur intellect. En conséquence, la cruauté de l’Arabe sera moins effective. Les Arabes ne sont pas capables, par exemple, de se conduire comme les Nazis, qui, jusqu’aux chambres à gaz, montraient un visage moqueur aux Juifs. L’Arabe n’est pas capable d’une telle discipline sur la durée. Parenthèse : lors des émeutes de 1929 à Hévron, on ne sait toujours pas si les Arabes ont toujours voulu massacrer les Juifs ou s’ils étaient vraiment leurs amis, et qu’en conséquence des incitations à la haine, ils ont décidé en un instant de les massacrer. A mon avis, c’est la deuxième explication qui l’emporte…
Beaucoup voient dans la vengeance du sang des Arabes une preuve de leur terrible cruauté, mais, d’après moi, cette coutume pousse les gens à bien réfléchir avant de tuer autrui. Un homme à Tel Aviv qui pense à tuer quelqu’un sait qu’au maximum, il sera pris sur le fait et mis en prison. En revanche, un homme à Réhet sait que s’il assassine quelqu’un, de nombreuses personnes dans sa famille seront assassinées pendant au moins cent ans. Il ne pense plus à petite échelle, mais à grande échelle, et, en général, évite de tuer autrui (sans la coutume de la vengeance du sang, les meurtres chez les Ismaélites seraient répandus, pas moins que les naissances… car il s’agit d’un peuple prompt à la colère, qui vit par l’épée. La vendetta est chez eux un équilibre).
Je m’excuse pour cette longue introduction, mais elle est liée à l’histoire que je voulais relater.
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Donc, à 17 ans, je vivais chez les Bédouins, et on peut dire que je me suis lié à eux et je projetais de vivre avec eux.
Arrivé à l’âge de vingt ans, je compris que ce ne serait pas simple. Car si on m’avait bien accueilli, comme quelqu’un de chez eux, je ne pouvais épouser une fille de leur tribu, car la mort était préférable au fait d’épouser un Juif.
Cela me gênait beaucoup, car j’étais très limité. Une Juive ne serait pas très heureuse de vivre dans un campement du Néguev, et une Arabe n’accepterait jamais d’épouser un Juif (en raison de mes grandes fautes, je n’avais pas compris que c’était un problème pour moi).
En pratique, je vécus jusqu’à 28 ans seul, je travaillai comme guide dans la région de la Judée et du Néguev, parfois comme chauffeur d’excursions en jeep, et la nuit, je retournai dans le campement.
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Parmi les membres de la tribu, un Bédouin avait une femme que tout le monde appelait « la Juive ».
Il s’avère qu’il avait épousé une Juive qui s’était convertie à l’islam pour lui (c’est permis chez eux), et, malgré les vingt ans qui s’étaient écoulés depuis, on l’appelait encore « la Juive » - ce qui indique qu’ils comprennent qu’un Juif ne peut jamais quitter son statut de juif.
Mais ce Bédouin était un homme mauvais, même d’après la conception arabe. Et lorsque je parle d’une tribu dans laquelle les femmes n’ont pas le plus petit mot à dire, et qu’un bon mari est celui qui donne des coups légers… on peut comprendre ce que signifie un mauvais mari.
Elle souffrait beaucoup, mais, dans la pratique, personne ne se mêlait. Discrètement, on m’avait dit que toutes les Juives qui se convertissent à l’islam reçoivent un tel traitement. Les jeunes Bédouins me l’expliquaient ainsi : « Elles sont hautaines, et il faut les humilier. »
Lorsque je suis arrivé au campement, cette femme avait une fille de six ans et un garçon de 4 ans. Pendant les 12 ans de mon séjour, cinq autres enfants sont nés, et je n’ai jamais compris comment une Juive née à ‘Holon, pouvait continuer à vivre dans une tente avec un mari cruel comme lui. En fait, le désir de vivre dans une tente, je l’ai compris, car moi-même je l’avais préférée, plutôt que de vivre à l’ombre d’un père cruel, mais moi, au moins, je disposais d’une totale liberté, tandis qu’elle souffrait de la cruauté tout comme de la vie en tente...
Et, un beau jour, comme pour répondre à mon étonnement, elle disparut tout simplement, avec sa grande fille et deux de ses jeunes enfants.
On raconta qu’elle était montée sur un camion qui était passé sur la route en bas et avait disparu.
Son mari envoya des gens la chercher - mais on avait perdu toute trace d’elle.
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Certains personnages haut placés de la tribu vinrent me trouver pour me demander de faire l’effort de la chercher chez les Juifs. Ils me racontèrent qu’ils avaient des informations selon lesquelles un organisme juif intégrait et installait dans un foyer de telles femmes. « Tu es juif - tu n’auras aucun problème », m’affirmèrent-ils.
Je voulais leur demander : pourquoi se préoccupaient-ils de quelqu’un qui torturait sa femme ? Mais je ne dis rien, par respect d’une part, et aussi parce que je connaissais seul la réponse. Je savais qu’ils avaient des réserves par rapport à lui, mais qu’ils étaient obligés de respecter le cadre de la tribu, pour ne pas donner d’idées à d’autres, mais aussi pour effacer la honte ; ils n’ont qu’une voie pour effacer la honte.
Je me rendis au centre du pays sans motivation, mais je pensais leur apporter des informations, par reconnaissance pour eux.
