La Haggada de Pessa’h évoque 4 enfants : le sage, le rebelle, le simple et celui qui ne sait pas questionner.

Ces 4 enfants représentent 4 caractères différents. Le soir de Pessa’h, la Torah nous invite à tenir le discours approprié à chacun de ces 4 enfants.
Voici une analyse des réponses qui sont proposées au sage et au rebelle.

Le sage, que dit-il ?

Quels sont les témoignages, les statuts et les lois que l'Éternel, notre D.ieu, vous a ordonnés ?

Toi, en retour, tu lui enseigneras les lois de Pessa'h “on ne mange aucun dessert après l'agneau de Pessa'h”.

A propos du fils ‘Hakham, sage, on peut légitimement se poser la question : en quoi est-il si sage ? En quoi sa question est-elle si intelligente ? En plus de cela, la réponse qu’on lui donne semble assez peu pertinente. D’autant que c’est une loi clairement enseignée dans la Michna[1]. Ce fils si ‘Hakham ne l’a-t-il pas étudiée !?

Il semblerait donc que cette discussion puisse être comprise à un niveau plus profond.

Tout d’abord, qui est ce fils sage ? Quelle est sa nature profonde ? La ‘Hassidout explique que la ‘Hokhma (la sagesse), dont les lettres forment les mots “Koa’h Ma” évoque une annulation complète au Créateur. Le Koa’h Ma, c’est la force du “Ma”, terme illustrant la notion de Bitoul, d’annulation à D.ieu comme le dit[2] Moché Rabbénou après des récriminations des enfants d’Israël : Vénah’nou Ma ? Et nous, que sommes-nous ?

A ce niveau de service de D.ieu, lorsque l’ego n’existe plus, il importe peu de comprendre le sens des Mitsvot. Tout n’est qu’ordre du Roi des rois, qu’importe qu’il soit logique ou non. C’est cela que le ‘Hakham, dans sa totale soumission à D.ieu, nous dit : “Quels sont les témoignages (les fêtes, les Téfilin…), les statuts (‘Houkim, les lois qui dépassent l’entendement humain comme la vache rousse) et les lois (Michpatim, les lois logiques) que l'Éternel, notre Dieu, vous a ordonnés”.

En d'autres termes, pourquoi divisez-vous les Mitsvot en plusieurs catégories ? Celles qu’on comprend, celles que l’on ne comprend pas… Qu’importe, tout n’est qu’ordre du Roi ! Il ne faut que se soumettre sans poser de question.

C’est là qu’intervient cette étrange réponse : “on ne mange aucun dessert après l'agneau de Pessa'h”.

Cette division des Mitsvot est nécessaire. L’annulation à D.ieu doit se faire dans la compréhension et la connaissance. Le service divin ne doit pas être que soumission. Il doit être rempli de sens.

C’est cela que nous répondons au fils sage : le Korban Pessa’h (sacrifice pascal), c’est vrai, doit être mangé à la fin du repas car il n’est pas là pour nous rassasier. La Mitsva, dans l’absolu, n’est pas faite pour nous “rassasier” spirituellement. Elle nous dépasse. Malgré tout, la Halakha stipule qu’il est interdit de manger après le Korban Pessa’h pour en garder le goût dans la bouche. En d’autres termes, même si le Korban Pessah’ (et les Mitsvot en général) dépassent l’entendement humain, il faut qu’elles aient un goût, un sens (“Ta’am” en hébreu traduit ces deux mots).

C’est ce qu’on répond au fils ‘Hakham. Le lien et la soumission à D.ieu ne doit pas nous couper de notre réalité toute humaine. Au contraire, la vraie soumission au Créateur se fait dans la recherche du sens et lorsqu’il y a du sens, on goûte à un vrai plaisir dans le service divin.

Le rebelle, que dit-il ?

“Qu'est-ce que ce culte (‘Avoda) pour vous ?” Il dit “pour vous”, mais pas pour lui ! En s'excluant ainsi de la communauté, il a renié ce qui est fondamental. Aussi, toi, émousse-lui les dents et dis-lui : “C'est pour ceci que l'Éternel a agi pour moi quand je suis sorti d'Égypte.” “Pour moi”, mais pas pour lui ! S'il avait été là, il n'aurait pas été libéré !

Le point important soulevé par le fils rebelle, c’est la “‘Avoda”, le culte, le service divin. Le fils rebelle ne s’oppose pas forcément au Séder de Pessa’h ou aux autres Mitsvot. Ce qui le dérange, c’est la ‘Avoda : le respect des Mitsvot doit être un corollaire de l’acceptation du joug divin, sans discussion. Le rebelle n’approuve pas cela. Son argument ? Pessa’h est la fête de la liberté, nous devons donc le fêter de notre propre volonté, seulement si nous nous identifions totalement avec son message et ses rites, seulement si on y prend plaisir. Dans son esprit, le respect du Choul’han ‘Aroukh c’est juste si j’ai envie, juste si c’est un “Kif” !

