Il y avait dans la ville d’Istanbul un grand Rav qui s’appelait Rabbi Moché ‘Hammoun.

Le sultan Soliman avait beaucoup de respect tant pour sa personne que pour l’éminent érudit qu’il était. Bien que Rabbi Moché n’eût que 24 ans à la mort de son père, il lui succéda comme médecin personnel du Sultan. Rabbi Moché avait de qui tenir. Durant des générations, sa famille avait donné au pays des érudits éminents et des médecins illustres.

En 1492, l’inquisition expulsa d’Espagne Rabbi Joseph ‘Hammoun, qui quitta ce pays en emmenant son fils Moché, âgé d’un an. Il s’établit à Istanbul où son grand talent de médecin va lui ouvrir les portes de la cour. Bientôt, il est nommé médecin personnel du Sultan. Comme nous l’avons déjà dit, à sa mort, son fils Moché va lui succéder. La haute positon qu’il occupait à la cour du Sultan lui permettait d’intervenir en faveur de ses frères juifs. Il amena notamment le Sultan à promulguer un certain nombre de lois destinées à protéger les juifs et leurs biens. Il fonda une Yéshiva à Istanbul qui devint très vite un centre réputé de Torah. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont la traduction de la Torah en persan et en arabe. Malheureusement, l’horizon s’assombrit.

 

Un jour, Rabbi Moché reçut un appel urgent du Palais. Le Sultan désirait le voir sur le champ. Il se hâta, tout en se demandant de quoi le souverain pouvait bien souffrir si subitement. Arrivé devant le Sultan, celui-ci lui dit : « Mon ami, j’ai pour toi de bien mauvaises nouvelles. Un décret céleste m’enjoint de mettre à mort tout ton peuple ! »

« Majesté, que dites-vous ? » s’écria Rabbi Moché, « vous devez être souffrant ! »

« Hélas ! Ce que je te dis n’est que trop vrai. Cette nuit dans mon rêve, une voix m’appelait : « Soliman ! Soliman ! Je suis ton prophète, envoyé du ciel pour te dire que si tu tiens à la vie, tu dois mettre à mort tous les juifs, ces incroyants qui vivent sur ton propre sol ! Avant trois jours, tu dois décréter que les juifs qui refuseront d’embrasser la religion musulmane devront quitter le pays; et que ceux qui, hommes, femmes ou enfants, demeurés fidèles à leur foi, n’auront pas passé la frontière, seront impitoyablement mis à mort ! Réveille-toi, maintenant Soliman, mets-toi à l’œuvre, car beaucoup de travail t’attend ! »

Tout tremblant encore, le Sultan poursuivit : « Peux-tu imaginer, Rabbi Moché,les sentiments qui m’agitaient quand je me réveillai ? Je t’ai aussitôt envoyé chercher.

Tu es un bon ami, je ne veux pas qu’il arrive le moindre mal à toi ou à ta famille. Fuis, quitte le pays. Je suis affligé d’avoir à appliquer un tel traitement à tes frères ».

« De grâce, Majesté, ne vous laissez pas emporter par votre imagination. Ce n’est là qu’un cauchemar qu’il faut surtout se garder de prendre au sérieux, car il n’a en réalité aucun sens. Vous ne pouvez pas sur une base aussi fragile décréter la mort de tant d’innocents ! » « Mon ami » répondit Soliman, « reviens me voir demain. Il me reste encore deux jours pour prendre ce décret. Mais je ne vois pas ce qui permettrait de garder le moindre espoir. Il n’y a pas d’autre issue, un ordre du ciel ne peut être pris à la légère ».

Le cœur lourd, Rabbi Moché quitta le palais. Sans perdre de temps, il rassembla les juifs de la capitale et les informa du terrible danger qui les menaçait. Ils se réunirent dans la synagogue, décidèrent un jeûne et, pleins d’angoisse, se mirent à prier avec ferveur.