J’appelai plusieurs amis du passé, qui se souvinrent immédiatement de moi. Je ne leur racontai pas où j’avais disparu, et ils ne s’imaginèrent pas ce que j’avais vécu pendant ces longues années. Je leur demandai de se renseigner sur un abri pour les femmes ayant quitté leurs maris arabes. Ils n’ont pas pensé un instant que je voulais lui faire du mal, car personne ne soupçonne un ami de servir des Arabes. Au bout de quelques jours, ils eurent des informations sur un homme qui avait des renseignements à ce sujet, et ils m’organisèrent un rendez-vous avec lui.
Ils ne me révélèrent pas que cet homme n’avait pas seulement des infos. C’était un Juif ‘Harédi de l’organisme « Lev Léa’him », très au courant des faits sur le terrain.
Après l’avoir vu, c’était trop tard. Je ne pouvais pas soudain disparaître, je commençai donc à lui parler. Je lui fis croire que je connaissais cette femme et que je lui devais de l’argent, mais il avait des soupçons, et il commença à m’interroger. Je remarquais que la situation s’embrouillait, et je dis alors que j’étais pressé, mais il commença à me parler dans une tout autre direction.
Il me dit alors : « Tu es Juif, et aucun Juif ne sera complice pour faire tomber un autre Juif. J’ai le sentiment que tu as été pris au piège par le mari, me déclara-t-il. Je veux que tu coopères avec moi, pas contre toi - mais parce que tu es Juif. »
En réalité, il agit avec intelligence. S’il m’avait menacé, il n’aurait eu aucune chance, mais il se présenta comme un homme plein d’humanité, et moi, de toute façon, je ne tenais pas à briser la vie de cette femme, alors nous avons trouvé un langage commun. Je lui racontai tout, depuis ma fuite de chez moi, jusqu’au moment où j’étais assis en face de lui…
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Il commença à s’adresser à mon cœur, et, à nouveau, il visa juste, et s’adressa à moi avec sollicitude, touchant mes points sensibles. Il me demanda si j’avais une chance de me marier. Cette question tombait au bon moment, car cela me préoccupait. Je lui répondis que je n’avais aucune chance. Mais, d’un autre côté, après toutes ces années, je ne trouvais pas de points en commun avec une femme qui n’avait pas grandi dans un campement. Pendant que je lui expliquai ceci, je compris que j’étais pris au piège. D’un côté, je ne pouvais épouser une Bédouine, et, d’un autre côté, je ne pouvais trouver de Juive qui me convenait.
Il m’annonça alors : « Je crois avoir trouvé une solution à ton problème - j’ai une jeune fille juive qui a grandi dans un campement bédouin. »
Je lui dis : « Bien sûr, et qu’est-ce que tu as encore ? »
Et de répondre : « La fille de cette femme qu’on t’a envoyé chercher te convient : elle est juive, et a grandi dans un campement bédouin. Qu’en penses-tu ? »
J’hésitai. C’était une idée inhabituelle, il me dit qu’il fallait demander son avis à la jeune fille, car son père n’était pas vraiment dans les environs…
Au bout d’un ou deux jours, il me rappela et me dit qu’elle me connaissait très bien et pensait que j’étais un bon garçon (ce qui est juste…). Mais je voulais tout de même voir de qui il s’agissait (je n’avais jamais vu cette jeune fille).
Ils organisèrent une rencontre. Bien qu’au départ, l’atmosphère fût remplie de soupçon, car la mère pensait sans cesse que j’étais un piège tendu par son mari - et, en vérité, ses soupçons étaient fondés, j’étais peut-être le messager du mari…
Celui qui brisa le mur du soupçon, ce fut le délégué de Lev Léa’him, qui crut en moi dès le premier instant, et je le remercie jusqu’à aujourd’hui pour cela. De même, je m’entendis avec la jeune fille dès l’instant où nous nous rencontrâmes, et nous avons eu confiance l’un en l’autre.
Nous nous fiançâmes. Je pensais retourner au campement et annoncer au mari que je n’avais rien trouvé, mais, par sécurité, je préférais couper le contact et disparaître de leur vie.
Le lien avec Lev Léa’him s’approfondit. J’assistai avec ma fiancée à un séminaire, et nous nous rapprochâmes du judaïsme.
A mon mariage, il n’y eut pas de proches, à part ma mère et une de mes sœurs, et beaucoup d’hommes et de femmes ‘Harédim, venus réjouir un marié et une mariée.
Toute cette histoire s’est déroulée il y a dix ans. Aujourd’hui, ma vie est simple et ordinaire, comparée à la vie tumultueuse de ma jeunesse. Ce que je retire de cette histoire, c’est d’immenses connaissances sur la mentalité arabe, et j’essaie d’en extraire les éléments positifs qui sont certainement présents.
Tu auras remarqué que je suis assez partagé sur ce qui a trait aux Arabes. Je pense que l’accueil des invités m’a marqué. Il va de soi que je n’ai pas de nostalgie pour le campement bédouin, et, certainement pas pour l’islam en tant que religion (qui ne m’a jamais attiré). Peut-être écrirais-je une histoire sur ces années-là, mais, pour le moment, je vis dans le bonheur et la richesse avec ma femme et mes trois enfants. Nous vivons dans un appartement (et non dans une tente) au centre du pays. Je ne mentionne pas le nom de la ville, car je sais très bien que les Bédouins ont la mémoire longue : même après 40 ans, ils peuvent se lancer à ta poursuite.