Dans le chapitre précédent : Depuis son premier jour d’entrée à la fac, Marion avait fait la rencontre d’une nouvelle amie de confession juive. Très vite, nos deux jeunes filles se sont très bien entendues. On appelle ça le coup de foudre amical, qui n’arrive pas souvent. Et c’est avec un certain enthousiasme que Marion, qui travaille dans sa librairie de quartier, a choisi d’emporter chez elle un livre sur le… judaïsme !
Après mon tout premier Chabbath passé en compagnie de la famille Bismuth, dès le dimanche matin, j’étais déterminée à aider mon amie à rentrer dans le séminaire qui avait refusé sa candidature. Elle ne m’avait pas révélé les raisons de leur refus, mais je ne comptais pas m’arrêter là. J’avais rédigé une lettre à l’attention de l’établissement pour expliquer qui j’étais et pourquoi je parlais au nom de mon amie, que le directeur devait absolument accepter. Je comptais demander à la mère d’Ilana des informations complémentaires pour envoyer ma lettre dans les plus brefs délais.
Dans l’après-midi, Ilana m’avait appelée pour me proposer d’aller à une fête qu’un copain de son grand frère organisait. J’acceptais avec joie, car je commençais à trouver le temps long toute seule dans ma chambre de bonne sous les toits de Paris.
Nous nous étions donnés rendez-vous à l’angle de la sortie du métro République. Dès que j’aperçus Alexandre et Ilana, j’avais demandé une fois de plus s’ils étaient certains que ma présence n’allait pas déranger la personne chez qui nous nous dirigions.
“Oh la ! Il ne faut pas que tu stresses pour ça Marion, Sacha est très sympa et adore avoir plein de monde chez lui. Il n’y a pas de malaise. Je profite pour te transmettre ce que notre mère m’a dit de te dire : ‘Que la porte est grand ouverte et que même si tu n’es pas feuj, tu peux venir passer Chabbath quand tu veux.’ Elle t’a adorée.”
Ilana donna un coup de coude à Alexandre en lui disant que le fait de me rappeler que je n’étais pas juive n’était pas une obligation !
“Cela ne me dérange pas dans la mesure où c’est vrai ! J’imagine en plus que c’est impossible de devenir juive. Soit on l’est, soit on ne l’est pas, n’est-ce pas ?”
Le frère et la sœur se regardèrent étonnés et me dirent d’une même voix : “Ce n’est pas du tout impossible. Il arrive que des gens se convertissent au judaïsme. C’est le consistoire qui s’occupe de tout cela mais laisse tomber, c’est tellement compliqué que la plupart du temps les gens abandonnent en cours de route.
– Allez, à d’autres ! Vous me faites marcher ! Ça ne peut pas être si dur que ça ! Et puis, c’est quoi le consistoire d’abord ?
– Le consistoire c’est un peu notre administration interne qui gère plein de services attitrés à la vie juive, comme les mariages et les divorces. C’est là-bas que les candidats vont retirer un dossier pour suivre toute une procédure ultra-complexe. Une fois qu’ils ont étudié, tu as des rabbins (une sorte de prêtres) qui leur font passer des examens oraux, moraux et écrits. Il y a tellement à savoir avant de devenir juif que cela peut durer des mois, voire des années !
– Des années ? À ce point-là ?
– Tu n’as pas idée.
– Du coup, ça me fait penser… Si, par exemple, une non-juive comme moi tombe amoureuse d’un Juif et qu’ils décident de se marier, rassurez-moi, c’est tout à fait possible, n’est-ce pas ?! Je suis sûre que ce genre de cas arrive tous les jours. Il m’est impensable de m’imaginer que vous ne vous mariez qu’entre vous. Ce serait ridicule, limite impossible !”
