L’un des échanges les plus fascinants du Livre de Chmouel a lieu entre le roi David et son épouse Mikhal, fille du roi Chaoul. David conduisait la procession qui apportait le Arone Hakodech (l’arche sainte) vers Ir David, ce qui fut l’occasion d’une grande célébration.[1] David dirigeait les célébrations avec des danses passionnées, révélant même des parties de son corps devant le Arone. Alors qu’ils entraient dans Ir David, Mikhal vit ces danses démonstratives et les considéra très dégradantes. Elle en fut si courroucée qu’elle sortit de chez elle et réprimanda David en public, déclarant qu’il agissait de manière dégradante devant des servants et servantes, et que cette attitude n’était pas appropriée pour le Roi d’Israël. David répondit qu’il dansait uniquement en l’honneur de Hachem, qui l’avait choisi pour être roi au lieu du père de Mikhal, Chaoul et les siens, et qu’il se serait encore humilié davantage, quitte à se retrouver déconsidéré par le peuple, afin d’honorer Hachem. Cet incident s’achève, d’après les Prophètes, par le fait que Mikhal n’a plus eu d’autres enfants jusqu’au jour de sa mort, une sanction pour avoir réprimandé David.
Le sujet principal qu’il faut traiter ici est ce conflit inhérent entre deux personnes. Plus précisément, pourquoi, David, dans sa réponse à Mikhal, a-t-il mentionné le fait qu’il a été choisi roi plutôt que son père ? Ce point semble n’avoir aucun rapport avec le sujet de discussion, et en réalité, de manière superficielle, il pourrait sembler qu’il s’agit d’un manque de considération de mentionner que le père de Mikhal, Chaoul, a été rejeté par Hachem à la fonction de roi.
Les commentateurs expliquent que Mikhal incarnait par excellence le trait de caractère de la Tsniout, la pudeur. Elle était tout particulièrement sensible au principe de maintenir sa dignité devant les autres. Elle avait hérité cette qualité de son père, le roi Chaoul. Nos Sages[2] expliquent que lorsque Chaoul faisait ses besoins, il le faisait avec un incroyable degré de pudeur, en se couvrant soigneusement même lorsqu’il se trouvait dans une grotte et loin de la vue des autres.[3] De même, Mikhal était extrêmement sensible à la surexposition de soi. En conséquence, elle fut choquée lorsque David, à ses yeux, se conduisit de cette manière devant le peuple. Ce trait de Tsniout et de dignité personnelle était si profondément ancré en elle qu’elle ne pouvait envisager aucune raison valable pour sacrifier ce trait, même en l’honneur de Hachem.
David lui répondit qu’elle se trompait dans son attitude, car dans une situation où on honore Hachem, la dignité personnelle de l’être est mise de côté. En conséquence, il était correct de sa part de danser avec toute son énergie, et même d’exposer des parties de son corps devant le peuple, car l’honneur d’un homme n’est rien comparé à celui de Hachem.
Nous pouvons également comprendre pourquoi David a mentionné le fait apparemment hors sujet d’avoir été choisi roi plutôt que Chaoul, le père de Mikhal. Les commentateurs expliquent que David faisait allusion au fait que ce souci de la dignité devant autrui a été à la racine de la faute qui a été la cause de la perte de la royauté de Chaoul : lorsque le prophète Chmouel lui a prescrit d’anéantir Amalek, il n’a pas anéanti tous les animaux et le roi, et il se justifia en expliquant qu’il se sentait pressé par le peuple de ne pas anéantir totalement Amalek.[4] C’était une expression de la grande sensibilité de Chaoul aux opinions des autres, ce qui, dans ce cas, a abouti à une erreur majeure. En mentionnant qu’il avait remplacé Chaoul à la fonction royale, David communiquait à Mikhal l’idée que la qualité de pudeur aux yeux des autres est une qualité remarquable, mais certaines fois, il est inapproprié d’y avoir recours. Le cas de David dansant devant le Arone était un exemple indiquant qu’il était plus important d’honorer Hachem que de se soucier de sa dignité personnelle devant les autres.
Le Ramban cite une partie des termes de David lorsqu’il aborde les célébrations de la Sim’hat Beth Hachoéva (fête des libations) de Souccot. Il écrit que c’est une grande Mitsva de manifester de la joie devant Hachem lors de cette occasion sainte, et une grande faute de s’en abstenir. Il déclare alors : « Toute personne qui s’humilie et traite son propre honneur avec légèreté en ces endroits, est grandement honorée si elle le fait par amour. Voici comment s’est exprimé David, roi d’Israël : « Je me serais encore davantage humilié et mon estime de moi aurait baissé. Mais il n’y a pas de plus grand honneur que de se réjouir devant Hachem, comme il est dit : "Et le roi David dansait devant Hachem. »[5]
Nous apprenons de l’histoire de David et Mikhal que parfois, même une qualité très positive, comme la pudeur, ne doit pas être employée lorsqu’elle risque d’entrer en conflit avec une autre Mitsva, dans ce cas, l’importance fondamentale d’honorer Hachem. Puissions-nous tous, avec l’aide de D.ieu, employer les bons traits de caractère au bon moment.
[1] Chmouel II, Chapitre 6.
[2] Bamidbar Rabba, 4:21; Brakhot, 62a.
[3] Il ignorait que le roi David s’était dissimulé à sa vue dans cette même grotte. Cet incident est consigné dans le Livre de Chmouel I, chapitre 24.
[4] Chmouel II, 15:14-31.
[5] Rambam, Hilkhot Loulav, Chapitre 8, Halakha 15.