On pourrait penser que cette vision du monde ne le disqualifie pas en tant que “Chomèr Torah ou Mitsvot”, comme respectueux de la Torah, au moins un petit peu. Pourtant, la Haggada le qualifie de “Kofer Ba-Ikar”, il renie l’essentiel. Il renie la base même de tout ce qui fait le Judaïsme, la soumission inconditionnelle au Créateur, ce justement pourquoi nous avons été délivrés d’Egypte. C’est pour cela que la Haggada nous précise que s’il avait été là-bas, il n’aurait pas été délivré : son refus d’accepter la raison de la délivrance l’aurait exclu de cette délivrance.

Soumission ou Kif ?

Avec ces deux explications des questions du ’Hakham et du Racha, nous voilà bien embarrassés. Quelle attitude adopter ? La soumission totale du ‘Hakham n’est pas l’idéal mais d’un autre côté, la Torah de “Kif” du rebelle est un reniement total de ce qui fait le judaïsme authentique. En fait, ces deux enfants et leur message viennent pour nous éviter deux écueils dans l’éducation. (Comme chacun sait, Pessa’h c’est LA fête de l’éducation.)

Cette vision du rebelle colle parfaitement à notre époque : tout peut être accompli... ou pas. Du moment que cela est fait totalement librement, sans coercition aucune. C’est l’époque d’un ego exacerbé qui ne veut plus accepter aucune soumission. La religion ? Pourquoi pas ? Si c’est kiffant !

Dans l’éducation que nous donnons à nos enfants, nous devons faire attention à ce que dès leur plus jeune âge ils sachent que tout n’est pas “Kif”. Qu’il faut parfois (souvent) dans la vie accepter même ce que l’on n’a pas envie de faire. C’est comme ça. Les phrases bien connues des parents en Israël (qui doivent avoir leur équivalent dans toutes les langues) sont dangereuses: Lo Ba Li ! Ein li ’Hechek ! (Pas envie). Ein li Koah’ ! (Pas la force)...Il est important d’y mettre un terme le plus tôt possible. Sinon il est probable qu’ils nous disent en grandissant : quel est ce service pour vous ? Moi, Lo Ba Li ! (Ça ne m’intéresse pas)

Bien entendu, la coercition doit se faire sans violence aucune, ni verbale ni physique. Mais elle doit exister. Ça s’appelle l’autorité.

D’un autre côté, il ne faut pas tomber dans le travers inverse, celui de croire, comme le fils ‘Hakham, que seule une soumission totale soit l’idéal. On oublie tout “Kif” et on sert D.ieu comme un esclave devant son maître. Est-il nécessaire de préciser qu’une telle attitude dans l’éducation pourrait avoir aussi de fâcheuses répercussions ?

Un délicat équilibre

Ainsi, aucune des deux attitudes n’est bonne en soi (le ‘Hakham a aussi ses travers. D’ailleurs, il est appelé “’Hakham”, pas “Tsadik” : “sage” et non “juste”). Comme toujours, c’est l’équilibre qu’il faut viser. Le rebelle, d’une certaine manière, a raison. Il faut viser un service de D.ieu rempli de sens et de plaisir. Mais il ne fait aucun doute que sa toile de fond doit être l’acceptation du joug divin sans condition : il faut être ‘Hakham. Même quand le “Kif” n’est pas là, on continue quand même.

Pessa’h et son Séder sont une belle illustration de ce que doit être cet équilibre délicat. En effet, pour cette fête, plus qu’aucune autre, chaque communauté a des rites et des coutumes (souvent alimentaires) qu’on pourrait qualifier de contraignants. D’autant que souvent ces coutumes vont bien au-delà de la stricte lettre de la loi. Et pourtant, D.ieu préserve de n’en abandonner qu’une seule. De génération en génération, la soumission est totale, même si cela peut parfois ne pas nous plaire ! Et à côté de cela nous avons le plaisir du Séder, qui donne un sens aux choses, qui, par ses rites, ses questions, sa chaleureuse ambiance familiale donne l’envie à l’enfant (et à nous aussi) d’apprendre, de comprendre, d’avancer. Bref, c’est un Kif…

Que D.ieu fasse donc que nous puissions enfin voir la réconciliation entre le fils ‘Hakham et le fils rebelle avec la venue de notre Juste Machia’h.

D’après des Si’hot du Rabbi de Loubavitch.

 

[1] Traité Pessa’him 119b.

[2] Chémot 16.8-7.