C’est l’histoire d’un grand Rav qui occupait la fonction de trésorier de la cour d’un roi des nations. Son prédécesseur à la cour blasphémait en murmurant matin et soir aux oreilles du roi que le ministre juif volait dans le trésor du roi, et que toute sa fortune provenait de là : le roi décida alors de vérifier les faits. Un jour, le souverain s’adressa subitement au ministre juif en ces termes : « Tu ne sors pas de là avant d’avoir dressé une liste de tous tes biens personnels ! ». Par le biais de cette déclaration de revenus, le roi voulait vérifier l’origine de la fortune du Rav. A sa grande surprise, le Rav répondit : « Je n’ai pas besoin de la préparer, elle est écrite dans mon carnet ». Il sortit de la poche de son manteau un carnet où figuraient des colonnes de chiffres, qu’il lut à voix haute : « Au total, ma fortune personnelle s’élève à 27 000 dollars ». En entendant ces propos, la colère du roi s’enflamma. La maison seule du Rav valait bien plus, essayait-il de le duper ? Il va de soi que son prédécesseur avait raison. Le monarque ordonna immédiatement de jeter le Rav en prison et signa un décret qui transférait tous ses biens au profit du trésor royal.
Une fois sa colère apaisée, le roi se mit à réfléchir : « Je sais que le Rav est un homme intelligent. C’est pourquoi j’ai démis de ses fonctions le trésorier précédent pour le nommer à ce haut poste. Et il a réussi à stabiliser la situation économique du royaume. Il n’est pas possible qu’un homme intelligent comme lui veuille mentir sur ce qui sera immédiatement découvert. Il y a vraisemblablement un élément qui m’a échappé. » Il ordonna alors qu’on convoque le Rav.
A la question du roi, le Rav répondit avec un sourire serein : « Votre majesté voulait connaître le montant de ma fortune personnelle. D’après la vision juive, tout ce monde-ci est provisoire et tout ce que je possède ici n’est pas ma propriété "privée". La preuve, avec une seule signature, vous avez transféré tous mes biens au profit du trésor du royaume. Peut-on dénommer de tels biens, qui peuvent m’être dérobés en un instant, mes biens personnels ? Regardez, ce carnet que je vous ai montré recense la Tsédaka que j’ai donné. C’est ma véritable propriété personnelle ! Personne ne peut me subtiliser la somme que j’y ai inscrite ! J’emporterai avec moi cette somme pour la vie éternelle ! »
Nous découvrons que sa juste perspective des choses le conduit à la joie éternelle et à accepter toute situation dérangeante avec bienveillance, conformément à l’adage : « Qui est riche ? Celui qui est heureux de son sort ». Et de même pour la situation inverse : « Qui est joyeux ? Celui qui est riche de son sort », à savoir l’homme qui comprend que la part qu’il a reçue est précisément celle qui le définit comme un homme riche. C’est le secret de la joie et du bonheur authentiques, qui vont de pair.
La fête du caractère temporaire
A la lumière de cette explication, nous comprenons en profondeur pourquoi la fête de Souccot, qui symbolise dans son essence le caractère temporaire, est appelée « la fête de notre joie », et la Torah nous ordonne même de nous y réjouir. Avec un regard superficiel, il semble que ces deux éléments, le caractère éphémère et la joie de la fête de Souccot, soient deux sujets distincts qui se sont unis en une fête. Mais en vérité, ils ne forment qu’un. Pendant toute l’année, l’homme vit dans sa maison stable et solide. Et soudain, l’homme aisé au même titre que le démuni quittent leur maison et vont s’abriter sous des branchages provisoires. Tous sont appelés alors à réfléchir et à percevoir qu’en réalité, le monde ici-bas est provisoire, toutes nos acquisitions restent ici, et seuls les actes de bonté de l’homme l’accompagnent dans la vie future. En effet, tous habitent sous une toiture de branchages, et la vie suit son cours.
En fait, ces jours se transforment en jours de joie. Car tout homme reconnaît alors que tous les facteurs, dans la course du quotidien, qui le conduisent à la tristesse ne sont que des produits provisoires de son imagination. Alors pourquoi s’attrister sur ce qui, de toute façon, ne lui restera pas ?!
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Il se trouve qu’en prenant conscience de la fugacité de ce monde-ci, tout homme peut, dans chaque situation, accéder à une joie authentique. Il sait en effet distinguer entre l’essentiel et l’accessoire, et à quel point les souffrances et difficultés elles-mêmes sont un bien pour lui, sans connaître toutefois leur raison d’être précise.
Au même moment, les hommes les plus riches du monde qui tranchent leurs affaires, le regard sévère, semblent à nos yeux des enfants jouant à un jeu de Monopoly. Si l’un des enfants perd ses « biens », il s’en attriste. Mais le père, un homme mûr, qui joue aussi avec ses enfants, sourit lorsqu’il perd. Il sait parfaitement bien que ses biens sont provisoires et dénuées de valeur. Et la joie l’accompagne constamment.
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Concluons par un conseil supplémentaire pour acquérir une joie permanente.
Il faut s’habituer à remercier le Créateur pour la beauté de la Création merveilleuse et les bontés qu’Il nous accorde, comme l’affirme le Roi David, dans le cantique « Barkhi Nafchi » et dans « Hachem Ro’i », etc. Celui qui s’y habitue a le privilège de vivre avec une vision juste et saine de la vérité de la situation, et ne s’enferme pas dans la tristesse si on lui dérobe l’abondance de beauté autour de lui et l’abondance de bien qu’il possède. C’est une règle dans toute prière adressée à D.ieu : remercier pour le passé et implorer pour l’avenir. On devient alors apte à recevoir une abondance encore plus grande, et l’on baigne aussi dans une joie éternelle.