À l'occasion de la Hazkara du Rav Israël de Sarcelles, son secrétaire personnel pendant 11 ans, Eliahou Cohen-Solal, lui offre un vibrant hommage et présente autant que possible ce grand du peuple d’Israël qui a illuminé le ciel du judaïsme français.
Rav Raphaël-Ya’akov Israël, le Gaon et Dayan qui illumina le judaïsme français depuis la ville de Sarcelles, naquit le 18 Tamouz 1937 dans la fille de Fez, au Maroc. Son oncle, le Rav Méïr Israël, Dayan et Sage incontesté de la ville, eut une influence prépondérante sur lui dès son plus jeune âge. Son père, Rabbi Aharon Israël, était un Juste caché qui étudia la Torah toute sa vie durant et sur lequel Rav Israël témoigna qu’il avait sans aucun doute bénéficié de la révélation d’Eliahou Hanavi.
À la Yéchiva de Sunderland
À l’âge de 15 ans, après une enfance baignée dans une atmosphère de sainteté, Rav Israël s’envola pour l’Angleterre, où il rejoignit la Yéchiva de Sunderland, où des sommités de la Torah étudiaient et enseignaient. C’est là qu’il s’attacha au Rav Eliahou Dessler, géant du Moussar, duquel il devint très proche. Au décès de celui-ci, lorsque sa famille exprima le désir de mettre ses enseignements à l’écrit, c’est à Rav Israël qu’ils firent appel ; les notes du Rav constituèrent ainsi une grande partie de la célèbre compilation Mikhtav Mééliahou. Il se rapprocha aussi du Rav ‘Haïm Chemouel Lopian, fils du Rav Eliahou Lopian, duquel il but les paroles et grâce auquel il grandit en Torah. Sa ‘Havrouta à cette époque était le Rav ‘Hanokh Ehrentreu, aujourd’hui Dayan de la ville de Londres.
C’est aussi à Sunderland que Rav Israël côtoya le Rav Kahaneman, fondateur et Roch Yéchiva de Poniewicz à Bné-Brak, duquel il resta proche toute sa vie.
Une grandeur inégalée en Torah
Rav Israël avait une connaissance phénoménale de la Torah. Il connaissait par cœur l’ensemble du Talmud avec ses commentaires, dont il maîtrisait parfaitement même les traités les plus ardus. Il en va de même du Choul’han ‘Aroukh avec ses principaux commentateurs.
Mais son immense érudition transparaît surtout à la lecture de son œuvre maîtresse, le Ménou’hat Aharon, une compilation en 17 volumes de commentaires sur le Talmud, d’une profondeur inégalée, dont plusieurs volumes parmi les plus ardus furent rédigés alors qu’il n’était qu’un jeune étudiant en Yéchiva.
Lorsqu’un Français vint une fois solliciter Rav Chakh pour recevoir une bénédiction, celui-ci l’éconduit : "Vous avez un Gaon en France de l’envergure du Rav Israël, pourquoi venez-vous me consulter ?!"
La révolution à Sarcelles
Rav Israël arriva à Sarcelles en 1975. Il posa comme condition de son installation dans cette ville qu’il y soit fondé un Collel, à une époque où la signification même de ce mot était inconnue. Lentement mais sûrement, c’est ainsi que Rav Israël sut insuffler aux membres de sa communauté le goût de l’étude. Les parents commencèrent à envoyer leurs enfants au sein d’institutions de Torah ; nombre de familles orthodoxes françaises aujourd’hui sont issues de la révolution opérée par le Rav Israël à Sarcelles.
C’est aussi à cette époque que le Rav émit le désir de publier son œuvre le Ménou’hat Aharon. À la vue des écrits, son oncle le Rav Méïr Israël s’opposa à leur publication, arguant du fait que Rav Israël devait attendre d’avoir atteint au moins 40 ans pour pouvoir se prévaloir d’une telle érudition. Il émit la crainte que l’édition de cette œuvre ne soit préjudiciable pour son neveu, car elle risquait d’être la cause de mauvais œil.
Hélas, les craintes de Rabbi Méïr s’avérèrent fondées : dès la publication du premier volume de l’œuvre contre l’avis de son oncle, Rav Israël contracta une maladie dégénérative qui l’accompagna pour le restant de ses jours, le diminuant peu à peu.