Un peu mal à l’aise, Ilana n’osa pas croiser mon regard. C’est courageusement qu’Alexandre répondit à mes interrogations : “J’espère que tu ne vas pas mal prendre ce que je vais te dire, car tout ceci n’a rien à voir avec toi ou qui que ce soit d’autre. La preuve, tu es une fille super. C’est juste que, pour nous, ce serait considéré comme une union interdite. Nous avons des lois très strictes sur ce sujet qui est très délicat à aborder pour quelqu’un de l’extérieur.
– C’est moi l’extérieur ? Je n’arrive pas à le croire tant c’est n’importe quoi.”
J’étais très vexée car j’avais la sensation d’être complètement rejetée, ce qui faisait un violent contraste avec toute la chaleur que j’avais reçue de la part de cette famille, tant elle m’avait accueillie à bras ouverts ! Je trouvais ce sectarisme complètement injuste. Malgré mon visage qui devait en dire long sur ce que je pensais, Alexandre essaya de me calmer : “Eh ! Ne le prends pas comme ça ! Il faut que tu comprennes que cette loi permet de préserver la survie de mon peuple. Bien sûr, je ne dis pas qu’il n’y a pas eu des tas de mariages mixtes dans notre communauté, mais si tout le monde faisait pareil, il ne resterait rien de nous.
– Mais enfin, les sentiments ne se contrôlent pas ! Vous êtes en France, c’est normal de rencontrer des gens avec des religions différentes.
– C’est bien pour cela que ça rend la chose très complexe et qu'on a tendance à ne fréquenter que des Juifs pour ne pas être tenté. Nous sommes un petit peuple en nombre et notre survie dépend de notre descendance. Dès l’instant où un Juif se marie avec une ‘Goya’, une non-juive, sa descendance est perdue, à moins que les enfants, d’eux-mêmes, ne prennent la décision de se convertir en grandissant.
– Mais pourquoi tu me parles de conversion ? L’enfant sera de toute façon juif à cinquante pour cent. Plus tard, il pourra décider quelle religion il voudra suivre.
– Ah non ! Cela ne marche pas comme ça, car chez nous, c’est la mère qui détermine la religion de l’enfant.
– Ah bon ? Et pourquoi donc ?
– Ça parait évident. Seule la mère sait exactement avec qui elle a eu son enfant !
– Je vois… Mais s’il y a cette option de conversion, il n’y a plus de problème ! Si un non-juif tombe amoureux d’une juive. Hop ! On le convertit et c’est bon.
– Non, non et non. Ce serait bien trop facile. Ce processus est beaucoup plus compliqué qu’il en a l’air ! Nous ne sommes pas une religion de prosélytisme ! Il y a même des gens de notre communauté qui sont très réfracteurs à cette option. Prenons le cas que tu as évoqué : une personne se convertit par amour, ok ?
– Ok.
– Elle décide de se lancer dans la conversion qui est, comme on te l’a dit avec Ilana, très longue, très éprouvante et très complexe pour le candidat. Au final, elle y arrive et devient juive à part entière. Quelques mois plus tard, le couple décide de se séparer parce que ça ne marche plus entre eux. Pourquoi veux-tu qu'elle continue à galérer pour faire Chabbath, manger Cachère et tout le reste ? Parce que, dès l’instant où tu deviens juive, c’est fini, tu rentres définitivement dans notre peuple comme tout à chacun. Et là, ça devient embêtant, parce que nous sommes tous responsables les uns des autres. Si un Juif ne respecte pas son statut, tôt ou tard, c’est tout le peuple qui en pâtira. Nous sommes comme un seul corps tout entier.
– J’essaye de comprendre, mais c’est très difficile tant je suis scandalisée par ce que j’entends ! Je trouve cela limite raciste ! Ça veut dire que si moi, demain, je tombe amoureuse d’un Juif, toi et Ilana vous me REJETERIEZ ?!”
