Le prophète Chmouel est l’un des personnages les plus illustres des Prophètes. Nos Sages font son éloge en le décrivant comme l’un des plus grands leaders du peuple juif, du niveau même de Moché Rabbénou et d’Aharon Hacohen par certains aspects. L’un des détails les plus fascinants sur Chmouel est sa lignée. Il est un descendant de Kora’h, l’homme qui s’était rebellé contre Moché Rabbénou et avait été enterré vivant. Il est intéressant d’analyser la relation entre Chmouel et Kora’h et de déterminer où leurs voies ont radicalement divergé.
Rav Binyamin Eisenberg chlita[1] explique l’erreur fondamentale de Kora’h. Kora’h était un homme de grande envergure et très érudit. Sa revendication contre Moché Rabbénou tenait au fait que chaque Juif est saint et qu’ils ont tous entendu Hachem au mont Sinaï. Pourquoi, dans ce cas, ont-ils eu besoin de Moché au-dessus de tout le monde au titre de dirigeant et d’enseignant ? L’erreur de Kora’h a été qu’il a ignoré un principe fondamental de la Torah : chacun a besoin d’un dirigeant pour lui enseigner et servir de passeur de la Torah reçue par son maître. Le Nétivot Chalom [2] explique que la transmission (la Méssora) de la Torah doit s’effectuer par le biais d’un Rav à son élève, car sans cela, on ne peut saisir correctement la Torah. En effet, la Messora est la chaîne constituée par un Rav et son élève, selon la description du début des Pirké Avot : Moché a reçu la Torah de Hachem, qui l’a ensuite transmise à Yéhochoua qui l’a passée aux anciens, etc. Rav Eisenberg ajoute que même si l’élève en sait plus que tout le monde, il devra néanmoins étudier la Torah par le biais d’un Rav, car c’est le seul moyen de se lier authentiquement à la Torah.
Kora’h estimait n’avoir pas besoin de Moché comme autorité supérieure, car il avait suffisamment de connaissances en Torah. Il pensa qu’après avoir atteint un certain niveau, on est dispensé d’avoir un Rav. En réalité, la nécessité d’avoir un Rav ne dépend pas de notre niveau de connaissances ou de compréhension. À un niveau plus profond, la source de la vie spirituelle de l’individu est sa relation à la Torah par un Rav et une fois que Kora’h a brisé cette relation, il a perdu sa source de vie spirituelle. Comment ne l’a-t-il pas réalisé ? Car il a vu par esprit de prophétie que Chmouel serait son descendant. Ceci l’a conduit à croire qu’il était correct dans son approche, car s’il s’était trompé, alors, estima-t-il, il ne mériterait pas un descendant aussi illustre. Il s’est trompé, car Chmouel n’est pas venu au monde par le mérite de Kora’h, mais de ses fils qui se sont repentis. Mais les Mékoubalim expliquent que Kora’h n’était pas totalement incorrect, en ce que Chmouel a constitué un Tikoun (rectification) de Kora’h, et lui permettrait d’entrer au Olam Haba. [3] Où voyons-nous un parallèle entre Chmouel et Kora’h, et comment voyons-nous que Chmouel a rectifié la faute de Kora’h ? Rav Eisenberg voit le parallèle dans un incident dans la vie de Chmouel qui indique qu’il a été, dans ses premières années, susceptible de développer le même défaut que Kora’h. Il fut envoyé pour servir le Cohen Gadol, Eli. À une occasion, Chmouel corrigea Eli sur une certaine loi liée au service du Temple.[4] Eli répondit que Chmouel avait raison, mais qu’il était fautif de : Moré Halakha Bipné Rabo : de délivrer un enseignement devant son Rav, dont la punition divine est la mort. ‘Hanna pria qu’Eli pardonne Chmouel pour son erreur, et le prophète se laissa fléchir. Mais la question se pose : comment Chmouel a-t-il pu trébucher sur une faute aussi évidente ? Rav Eisenberg explique que Chmouel était si brillant qu’il se trouvait déjà à un niveau plus élevé de prophétie et de connaissance qu’Eli. Il pensait n’avoir alors pas besoin de Rav. Mais en réalité, son erreur a été identique à celle de Kora’h : il n’a pas réalisé que tout le monde a besoin d’un Rav, même s’il n’est pas nécessairement plus érudit. De la même manière que Kora’h a trahi sa vie spirituelle en rejetant le leadership de Moché, Chmouel a presque commis la même erreur en ne se soumettant pas à Eli. Dans cette veine, le ‘Hatam Sofer [5] explique la punition de mort extrêmement sévère pour celui qui tranche une loi devant son maître. Il explique que ce n’est pas une « punition » au sens ordinaire, mais c’est plutôt la conséquence de se séparer de la chaîne traditionnelle constituée par le Rav et son élève. Un homme qui ne fait pas partie de cette chaîne perd sa source de vie spirituelle, et est donc prédisposé à la mort.
Comment Chmouel a-t-il rectifié ce défaut ? Rav Eisenberg remarque que dès le moment où Chmouel a servi dans le Temple, il est décrit comme un Naar, un jeune homme, à plusieurs reprises. Le Maguid de Koznitz[6] explique que cela vient nous enseigner que même en grandissant, il se voyait toujours comme un jeune homme, plutôt qu’un homme illustre. Un jeune homme se considère inférieur aux autres et est disposé à apprendre d’eux. De cette manière, il a rectifié la faute d’agir comme s’il n’avait pas besoin de Rav. En effet, le Midrach [7]affirme qu’il s’est abaissé de manière suprême devant Eli, et lorsqu’il s’est tenu devant Eli, il considérait qu’il se tenait devant la Chékhina, la Présence divine. Il a ainsi rectifié l’erreur de son ancêtre Kora’h qui croyait être un individu indépendant qui n’avait besoin de personne pour le diriger.
L’exemple de Chmouel est un rappel que tout le monde, peu importe son niveau d’érudition ou d’intelligence, a besoin d’un Rav, non seulement pour la raison évidente qu’on a besoin d’un guide et d’un enseignant, mais aussi parce que la réalité spirituelle veut que la seule manière de transmettre la Torah passe par le système d’un Rav enseignant à son élève.
[1] Messilot HaNéviim, Chmouel I, pp.85-93.
[2] Parachat Kora‘h.
[3] Guilgoulé Néfachot, Likoutim.
[4] Brakhot, 31b.
[5] Cité dans Messilot HaNéviim, pp.88.
[6] Avodat Israel, Avot, 1:1.
[7] Yalkout Chmouel, 96.