La Guémara dans Yoma 22b relate que le roi Chaoul a fauté une fois et a été puni en perdant son royaume, tandis que le roi David a fauté à deux reprises et n’a pas été sanctionné en perdant son royaume.[1] Les commentateurs posent la question évidente : il semble injuste que Chaoul ait été traité aussi sévèrement pour cette faute unique, alors que David a été puni moins sévèrement pour deux fautes.

Le Malbim explique que la différence entre David et Chaoul a tenu à la teneur de leur réaction lorsqu’ils ont été réprimandés par les prophètes pour leurs fautes : lorsque Chmouel a réprimandé Chaoul de n’avoir pas tué tous les Amalécites, Chaoul se lança dans une longue justification de ses actions, et même après avoir finalement accepté qu’il avait fauté, il attribua la faute à des facteurs externes.[2] En revanche, lorsque le prophète Nathan a adressé de sévères reproches à David, ce dernier a immédiatement répondu : « J’ai fauté devant Hachem. »[3] Comme il en ressort des commentateurs, la faute de David était bien plus subtile qu’elle n’en apparaissait, et ses actions étaient certainement motivées par de nombreux facteurs. Néanmoins, au lieu de se justifier, il endossa immédiatement la responsabilité pour ses actions et se repentit. En conséquence, le prophète répondit immédiatement : « Hachem a également éliminé ta faute, tu ne mourras pas. »[4]

Ce trait de caractère d’assumer la responsabilité de ses fautes est si vital qu’il a sauvé le règne de David, tandis que l’inaptitude de Chaoul dans ce domaine l’a conduit à perdre son royaume.[5] Pour aller plus loin, il semble que ce trait de caractère ait été déterminant dans de nombreux moments décisifs de l’histoire du monde et pour la voie conduisant à la Malkhout, la royauté de la maison de David et du Machia’h, puisse-t-il venir rapidement, et de nos jours.

Ce développement commence par la toute première faute de l’histoire : la consommation par Adam Harichone du fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Nous attribuons traditionnellement la faute d’Adam à sa désobéissance à l’injonction d’Hachem lui défendant de manger ce fruit. C’est également la raison pour laquelle Adam et ‘Hava ont été expulsés du Gan Eden, avec toutes les conséquences négatives qui s’en sont suivies. Une analyse plus détaillée indique pourtant qu’ils n’ont pas été punis immédiatement après la faute. Hachem a engagé la conversation avec Adam, lui donnant l’occasion d’admettre sa faute. Or, Adam n’a pas accepté cette proposition, et a dit plutôt : « La femme que Tu m’as associée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre et j’en ai mangé. » (Béréchit 3, 12) Adam a évité d’accepter la responsabilité de sa faute, la déplaçant sur ‘Hava et même sur Hachem, pour la lui avoir donnée au départ. Puis, Hachem se tourna vers ‘Hava pour lui offrir également une chance de se repentir, mais elle déclina également l’offre, en prétendant : « Le serpent m’a entraînée et j’en ai mangé. » (ibid. 3, 13) C’est alors seulement qu’Hachem les a punis pour la faute : il va de soi que s’ils avaient assumé la responsabilité de leurs actions lorsqu’Hachem les avait confrontés, alors, de toute évidence, la sanction aurait été bien plus légère, et l’histoire aurait peut-être pris un autre cours.

Les descendants d’Adam et de ‘Hava ont continué dans la même veine. Nous le voyons dans le récit de Caïn et Hével. Après que Caïn a tué Hével, Hachem ne l’a pas puni instantanément, Il lui a demandé : « Où est Hével ton frère ? », et réponse célèbre de Caïn : « Suis-je le gardien de mon frère ? » (ibid 4, 9). Le Midrach développe la réponse de Caïn : « Tu es le protecteur de toute vie, et Tu me poses la question ? Je l’ai tué, mais Tu as instillé en moi le mauvais penchant, Tu es censé protéger chacun et Tu m’as laissé le tuer, Tu es celui qui l’a tué… Si Tu avais accepté mon offrande comme la sienne, je n’aurais pas été jaloux de lui. »[6] Dans un geste remarquable où il rejette la faute, Caïn a rejeté toute la culpabilité sur Hachem : comment pouvait-il se convaincre lui-même de son innocence dans cet acte haineux ? Rav ‘Haïm Chmoulévitz explique que toutes ses excuses proviennent d’un seul facteur : « La responsabilité de son action ne lui incombait pas. »[7] Il ne voulait pas admettre et accepter la réalité : qu’il était le seul coupable. En conséquence, il n’eut aucune difficulté à se laver de toute culpabilité dans le meurtre.