Le lendemain matin, un autre appel urgent de la cour parvint à Rabbi Moché. Fort inquiet, il se dépêcha de se rendre au palais. Il trouva le Sultan dans un état d’agitation encore plus grand que la veille. « Rabbi Moché, c’est affreux. J’ai fit de nouveau le même rêve. Et une fois réveillé, j’ai continué à entendre les terribles paroles du prophète. Crois-moi, fuis, il n’y a plus rien à faire ! » Le Rav n’avait jamais vu le Sultan aussi bouleversé. « Majesté, il reste encore un jour. De grâce, ne prenez pas aujourd’hui ce funeste décret !

Tant de vies innocentes en dépendent ! Promettez-moi au moins d’attendre jusqu’à demain et de réfléchir encore » supplia rabbi Moché. « Tout ce que je peux te dire, c’est que si je fais le même rêve la nuit prochaine, je n’aurai plus le choix. Mon regret est grand, mais, comprends-tu, cette voix, cet ordre me terrifient ! Je n’oserai jamais leur désobéir ! Impuissant à obtenir plus que le sursis de 24 heures, Rabbi Moché s’en fut.

Ses pensées l’absorbaient à un tel point qu’il ne vit même pas le vieillard à la longue barbe blanche qui venait à sa rencontre. « Chalom Alekhem » fit ce dernier.

« Mon ami, quelle est la raison du trouble profond que je lis sur ton visage ? » Rabbi Moché sursauta. « Alekhem Chalom » répondit-il. « Tu dois être un étranger, tu n’es pas au courant de la terrible menace qui pèse sur nous ? » Et Rabbi Moché conta au vieillard inconnu la triste histoire. « Nous avons un D. Grand et Miséricordieux » dit celui-ci d’une voix réconfortante. Le Gardien d’Israël ne dort pas. Sois assuré mon ami qu’Hachem vous protégera. J’ai un conseil à te donner : vois s’il existe une porte secrète donnant accès à la chambre à coucher du Sultan. Là pourrait se trouver la solution de ton problème … Rabbi Moché avait à peine saisi le sens de ces paroles qu’il se trouva seul. Il s’apprêtait à remercier le vieillard, mais ce dernier avait disparu comme par enchantement. L’idée ne lui vint même pas de chercher à retrouver l’étrange passant, de tâches plus urgentes l’appelaient. Il retourna au Palais et se fit annoncer au Sultan. « Majesté, dites-moi, votre chambre à coucher a-t-elle une porte secrète ? » demanda le Rav, oubliant toute cérémonie.

« Question bizarre, Rabbi Moché ! Ce dont tu parles est un secret si bien gardé que personne en dehors de moi n’est censé le connaître. Oui, cette porte existe. » « Majesté, je sais que vous seriez content de voir régler cette affaire sans qu’il en résulte du mal pour vous ou pour les juifs. Aussi, je vous prie de me laisser passer la nuit en même temps que vous dans votre chambre et de faire poster deux sentinelles pour interdire l’accès à la porte secrète. J’ai la ferme conviction que tout s’éclaircira avec l’aide du Tout-Puissant. » « Avec le plus grand plaisir, Rabbi Moché », répondit le Sultan. Si cette nuit-là, ce dernier dormit d’un sommeil troublé, Rabbi Moché, lui, ne ferma pas l’œil.

Soudain, au milieu de la nuit, une voix puissante ébranla le silence. « Soliman ! Soliman ! » disait-elle. « Réveille-toi, c’est le dernier avertissement que je te donne. Je suis … »

La voix s’interrompit brusquement car l’une des sentinelles venait de presser le bouton qui ouvrait la porte secrète. Le battant tourna sur ses gonds, révélant la présence d’un homme … Ce n’était autre que le premier ministre du Sultan. Il avait découvert l’existence de la porte secrète, et il s’en était servi pour mener à bien son plan meurtrier et, du même coup, devenir tout puissant à la cour. Le Sultan, furieux d’avoir été berné par une supercherie si grossière, ordonna aussitôt qu’on le pendit. On imagine la joie des juifs quand ils apprirent la nouvelle. Ils décidèrent désormais de célébrer ce jour auquel ils donnèrent le nom de Pourim d’Istanbul.

Quant au vieillard à la longue barbe blanche… vous l’avez deviné. Oui, c’était le Prophète Eliahou !