Sans m’en rendre compte, je m’étais arrêtée en pleine rue pour prononcer cette phrase. C’est Ilana, qui était restée bien silencieuse, qui tenta de calmer la flagrante injustice que je ressentais : “Déjà, je trouve que le mot ‘raciste’ est mal utilisé parce que tu vois bien que je n’ai pas hésité une seconde à t’inviter chez moi et te montrer nos coutumes. J’ai pris le risque que tu me trouves bizarre ou étrange et qu’ensuite tu décides de ne plus jamais m’adresser la parole. C’est parce que je t’apprécie réellement que j’ai voulu me montrer telle que je suis. Donc rien à voir avec le racisme.
– Mais enfin Ilana, comment as-tu pu penser que j’aurais pu te trouver bizarre ? C’est le contraire qui s’est passé, je t’ai dit que j’ai adoré être avec ta famille, et que j’ai tout aimé de A à Z ! En dix-neuf ans passés chez mes parents à Bordeaux, je n’avais jamais ressenti un tel apaisement de toute ma vie en un Chabbath !
– Justement ! Je t’ai juste montré une fenêtre de la Torah que tu as appréciée. Permets-moi de te dire que quand tu pratiques ta religion, ce n’est pas comme dans un restaurant où tu choisis de faire les choses à la carte ! Ce n’est pas : Ah ! Chabbath, je kiffe, mais attention, qu’une fois par mois, parce que samedi prochain j’ai cours de piano. Cela ne marche pas comme ça ! Si tu aimes, tant mieux, si tu n’aimes pas ou ne comprends pas un commandement comme celui de ne pas se marier avec des gens qui ne sont pas de notre religion… Tant pis ! Tu fais ce que tu veux, mais ce n’est pas à la Torah de changer parce que tu n’es pas d’accord ! C’est pour ça que l’on dissuade quiconque de se convertir au judaïsme, tant c’est difficile !”
Un peu sonnée par les arguments en rafales qu’elle venait de me donner en pleine tête, l’envie d’aller avec eux à une fête ne me disait plus rien et je le leur faisais immédiatement savoir. “Pourquoi tu le prends comme ça Marion ? Je suis juste en train de t’expliquer des choses que tu ne peux pas comprendre tant que tu n’es pas juive.
– C’est exactement pour cette raison que je ne viens plus. L’endroit où vous allez doit être rempli de gens comme vous et je ne vais pas me sentir à l’aise si je suis amenée à ce qu’on me demande de présenter mes papiers de non-judaïcité !”
J’avais hurlé en pleine rue ces derniers mots tant j’étais blessée par cet hypothétique rejet. Je les laissais en plan. J’étais très en colère, parce que ni elle ni lui ne m’accepteraient dans leur peuple telle que je suis !
Je leur tournais le dos et comptais ne plus jamais leur adresser la parole. Je revois encore leur visage sonné par ma vive réaction.
Quelques heures plus tard, avec du recul, je trouvais que j’avais réagi de façon un peu forte… Je regrettais même de m’être emportée de la sorte.
Je décidais pour me calmer d’aller à la petite librairie juive que j’avais repérée dans le 3ème arrondissement de Paris pour chercher des réponses à toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête. D’ailleurs, je ne comprenais pas pourquoi je gambergeais autant alors qu’à la base je ne souhaite pas être juive… Mais, d’un autre côté, je n’avais qu’une obsession : retourner le Chabbath prochain chez les Bismuth et là tout devenait clair...
Je n’étais pas tombée amoureuse d’un juif, j’étais tombée follement amoureuse de ce nouveau mode de vie auquel j’avais eu la chance de goûter ! Sans aucune explication rationnelle, j’étais attirée comme un aimant par ce nouveau monde que je venais de découvrir. C’est en souriant qu’après quelques rayons, je tombais sur “La conversion au judaïsme pour les nuls”.
Je n’avais pas encore tout à fait conscience que les premiers pas vers ma véritable identité avaient commencé par ce banal livre qui était loin de regorger des vrais trésors que la Torah réserve au peuple élu qu’est le merveilleux peuple juif...