Les tsitsit sont comme un aide-mémoire : par leur présence, l’homme peut se souvenir de toutes les autres mitsvot de la Torah et les observer. Ces colonnes seront donc consacrées à tenter de mieux comprendre le fonctionnement exact de ces « aide-mémoire »…
Le Séfer ha’Hinou'h définit en effet l’objectif de ce commandement en ces termes : « L’objet de cette mitsva est explicite dans les versets : afin que nous nous souvenions en permanence des mitsvot de l’Éternel. Or, rien au monde n’est plus propice à se rappeler les ordres du Roi que de placer son sceau sur l’habit que l’on porte en permanence ! », (Mitsva 386).
" Ces franges seront pour vous ! "
Or, face à l’évidence de cette définition - qui est d’ailleurs tout à fait explicite dans le verset - une remarque frappante mérite d’être formulée : peut-on en toute sincérité affirmer que par la seule présence des tsitsiyot en tant qu'habits portés sur notre corps, notre comportement s'en trouvera plus conforme à la volonté de la Torah ? Et ne voyons-nous pas quotidiennement des hommes enfreignant délibérément des injonctions de la Torah, bien qu’arborant sur leur vêtement de longs et ostensibles tsitsit… ?
Cette question fondamentale fut déjà soulevée à de nombreuses reprises par les plus importants des commentateurs ! Voyons pour notre part la manière dont le Alchei'h haKadoch l'a solutionnée : « Cette mitsva est à l’image de ce que les gens ont l’habitude de faire lorsqu’ils attachent un bout de fil à leur doigt pour se souvenir d’une chose qu’ils souhaitent réaliser. Imaginons qu’un homme attache à son doigt un fil de manière anodine et non pas pour se souvenir de quoi que ce soit… Or le même jour, il a ensuite besoin de se rappeler d’une tâche qu’il lui faut accomplir, mais finalement il l’oublie. Frustré, cet homme s’étonne : ‘ Comment ai-je pu oublier cette chose ? Ce fil que l’on attache au doigt ne me sert donc à rien, car il ne m’a été d’aucune utilité ! ’ À cet homme, on pourrait rétorquer avec sagesse : ‘ Pourquoi te plains-tu que le fil ne t’ait été d’aucune aide puisque toi-même, tu ne l’as pas attaché à ton doigt dans l’intention qu’il te rappelle quoi que ce soit ?! Comment voulais-tu donc qu’il t’aide à te souvenir ? '… ».
L’idée à laquelle renvoie cette parabole est bien claire : le tsitsit est effectivement en mesure de nous rappeler les mitsvot de la Torah, mais ceci, seulement pour autant qu’on les porte sur soi dans cette intention précise. En revanche, si l’on doit revêtir le talit machinalement, il y a en effet peu d’espoir que ces franges nous soient d’une quelconque utilité...
D’après le Alchei'h haKadoch, c’est en ce sens que le verset insiste en disant : « Les franges seront pour vous », car c’est seulement si on les porte en ayant clairement conscience du but auquel elles sont destinées, que ces franges pourront avoir l’effet attendu.
L’azur ressemble à la mer…
Selon certains auteurs, ce « rappel » indispensable dont sont porteurs les tsitsit est présent dans les huit fils de chaque coin d’habit ; d’autres commentateurs sont, de leur côté, d’avis que seul le fil té'hélet [de couleur bleu d’azur] est supposé susciter ce souvenir.
Ce dernier avis correspond à un célèbre enseignement du Sifri dans lequel on peut lire : « L’azur ressemble à la mer, la mer ressemble au ciel, et le ciel ressemble au Trône céleste ». C'est-à-dire que grâce à cet enchaînement de références et de " ressemblances ", le fil té'hélet suspendu aux coins de nos habits nous permettra de remonter jusqu’au Trône céleste, et de la sorte, de nous souvenir de toutes les mitsvot de la Torah.
Mais tout cela fait revenir notre question initiale avec encore plus d’acuité : si l’effet de ce fil bleu d’azur réside dans le fait qu’il nous rappelle la couleur de la mer, cela signifie que la vue de la mer devrait à plus forte raison nous rappeler le Trône céleste et donc l’importance des mitsvot. Or, manifestement, la réalité semble bien lointaine de cette conclusion : car non seulement la plupart des gens se rendent au bord de la mer, mais ils y plongent aussi la tête la première et pourtant, leurs pensées sont à ce moment-là à mille lieues du Trône céleste…
Toutefois, à la lumière des explications du Alchei'h, nous pourrons également résoudre ce paradoxe : tout dépend de l’état d’esprit avec lequel on observe la mer, et si l’on n’y est pas disposé, la vue des horizons marins ne seront à nos yeux d’aucun effet. Or, c’est toujours ce manque de prise de conscience qui entraîne un immense décalage entre ce que l’on est supposé voir dans l’azur de la mer, et les diverses pensées qui nous habitent alors concrètement…
Dans les racines de l’âme
Il s’avère en fait que le souvenir auquel renvoient les tsitsit - et avec eux plusieurs autres mitsvot - n’a rien d’un simple " rappel ", comme on se remémore d’un fait qui aurait échappé à notre mémoire. Il s’agit en vérité d’éveiller une conscience enfouie au plus profond de notre être dont les racines appartiennent à la quintessence de l’âme juive présente en chacun d'entre nous.
Le Créateur a en effet façonné les âmes juives avec des liens étroits les rattachant aux mitsvot de la Torah. De la sorte, lorsqu’un homme accomplit une mitsva ici-bas, il stimule les racines de son âme rattachées à cette facette-là de la Torah et leur permet de briller de tout leur éclat.
À ce sujet, on trouve des propos très clairs chez le Sfat Emet (Chela’h 5638) : « Il convient de comprendre comment un acte matériel peut être en mesure de stimuler l’éveil de l’âme, comme il est écrit : ‘ Afin que vous vous souveniez (…) et vous serez saints ’ ? Mais c’est qu’en vérité, il y a une racine de chaque mitsva dans l’âme humaine, tout comme il est dit que les 248 membres et les 365 tendons qui composent le corps humain sont en relation avec les 613 mitsvot de la Tora ; (…) c’est donc grâce à l’accomplissement d’une mitsva que la lumière de cette racine implantée dans l’âme humaine s’attise et éclaire (…) ».
Voilà quel est ce « souvenir » auquel renvoient les tsitsit : un appel venu du tréfonds de l’âme qui éclate soudain au grand jour !