Pour tenter de cerner un tant soit peu le dévouement du Rav Israël pour la communauté, voici une histoire : Rav Chajkin, Roch Yéchiva à Aix-les-Bains, demanda une fois au Rav Israël de bien vouloir déménager pour prendre la tête d’une certaine communauté en France. Face au refus du Rav Israël qui ne voulait pas abandonner ses fidèles à Sarcelles, Rav Chajkin promit de bénir le Rav afin qu’il bénéficie d’une prompte et complète guérison. Même cette promesse n’eut raison de la détermination et du dévouement du Rav pour sa communauté : il renonça à l’espoir d’une guérison pour rester auprès des siens et continuer à les éclairer.
Rav Israël quitta ce monde le 1er Adar de l’année 2006. Ce jour-là, toutes les personnes présentes à ses funérailles remarquèrent une sorte d’auréole dans le ciel au-dessus de son cercueil. Jusqu’à son dernier jour, Rav Israël continua de recevoir le public, faisant fi de sa faiblesse physique et des maux qui le tourmentaient, léguant par-là un ultime témoignage de son immense amour pour son peuple.
La Tsédaka en cachette
Au mois de Sivan 5754 (1994), le Rav a souffert de plusieurs crises. De nouveau, j’ai essayé de le dissuader d’aller à son bureau du Collel. "Après tout, lui ai-je dit, C’est aussi une grande Mitsva de vous reposer afin d’être en forme pour dimanche, jour où de nombreuses personnes viendront vous consulter."
C’est alors que le Rav m’a révélé ceci : "Je dois y aller aujourd’hui car une dame dans le besoin attend que je lui donne de l’argent.
- Voulez-vous me confier l’enveloppe et je la lui remettrai à votre place ?
- Non ce n’est pas possible. Cette femme est d’une grande dignité et elle en sera terriblement gênée. Je me dois d’y aller en personne."
C’est ainsi que le Rav, dans un état de santé critique, s’est rendu à son bureau pour ne pas embarrasser une Bat Israël.
Une réparation étrange…
L’ascendeur de l’immeuble du Rav était en panne et personne ne l’avait utilisé de la journée. J’en informai le Rav qui me dit : "Habille-moi, on va au Collel !", sans du tout tenir compte de cette information qui rendait impossible tout déplacement en chaise roulante.
Je me disais en mon for intérieur : "Le Rav verra bien que je l’ai préparé pour rien, quand j’appellerai l’ascenseur et qu’il ne viendra pas". Le Rav fin prêt me demanda d’appeler l’ascenseur et l’ascenseur vint, spécialement pour le Tsadik. Le même épisode est arrivé une seconde fois des années après.
Nous avons tout le temps
Je crois que peu de personnes savent à quel point il était difficile pour le Rav de se rendre au Collel de 1990 à 1995. Quelle Méssirout Néfech, quel sacrifice de soi il lui fallait pour surmonter sa maladie, ses souffrances, sa faiblesse, en plus du froid et de la chaleur !
Malgré tous ces obstacles, le Rav recevait chacun avec patience sans faire mention de sa maladie ni faire comprendre à qui que ce soit les efforts qu’il devait fournir.
Le Rav n’a jamais dit à quiconque une phrase telle que : "Voilà Madame, le temps qui vous est imparti est terminé", "D’autres personnes attendent leur tour", "S’il vous plaît, exposez votre problème un peu plus vite" ou "Pourquoi répéter ce que vous m’avez déjà dit ? " Tout cela lui était étranger.
Je mis un jour une affiche devant la porte de son bureau en indiquant les heures de réception, pour que le Rav ait au moins le temps de boire un thé sucré le dimanche avant de recevoir des dizaines de personnes qui attendaient déjà et qu’il allait recevoir au-delà de 13h, toujours à jeun…
Bien souvent, il n’avait pas terminé sa prière et je ne lui avais pas ôté ses Téfilin que les gens se pressaient pour lui parler.
Lorsque le Rav vit cette affiche, il me dit : "’Has Véchalom, enlève ça !"
Je reste persuadé que n’importe lequel d’entre nous, à sa place, aurait décidé que son état de santé ne lui permettait plus de recevoir le public.
Il continua à recevoir le public… jusque quelques heures avant sa mort. J’ai vu le Rav quelques heures avant sa disparition. Il s’était endormi, épuisé d’avoir répondu aux questions jusqu’à ses dernières forces… Il avait le visage paisible, ayant encore accumulé des Mitsvot dans la difficulté, avant de nous quitter la nuit suivante…
Extraits du livre Bésseter Hamadréga - Rav Israël Zatsal, reproduits avec l’aimable permission de l’auteur Rav Eliahou Cohen-Solal