Voici un exemple concret d'un cas traité par des tribunaux rabbiniques, afin d'apprendre à voir et assimiler peu à peu le "Daat Torah", le fait d'avoir un esprit et une réfléxion de plus en plus en accord avec la Torah.
Cas :
Eli, un touriste français, de passage en Israël, rencontre une ancienne connaissance, Acher, lui, installé à Ashdod depuis longtemps. Il lui fait part de son projet de s’installer dans cette même ville et il cherche à cet effet, une maison privée. Il lui décrit le bien qu’il souhaiterait acheter. Acher lui pointe du doigt une villa au bout de la rue et lui dit qu’il est sûr qu’elle fera l’affaire. Eli la visite et effectivement, il l’aime depuis le premier instant.
Il conclue l’affaire et il en fait part à Eli qui lui souhaite mazal tov mais au passage lui demande aussi son dû ! En effet, il sait de source sûre qu’il faut lui régler une commission d’agent immobilier, car ce même cas s’est déjà présenté avec son voisin du dessus, et les Dayanim lui ont donné gain de cause. Il assure à Eli qu’il n’est guère besoin d’aller au beth dine pour vérifier et que n’importe qui, connaissant un peu de halakha le lui confirmera.
Eli insiste et ils se rendent en toute cordialité au beth dine. Eli en sort acquitté ! Acher (et Eli aussi) désirent comprendre qu’est-ce qui justifie cette différence dans la halakha. Est-ce une divergence de point de vue entre les dayanim ou bien les touristes français ont-ils un régime particulier ?
Psak et explications :
En effet dans ce cas il faut admettre qu’il y a préférence pour les touristes et pas seulement les français. Remontons aux sources : Le seul fait de montrer un appartement ou d’amener des clients dans un magasin ou un restaurant etc. comme le font certains commerces à l’aide de rabatteurs, donne droit à une rémunération. Voir à ce sujet le commentaire du Gaone de Vilna (13) sur le Choul'han ‘Aroukh Hochen Michpat (185), dans lequel il établit cette règle. Tout celui qui rend un service normalement rémunéré, doit être lui aussi rémunéré même s’il n’a pas demandé à l’être ou même si personne ne lui a demandé de le rendre. La source est le Talmud Baba métsia (101, A) : celui qui plante des arbres dans un terrain destiné à cet effet doit être normalement rémunéré (et non à la baisse) par le propriétaire du terrain.
La particularité de ce commentaire du Gaone de Vilna est qu’il tranche au sujet d’une controverse des décisionnaires dans ce passage du talmud. En effet, selon certains on ne pourra exiger une rémunération si le service n’a pas augmenté la valeur de la chose ou du terrain, tels des arbres ou le terrain qui est maintenant labouré et vaut plus cher dans cet état, etc. Quand on rend un simple service virtuel, même si d’autres exigent une rémunération avant de le rendre, quand l’acte a été fait sans concertation préalable, il n’y a pas lieu de demander un paiement. C’est l’avis des Tossafote et du Roch (Baba métsia 101), et c’est ainsi que l’a commenté Ma’hané Efraïm (nizké mamone 2) et Helkat Yoav (hochen 9) qui a retenu cet avis. (Voir aussi à ce sujet birkat Chmouel Baba métsia 26 au nom de rabbi Hayim Brisker).
Dans notre cas, montrer un appartement n’est donc pas une matière ou un travail qui, comme quelque chose investi dans un terrain, augmente sa valeur. C’est un service virtuel et selon les Tossafote, il n’y pas lieu de demander un paiement si cela n’a pas été convenu au préalable.
Mais la halakha va plus loin. Car il faut savoir que même selon les Tossafote, il y a aussi lieu de payer un salaire de rabatteur dans certains cas. En effet, Rachba (Téchouvote T4, 125) explique que le fait d’avoir établi une habitude entre les commerçants pour les rabatteurs de recevoir un pourcentage quand ils amènent des clients dans les magasins fait que le silence devient éloquent ! En effet, même s’ils ne le disent pas en rentrant au magasin, ni au propriétaire du magasin ou au vendeur, c’est évident qu’ils s’attendent à être payés et c’est comme s’ils l’avaient dit tout haut. Il y a donc un contrat tacite entre les deux parties et personne ne peut dire qu’il n’a pas compris puisqu’il s’agit d’une règle bien établie.
En vertu de cela, même si l’on se base sur ce responsa de Rachba, Eli qui est français, ne comprend pas ce silence et ne sait pas qu’en Israël, c’est un us bien établi que ‘’certains’’ demandent à être rémunérés quand ils indiquent un bien immobilier. On ne peut donc établir que le silence d’Acher était ‘’éloquent’’ puisqu’Eli ne le comprend pas et il n’y a donc pas eut de contrat tacite.
D’autre part on ne va pas appliquer l’avis du Gaone de Vilna et considérer un service virtuel rendu comme quelqu’un qui plante des arbres dans un champ à l’insu de son propriétaire, car les Tossafote ne sont d’accord. La règle étant hamotsi mé’havéro alv haréaya, afin de sortir de l’argent, il faut apporter des preuves irréfutables et acceptées unanimement.
Acher a effectivement reçu une prestation pour le même événement mais parce que son voisin était israélien et qu’il n’était pas censé ignorer cette habitude. Les Dayanim ont donc considéré qu’il y avait un contrat tacite entre les deux même si Acher ne l’avait pas évoqué, au même titre que les rabatteurs évoqués dans les téchouvote du Rachba précédemment citées.
(Il faut savoir qu’il y aurait eut, éventuellement, une autre base selon la halakha pour étayer la demande de rémunération d’Acher. En effet, Eli a profité de ce renseignement et cela a une valeur dans le marché. Mais Ma’hané Efraïm (Id.) établit selon l’avis des tossafotes (‘Houlin 131) que l’on ne doit pas payer pour une jouissance si elle aurait pu être évitée ou obtenue gratuitement (ou si à moindre coût alors on devra selon ce qui aurait été dépensé). C’est la règle de ‘’michtarché lé’’ Dans le cas d’Eli, il n’était pas obligé de passer par un agent immobilier car plusieurs sites de particulier à particuliers la proposaient.)
Rav Yossef Simony
Cette rubrique propose de vous faire partager des cas traités, couramment ou non, dans les baté-din. L’unique but est de faire prendre conscience de la possibilité que donne la Torah de régler n’importe quel conflit financier selon des logiques très réglementées. Nous vous recommandons donc de ne pas tirer de conclusions personnelles de ces enseignements, car un détail et une parole peuvent changer toute l’issue du psak-din.