Il semble découler de ces histoires que l’épreuve à laquelle a été soumise l’humanité n’était pas simplement d’éviter les erreurs, mais plutôt d’accepter la responsabilité de ces fautes. En réalité, nous commettons tous des erreurs à un moment ou un autre, mais c’est notre faculté à admettre la vérité de nos actions qui est l’arbitre véritable de notre niveau spirituel. C’est uniquement plusieurs centaines d’années plus tard après le triste début de l’histoire qu’un homme a assumé la responsabilité de ses actes. Le Tossefta dit : « Pourquoi Yéhouda a-t-il mérité la royauté ? Car il a admis son implication dans l’incident avec Tamar. »[8] Tamar était sur le point d’être brûlée pour avoir commis un soi-disant adultère, lorsqu’elle donna à Yéhouda la chance d’admettre son rôle dans les événements. Il aurait pu aisément garder le silence, en condamnant ainsi trois âmes à la mort : Tamar et les jumeaux qu’elle portait en elle. Néanmoins, en un moment historique, il a courageusement admis sa responsabilité, en ces termes : « Elle a raison, c’est de moi. »[9] Et ce n’est pas une coïncidence si ce fut le moment-clé pour produire la semence du Machia’h. Nous savons que Machia’h rétablira l’humanité à son état originel d’avant la faute, rectifiant la faute d’Adam et de ‘Hava. La manière de réparer les torts causés par une faute est de corriger le trait de caractère négatif à l’œuvre dans cette faute. Comme nous l’avons vu, le défaut principal de la faute d’Adam a été son incapacité à assumer la responsabilité pour ses erreurs. En conséquence, le succès de Yéhouda d’avoir assumé la responsabilité pour ses actions a été une rectification idéale.

Le roi David, un descendant de Yéhouda, a imité son ancêtre dans ce domaine-clé. En conséquence, il a été pardonné et on lui a offert une nouvelle chance de continuer comme roi. Nous voyons de là que le point principal pour déterminer la capacité à régner tient à la faculté à endosser la responsabilité pour ses actes. C’est en effet le facteur clé dans la ‘Avodat Hachem (service divin) en général. Rav ‘Haïm Chmoulévitz affirme : « Lorsque nous analysons en profondeur le sujet, nous voyons que le niveau d’une personne se mesure en fonction de sa capacité à assumer la responsabilité de ses actes. Quelqu’un qui n’est absolument pas responsable de ses actes entre dans la catégorie d’un homme qui a perdu la raison (Lav Bar Da’at), tandis qu’un homme responsable de ses actions à un très haut degré est apte à la royauté. »[10] Et à un niveau plus profond, le fait que David ait assumé ses responsabilités a été un achèvement de la rectification de l’incapacité d’Adam dans ce domaine.

Il ressort de notre bref tour d’horizon de l’histoire juive que le facteur significatif pour déterminer le cours des événements est peut-être la faculté à assumer la responsabilité. Nous vivons dans une société qui méprise le concept de responsabilité - les psychologues et les libéraux prétendent que personne ne peut être tenu responsable de sa conduite. Ils soutiennent que nous n’avons pas de libre arbitre ; la personne que nous allons devenir est prédestinée en s’appuyant sur notre background, notre éducation, nos données génétiques et la société. En conséquence, on peut excuser les criminels de leurs crimes en se reposant sur l’idée qu’ils n’avaient pas le choix dans ce cas-là, et les individus peuvent tolérer les lacunes dans leurs relations et leurs traits de caractère en les jugeant inévitables.

La Torah rejette fortement cette approche. Le paramètre fondamental de la Torah est le fait que nous possédions le libre-arbitre, et que nous puissions prendre des décisions morales, sans être affectés par les influences autour de nous. Bien entendu, comme l’écrit Rav Dessler, chaque individu a un autre niveau de libre arbitre, en fonction de sa situation dans la vie. Mais nous avons néanmoins la possibilité de faire des choix, nous pouvons progresser, devenir meilleurs, dépasser nos traits de caractère négatifs et développer un lien profond avec Hachem. La Michna dans Avot dit : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? » (Avot 1, 14). Les commentateurs expliquent que si l’on n’assume pas la responsabilité pour sa propre ‘Avodat Hachem, on ne peut compter sur personne d’autre pour s’en charger à notre place. Yéhouda et David en ont été capables, et chacun d’entre nous a le pouvoir de les imiter. Ainsi, nous pouvons jouer le rôle de rectifier l’inaptitude d’Adam à assumer ses responsabilités et contribuons ainsi à rapprocher le Tikoun (réparation) des Yémot Hamachia’h, l’époque de la venue du Machia’h.


[1] Consultez la Guémara qui traite pourquoi d’autres fautes commises par Chaoul et David n’ont pas été incluses dans cette formule.

[2] Chmouel I, 15:14-31.

[3] Chmouel II, 12:13.

[4] Ceci ne veut pas dire que David n’a pas été puni pour sa faute, mais on ne lui retira pas son royaume en raison de la faute commise, contrairement à Chaoul.

[5] Voir Maharcha, Yoma 22b, pour une approche similaire expliquant pourquoi Chaoul a été traité plus durement pour cette unique faute.

[6] Midrach Tan’houma, Béréchit, remarque 9.

[7] Si’hot Moussar, Maamar 20, p.85.

[8] Tossefta, Brakhot, Ch.4, hal.16.

[9] Béréchit, Ch.38, v.36.

[10] Si’hot Moussar, Maamar 20, p.83.